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Tabagisme : une longue histoire au féminin

L’histoire des femmes et du tabac se conjugue avec l’évolution de notre société sur le demi-siècle écoulé. Le tabac a longtemps été l’apanage des hommes, et certains de ses usages étaient réservés à une élite, avant de se répandre dans toutes les strates de la société.

D’après le sociologue Patrick Peretti-Watel, le tabagisme est longtemps apparu comme une

« pratique démocratique », aussi fréquent parmi les cadres que parmi les ouvriers. Mais la différentiation sociale du tabagisme va croître avec les années, en particulier au cours de la dernière décennie.

Au fil du temps, le tabagisme va ainsi devenir un marqueur de précarité. Une précarité dans laquelle va s’inscrire la nouvelle situation de la femme. « Il y a aujourd’hui une relation forte entre la gestion de la précarité et le tabagisme, note Patrick Peretti-Watel. Les femmes sont dans des situations de plus en plus précaires. Elles sont de plus en plus présentes sur le marché de l’emploi et, si elles sont devenues de plus en plus actives, elles travaillent plus. La répartition encore inégale entre hommes et femmes des tâches domestiques ne permet pas de compenser cette « double journée de travail des femmes ».

De plus en plus, les femmes sont en charge de deux générations : la suivante – celle de leurs enfants (et petits enfants) – et la précédente – celle de leurs parents qui vieillissent et qu’il faut prendre en charge dans le cercle familial (sans oublier, dans certains cas, leur propre conjoint). « Suite à un certain nombre de transformations de la société contemporaine – taux d’activité des femmes, espérance de vie, besoin d’aide des plus âgés, répartition des tâches domestiques - , les générations de femmes qui ont entre 40 et 60 ans sont à un âge charnière, dans une société où on leur demande de plus en plus. Ces facteurs peuvent expliquer le fait que l’on observe une augmentation du tabagisme dans cette population et, malheureusement, le déclin de l’espérance de vie en bonne santé constaté chez les femmes. »

Les femmes : cibles de choix du marketing des industriels du tabac

« En plus des raisons sociologiques, la hausse du tabagisme féminin constatée depuis quelques décennies en France s’explique par l’influence des industriels du tabac qui, pour augmenter leur vente et leur profit, ont déployé des stratégies et outils marketing très ciblés et très efficaces pour inciter les femmes à fumer » explique Karine Gallopel-Morvan, Professeure des universités en marketing social à l’EHESP.

Parmi les outils et stratégies marketing déployés depuis plus de 50 ans par les industriels du tabac pour toucher les femmes, on peut citer par exemple :

- des publicités qui, dès les années 1920-1930, associent l’acte de fumer à l’indépendance, la minceur, la beauté, la modernité et l’émancipation des femmes ;

- des marques de tabac qui paient des célébrités de la mode et du cinéma pour qu’elles fument dans les films, magazines de mode et sur des publicités. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir des actrices ou mannequins avec une cigarette dans les magazines français.

- à partir des années 1970, la création de marques « spéciales femmes » qui évoquent la minceur, la mode, etc. (« Virginia Slims, Vogue, Corset, Yves Saint-Laurent, etc. ») ;

12 - la mise en vente de paquets de cigarettes attractifs en forme d’étui à rouge à lèvres ou de parfum, aux couleurs agréables (rose, vert, violet, paquets brillants, etc.), affublés de mentions qui font oublier la dangerosité du produit (Superslims, arôme, frisson, pink, etc.) » (encore en vente aujourd’hui sur le marché français et dans de nombreux pays) ;

- la vente de cigarettes longues et fines (qui évoquent la minceur) et aux arômes appréciés par les femmes (lilas, menthe, jasmin, etc.).

L’ensemble de ces dispositifs marketing a été efficace pour lever le tabou du tabagisme féminin, en donner une image positive, inciter les femmes à fumer et limiter l’impact et la portée des politiques de prévention mises en place par les gouvernements. Dans les années 70 en France, les industriels du tabac ont ciblé intensivement les jeunes filles pour les inciter à fumer. Ces jeunes filles sont aujourd’hui devenues mères et, sans en avoir conscience, perpétuent la normalité de l’image de femmes fumeuses devant leurs enfants. On doit à ce marketing et à un environnement globalement favorable au tabac l’augmentation de la prévalence du tabagisme féminin en France dans les classes d’âge de 40 et plus. En 2014, 24,3 % des femmes âgées de 15-75 ans fument régulièrement, 32,5 % des 20-25 ans, et 28,7 % des 26-34 ans.

Comment faire face à une telle addiction ?

« Il faut faire connaître l’envers du décor », plaide le Pr Bruno Housset, pneumologue au CHI de Créteil et Président de la Fédération Française de Pneumologie (FFP). « C’est dramatique à cause de la flambée de cancers du poumon observée actuellement, qui est quasiment épidémique, avec des femmes de plus en plus jeunes. L’autre aspect des choses est l’atteinte respiratoire, avec la BPCO qui gagne de plus en plus les rangs des femmes. » Ainsi le nombre de femmes atteintes d’un cancer du poumon a considérablement augmenté dans la période récente : il a plafonné à 500 décès pour 100 000 femmes dans les années 1982-1988, pour passer à 1300 pour 100 000 sur la décennie 2000-2010. En parallèle, sur les mêmes périodes, le nombre de décès par BPCO a fortement augmenté chez les femmes comme chez les hommes, conséquence directe du tabagisme.

Ainsi le risque de décéder d’un cancer du poumon s’est considérablement accru depuis 1920 : il est de 0,49 % pour la classe d’âge des femmes nées en 1920 (contre 4,98 % chez les hommes). Ce pourcentage va passer à 1,69 % pour les femmes nées en 1950 (donc multiplié par plus de 3) alors qu’il va baisser chez les hommes de cette même classe d’âge à 4,43 %.

En 25 ans, on a pu observer une stabilisation du nombre de cancers du poumon chez les hommes (autour de 50 pour 100 000 personnes), alors que les cancers ont fortement augmenté dans les rangs des femmes (Source : estimation nationale de l’incidence et de la mortalité du cancer en France entre 1980 et 2012, INCa, 2013)

Pour le Pr Housset, il ne faut pas hésiter à dire des vérités bien « frappées », à l’image de celles qui sont publiées sur le site Internet finnois tobaccobody.fi., qui explique en image l’impact du tabac sur l’organisme des femmes et des hommes. « Un vieillissement accéléré est associé au développement d’une BPCO. Il faut passer un peu de temps à expliquer aux personnes concernées qu’avant même les signes de BPCO, il y a une atteinte respiratoire qui témoigne du vieillissement. La notion d’âge pulmonaire peut aider à faire passer ce message.»

De plus, le tabac n’est pas sans incidence sur la fertilité des femmes. « Il entraine des réductions de la fertilité, des retards dans la conception, des diminution des capacités de

13 fécondation en cas d’exposition in utéro ou encore des risque de grossesse extra-utérine ».

Sans compter les interactions entre le tabac et la contraception orale, qui peuvent entraîner plus de phlébites, d’embolies pulmonaires et d’infarctus. Il est par ailleurs vivement recommandé aux femmes enceintes de ne plus fumer, tant les effets sur leur santé comme sur celle de leur futur enfant sont nombreux (prématurité, diminution de la croissance fœtale, petit poids à la naissance, altération des fonctions cérébrales du nouveau-né). En cas de tabagisme maternel, on a observé une augmentation du risque de syndrome de mort subite du nourrisson et des anomalies de développement.

Un sevrage tabagique au cas par cas

Responsable de l’unité de coordination de tabacologie au CHRU de Nancy, présidente de la Société francophone de tabacologie(SFT), le Dr Nathalie Wirth revient sur les réponses à apporter aux femmes qui vivent l’addiction au tabagisme. « L'aide à l'arrêt du tabac est important, explique la tabacologue : la nicotine est la drogue la plus puissante proposée sur le marché, cette forte dépendance complique l'arrêt du tabac ». La majeure partie des fumeurs veulent arrêter, mais ils se retrouvent handicapés par cette dépendance et trop souvent laissés à eux même, sans recours de proximité.

« La dépendance à la nicotine est une maladie chronique, ajoute le médecin. On n’en guérit jamais vraiment, le fumeur n'est jamais à l'abri d'une rechute. Mais si on parvient à un arrêt total, les bénéfices pour la santé sont notables. C'est une dizaine d'années de vie gagnées. » Aussi les professionnels ont-ils dans ce cadre un rôle important à jouer, en proposant des traitements efficaces et une prise en charge comportementale. Les consultations et le suivi sont longs, car il faut informer, inciter à l’arrêt du tabac et aussi convaincre de la nécessité de le faire. « Arrêter de fumer est une chose, prévenir les rechutes en est une autre. Aussi, faut-il rendre cet arrêt confortable afin de les éviter. La prise en charge doit être individuelle et personnalisée », ajoute la tabacologue. « C’est une fausse idée que les femmes auraient moins envie d’arrêter que les hommes, précise la spécialiste ; globalement plus de 70 % des fumeurs, quelque soit le sexe, veulent arrêter.»

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