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Fernand Guyot

Dans le document Noël au Québec (Page 60-68)

L’aventure de Lili

Lili s’éveille en son petit lit tendu de ***1, se frotte les yeux que la lumière éblouit, puis, brusquement, saute à terre : « Noël, c’est Noël ! » Qu’a-t-il donc apporté le vieux bonhomme à la hotte inépuisable ?

Et, la voilà qui court bien vite, de toute la vitesse de ses petites jambes tordues. Pan ! pan ! pan ! C’est Lili qui frappe trois petits coups à la porte de la grande chambre.

– Qui est là ? crie la maman.

– C’est Lili, répond l’enfant de sa petite voix flûtée.

– Entrez ! Mais Lili n’a pas attendu la permission, elle a poussé la porte ! la voici devant la cheminée, où Noël a laissé comme trace de son

1 Mot suivant illisible dans l’édition numérisée du journal.

passage une grande poupée toute habillée de soie, un service à dinette en porcelaine, ne vous déplaise, des sacs de bonbons... que sais-je encore !

Mais pourquoi son joli sourire s’est-il subitement figé sur son mignon visage ? Pourquoi ses yeux rieurs sont-ils prêts à pleurer ? Pourquoi cet air si triste à la vue de tant de beaux jouets ? Autant de questions que se posent papa et maman, eux qui se réjouissaient tant d’avance du bonheur qu’allait éprouver leur petite Lili tant gâtée ; avaient-ils oublié d’apporter quelque jouet désiré par l’enfant ; ou bien serait-ce un simple caprice ? Non, Lili n’est pas capricieuse. Alors quoi ?

– Voyons, qu’as-tu Lili ? interroge le père.

– Pourquoi, poursuit la mère, cette figure mécontente, n’es-tu pas satisfaite ? Noël ne t’a-t-il pas apporté tout ce que tu lui as demandé ?

– Si, répond l’enfant, après quelques instants.

Puis éclatant en sanglots, elle ajoute :

– Seulement, c’est vrai, j’en étais bien sûre.

– Qu’est-ce qui est vrai ? De quoi étais-tu sûre ? lui demande la maman inquiète.

– Eh bien ! dit Lili à travers ses larmes, j’étais bien sûre d’avoir, cette nuit, vu le bonhomme Noël et même d’être allée me promener avec lui.

– Voilà, certes, dit le père en riant, une aventure qui n’est ni banale, ni attristante, il me semble. Allons, Lili, viens ici t’asseoir dans le grand lit, entre papa et maman ; tu nous raconteras les péripéties de ta fameuse promenade.

Et maintenant, lecteur, voici l’histoire que Lili conta, après que maman eût séché les derniers pleurs qui coulaient de ses grands yeux bleus :

« Il y avait longtemps, bien longtemps que je dormais quand, tout-à-coup, j’entendis du bruit et voilà que j’aperçus un vieux bonhomme qui venait de descendre par la cheminée. Oh ! je n’ai pas eu peur car, à sa grande barbe blanche, à la hotte pleine de jouets qu’il portait sur son dos, j’avais bien reconnu le père Noël. Je ne bougeai pas de crainte de le voir repartir sans rien laisser.

Alors, je le vis prendre dans sa hotte tous les

jouets qui sont là : la poupée, le service en porcelaine, les bonbons, tout ça, tout ça...

Comme il était prêt à s’en aller, voilà qu’il se mit à tousser, oh, mais ! fort, très fort... Ah bien ! tu sais maman, il fait si froid... Il n’y a rien de drôle à ce qu’il soit enrhumé. Cela me faisait de la peine de l’entendre ainsi tousser. Je pensais :

« Pauvre vieux Noël, être obligé de courir ainsi dehors, pour faire plaisir aux petits enfants. » J’avais peut-être parlé tout haut, car il se retourna de mon côté et murmura : « Tiens, tiens, une petite fille aussi bonne que gentille ! Désires-tu un autre jouet ? » Non, répondis-je, je voudrais bien aller avec toi pour voir comment tu passes dans les cheminées. Il se mit à réfléchir un moment, puis me dit : « Je te le permets puisque tu es une bonne petite fille et que j’espère bien que tu ne m’ennuieras pas en chemin. C’est promis, n’est-ce pas, tu seras bien sage ! – Oh ! oui, je serai sage, je te le promets, Noël ! répondis-je. – Alors dépêchons-nous, fit-il, car je suis très pressé. »

Je ne sais pas comment cela se fit mais avant

que j’aie pu m’en apercevoir, nous arrivions devant le château : Noël s’arrêta devant une cheminée de laquelle il sortait beaucoup de fumée ; je me demandais comment nous allions passer là-dedans ; eh bien ! là encore comme partout où nous sommes allés ailleurs, je n’ai pas pu comprendre comment on entrait ni comment on sortait.

Une fois dans la chambre où dormaient les petits enfants du châtelain, Noël tira de sa hotte de beaux joujoux, avec tout plein de la dorure ; il avait beau en sortir, la hotte était toujours aussi remplie.

Après cela, Noël me mena dans d’autres maisons et partout il laissait des jouets de toutes sortes ; seulement plus la maison était belle, plus il laissait de choses.

Enfin, nous étions arrivés à la maison où reste l’homme qui a beaucoup d’enfants, tu sais bien, toi papa, et puis toi aussi maman, la maison là-bas, tout là-là-bas, près du bois... Oui, les gens qu’on dit si pauvres ! eh bien ! c’était là. Il ne sortait pas de fumée par la cheminée ; je

m’approchais pour y entrer et j’entendis l’homme qui disait : « Pauvres petits, ils sont bien heureux de dormir ; ils rêvent que Noël leur apporte de belles affaires ; ils auront bien du chagrin quand ils se réveilleront car il n’y a pas de danger qu’il vienne chez les pauvres gens. Ah malheur ! si seulement on pouvait leur faire manger un peu de viande demain, leur acheter quelques gâteaux...

Mais non, ça sera comme tous les autres jours, un peu de soupe et de pain sec, enfin, tant qu’il y aura du pain, ils ne mourront pas de faim. »

En entendant l’homme parler, je m’étais mise à pleurer tellement cela m’avait fait de la peine ; il y avait bien de quoi, n’est-ce pas, maman... Des petits enfants si malheureux. Et puis après, je pensais que Noël qui était avec moi, allait leur faire une bonne surprise en déposant dans la cheminée les plus beaux jouets qu’il y avait dans sa hotte et les meilleurs bonbons, mais quand je me retournai, Noël avait disparu : j’eus beau l’appeler, il ne revint pas. Il était peut-être trop pressé : il y a tant de petits enfants ! Et puis après cela... après cela... je ne me rappelle plus... Il n’y a que ce matin, quand j’ai vu tous les joujoux qui

sont là que je me suis souvenu de ce que j’avais fait cette nuit. Alors j’ai pleuré parce que j’ai pensé que les petits enfants du pauvre homme n’auraient rien quand ils se réveilleraient.

Mais si tu voulais, maman... ou bien toi, papa... il y a aussi des jouets dans les magasins, alors... alors, on pourrait bien en acheter... Oui, tu veux bien ? Oh ! ma petite maman chérie, oh ! mon petit papa, il faut que je vous embrasse tous les deux bien des fois, comme ça... comme ça, et puis encore comme ça. »

Et voilà comment, à la suite de l’aventure extraordinaire d’une petite fille, il y eût des jouets dans la cheminée, un bon repas sur la table et beaucoup d’espérance... dans une maison de gens bien pauvres.

Dans le document Noël au Québec (Page 60-68)