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Comme pour Sylviane ou Sylvie, c'est l’addiction au tabac qui est à l'origine de la BPCO dans 80% des cas. La montée en puissance du tabagisme féminin depuis cinquante ans aboutit aujourd'hui à une réelle épidémie de BPCO, 3e cause de décès dans le monde en 2030, d’après l’OMS. Alors que les méfaits du tabac sont maintenant clairement identifiés et connus, les femmes continuent de fumer plus que jamais.

Une épidémie pas si égalitaire

« C’est le fruit d’une évolution sociétale » souligne le professeur Chantal Raherison, pneumologue à Bordeaux et présidente du groupe « Femmes et poumon » de la SPLF,

« le tabagisme des femmes a accompagné leur libération au cours des dernières décennies.

Aujourd’hui, nous en voyons les conséquences. Les données épidémiologiques montrent que le visage de la BPCO change ». La pneumologue rappelle que la BPCO concerne aujourd’hui autant les hommes que les femmes (voir infographie). Aujourd’hui le « profil » du malade BPCO n’est plus le stéréotype masculin de la BPCO – un homme de plus de 50 ans, fumeur ou ex-fumeur, qui tousse et qui crache régulièrement. En 2015, la réalité de cette maladie touche 50% d’hommes et 50% de femmes. On oublie trop ces dernières.

La maladie s’est donc féminisée et « rajeunie ». Dans certains pays – comme les USA, l’Autriche, l’Australie ou encore l’Islande – la prévalence de la BPCO est supérieure chez la femme que chez l’homme. Mais le visage de la maladie est différent selon qu’il s’agit des hommes ou des femmes. Cette pathologie présente souvent des caractéristiques particulières chez les femmes qui en sont atteintes. Si la BPCO reste une maladie sous-diagnostiquée dans les deux sexes, elle demeure « possiblement sous-estimée chez les femmes fumeuses par les médecins. » A tabagisme égal, le diagnostic de BPCO est moins souvent porté devant le cas d’une femme fumeuse (49 %) que devant le cas d’un patient fumeur (64,6 %).

Des études montrent par ailleurs que les femmes fumeuses développent une maladie pulmonaire un peu différente de celle des hommes, où les lésions d’emphysème (maladie des alvéoles pulmonaires qui détruit progressivement les poumons) seraient moins fréquentes et moins étendues que l’atteinte bronchique. Le profil clinique des femmes est à cet égard différent de celui des hommes : elles toussent davantage et ont moins d’expectorations que leurs homologues BPCO masculins. Si les femmes ont moins d’emphysème, elles pourraient, en revanche, avoir une atteinte bronchique plus marquée. « Il existe quelques éléments pour penser que les oestrogènes exercent un effet protecteur chez les femmes fumeuses et pourraient notamment expliquer que l’emphysème soit moins important chez elles. Mais la ménopause viendra favoriser la dégradation de la fonction respiratoire. »

Le retentissement de la BPCO sur la femme est souvent marqué par une précocité de l’atteinte respiratoire et par de l’anxiété ou un syndrome dépressif associé. Il est également démontré que la qualité de vie des gros fumeurs atteints de BPCO est plus altérée chez les femmes que chez les hommes. En revanche, chez la femme ayant une BPCO, l’altération de la vie sexuelle semble moindre que chez l’homme porteur de la maladie. Les femmes sont plus particulièrement gênées par la dyspnée (difficulté à respirer), et la BPCO

9 peut entraîner chez celles qui en sont atteintes une perte de confiance. La souffrance psychologique des femmes atteintes de BPCO est en effet plus importante que celle des hommes. S’y ajoute l’incompréhension de l’entourage car la maladie est invisible jusqu’à un stade avancé et donc difficilement compréhensible par l’entourage. « Il faut être attentif aux risques corrélés à l’anxiété qui sont une mauvaise image de soi, une perte de confiance et un désengagement - voire un isolement – social. Il faut donc agir pour améliorer le diagnostic précoce et la prise en charge de la BPCO », conclut la pneumologue.

Des symptômes plus insidieux chez les femmes expliquent le sous-diagnostic

Emilie Zard, 28 ans, jeune médecin généraliste exerce au sein d’un cabinet de groupe de 6 médecins. Elle considère qu’il n’est pas assez fait sur la BPCO, qui est à ses yeux un

« problème de santé publique considérable ». « Après discussion avec mes collègues, anciennement ou récemment installés, nous avons conclu que nous avons une représentation stéréotypée de la BPCO : c’est l’homme qui crache et qui tousse ». Alors qu’en matière de BPCO, les femmes ont désormais rejoint les hommes sur le pire des scénarios : le tabac.

Chez la femme, c’est beaucoup plus insidieux, le généraliste ne pense pas à ce diagnostic devant une femme car elle ne va pas se plaindre de toux ou de crachats. Elle va parler de sa fatigue, ou dire qu’elle a une déprime passagère. Elle mettra ces signes là sur le compte de sa vie quotidienne et invoquera la difficulté à s’occuper des enfants, ou la pénibilité du travail.

« Les gens viennent très peu nous voir parce qu’ils crachent le matin, cela peut passer inaperçu si on ne les interroge pas précisément dessus. Mais la mesure du souffle (spirométrie) aura vite fait d’éclairer le diagnostic. Au cabinet du médecin généraliste, la prise en charge doit se faire en fonction de signes cliniques différents : anxiété, dépression, plutôt que la toux et le crachat habituels. »

Un sevrage tabagique différent selon le sexe

« Dans cette prise en charge, le traitement médicamenteux est identique. En revanche, en terme de sevrage, ce n’est pas du tout pareil, précise la généraliste, un homme va vouloir arrêter de fumer du jour au lendemain. On ne peut pas vraiment influencer sa décision, c’est une sorte de déclic. Chez la femme, ce déclic est moins fréquent, parce que derrière tout ça, il y a la crainte de la prise de poids, qu’il faut prendre en compte avec sérieux.»

La généraliste reçoit en consultation davantage de femmes que d’hommes, elles devraient donc être plus accessibles à la prévention, au conseil minimal, etc. Pourtant, l’argumentaire sur l’arrêt du tabac reste délicat. Pour les femmes enceintes, l’argument porte car il y a une autre vie en jeu et la prise de poids rentre moins en ligne de compte à ce moment là, la grossesse fait prendre du poids quoiqu’il arrive. Ce serait donc un moment clé pour entamer un sevrage. « Pourtant, pour le sevrage tabagique, en tant que médecin, je trouve plus difficile de sevrer une femme qu’un homme. »

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Mais… on peut redonner du souffle au quotidien des femmes BPCO

Pour Daniel Piperno, pneumologue libéral à Lyon, le fait d’avoir une BPCO ne doit en rien condamner la femme qui en souffre à rester inactive. « Malgré une maladie respiratoire, il est tout de même possible d'avoir une activité physique régulière : augmenter son temps de marche, prendre les escaliers plutôt qu'un escalier mécanique ou un ascenseur etc. Autant de

« petites choses », de modifications de son mode de vie quotidien, qui contribuent à faire de l'activité physique régulière sans aller jusqu'à faire du sport. »

Selon lui, l'avantage de l'activité physique est qu’elle peut avoir une action préventive sur les comorbidités. On peut ainsi améliorer son hypertension artérielle, réduire son diabète, le syndrome métabolique (prise de poids). « Chez la femme BPCO en particulier, des études(7,8) ont démontré que l'anxiété et la dépression associées peuvent être diminuées grâce à un programme de réhabilitation respiratoire. » Dans ce cas, l'effet groupe est intéressant : le fait de se retrouver avec d'autres personnes qui ont la même pathologie aide à mieux comprendre sa maladie, à mieux la tolérer. Les résultats tendent à montrer que l’image de soi est restaurée et le risque d’isolement réduit.

Il existe donc des solutions pour redonner du souffle à son quotidien et améliorer sa qualité de vie. « Les femmes sont certainement plus sensibles au tabac, ce qui explique qu'à tabagisme moindre, elles déclenchent plus facilement des BPCO. Il faut à tout prix qu'elles se remettent en mouvement si elles ont une BPCO », conclut Daniel Piperno.

7  Schane R.E., Walter L.C., Dinno A., Covinsky K.E., Woodruff P.G. Prevalence and risk factors for depressive symptoms in persons with chronic obstructive pulmonary disease J Gen Intern Med 2008 ; 23 : 1757-1762  

8  Revue des Maladies Respiratoires Volume 28, numéro 6 pages 739-748 (juin 2011)  

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