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a. Une histoire de la prison

La prison telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas toujours pris cette forme. Elle a été remaniée tout au long de l’histoire à la suite d’événements, d’expériences, d’enquêtes, de projets… Elle fait suite à la lente disparition du supplice vers la fin du XVIIIe siècle, où la punition prenait encore la forme d’un spectacle et où l’on faisait subir de nombreuses souffrances physiques aux coupables entraînant le plus souvent la mort. Le supplice a donc fait place progressivement à la prison qui est devenue la punition légale de la société, le noyau central de la délinquance. Cette dernière basée sur l’enfermement des corps est apparue comme la forme de punition la plus acceptable dans la société. Selon Foucault (1975), la prison se fonde sur deux grands principes : la privation de liberté et la transformation technique des individus. Elle diffère donc du simple emprisonnement puisqu’elle cherche à rendre les détenus dociles, en les corrigeant par son contrôle ininterrompu sur le corps et la morale : la prison « devient la « bonne peine » en rapport aux

supplices passés, car elle a pour objectif de transformer le détenu » (Rostaing, 1997,

67-68). Elle exerce en effet une contrainte très forte sur les individus, elle prend pouvoir de leur corps, les dresse et contrôle tous les aspects de la vie quotidienne (emploi du temps, activités, pensées, gestes, espace…) : il s’agit du concept de « technologie politique des corps » de Foucault que nous avons déjà évoqué précédemment.

Cette solution que constitue la prison, s’impose comme l’unique réponse face à la délinquance, elle semble du moins être la plus acceptable. C’est une organisation qui paraît convenir à la société en attendant de trouver un système plus juste, car la prison subit de nombreuses critiques. Que ce soit à sa naissance ou aujourd’hui, elle est décrite comme un échec : elle ne diminue pas le taux de criminalité, elle provoque la récidive, elle favorise l’organisation d’un milieu de délinquants, fait tomber la famille du détenu dans la misère… Cette dénonciation et ces critiques apparaissent très tôt, pourtant le mode de fonctionnement de la prison est reconduit d’année en année. Les principes de la technique pénitentiaire restent les mêmes : correction, classification, modulation des peines, travail des détenus, contrôle

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technique… Cette institution fonctionne comme un « système simultané » (Foucault,

op.cit, 316) où la prison, son échec et sa réforme ne sont pas des périodes

successives, mais simultanées. Pour Foucault, l’échec serait un élément à part entière du fonctionnement de la prison qui permettrait de gérer les infractions. Elle ne serait pas destinée à les supprimer, mais plutôt « à les distinguer, à les distribuer,

à les utiliser » (ibid., 317). Ce serait un moyen pour la pénalité de gérer les

illégalismes en les différenciant.

C’est au XVIIIe siècle, dans un contexte de révolution, que la criminalité a été redéfinie suite à un illégalisme massif. Il y a eu de nombreux affrontements de la part du peuple qui se sont inscrits dans une lutte contre la loi, mais également contre la classe qui la dicte et l’impose. La loi et la justice ne punissent pas de la même manière tous les illégalismes et ce sont les crimes des classes populaires qui apparaissent comme les plus punis : « le crime n’est pas une virtualité que l’intérêt

ou les passions ont inscrite au cœur de tous les hommes, mais il est le fait presque exclusif d’une certaine classe sociale » (ibid., 321). Le système pénal a été créé par

une classe dans le but de punir une autre classe, qui à défaut de ressources ne comprend pas le langage de la loi qui se dit universel. Le pouvoir appartient aux classes dominantes. Les travaux de Wacquant (1999, 2004) sur la pauvreté de masse et le système carcéral aux États-Unis viennent appuyer ces propos. Pour l’auteur, le passage à un État pénal et paternaliste conduit à une hausse de la population carcérale ainsi qu’à une augmentation des inégalités (ségrégation). L’enfermement touche les individus issus des classes sociales les plus défavorisées, la prison devient une institution totale habitée par la misère. Elle met donc à part et marque une certaine forme d’illégalisme propre à la classe populaire « elle dessine, isole et

souligne une forme d’illégalisme qui semble résumer symboliquement toutes les autres, mais qui permet de laisser dans l’ombre celles qu’on veut ou qu’on doit tolérer » (Foucault, op.cit., 323). Pour Foucault, cette forme d’illégalisme qui n’est

pas plus nocive ou intense que les autres, mais qui est plus visible, est un effet de la pénalité que l’on nomme la délinquance.

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b. La population carcérale féminine

Rostaing (1997) écrit tout un livre sur les prisons de femmes, qui est l’une des premières enquêtes sociologiques traitant de la question en France. Elle cherche à étudier les relations entre les détenues et le personnel, leurs enjeux, les conflits et tensions, les provocations ou encore les relations amoureuses ; selon Rostaing « les

acteurs, étant principalement des actrices, auront peut-être l’idée de jouer de leur féminité et d’utiliser ce moyen comme forme de revendication identitaire. Le fait d’être une femme, incluant aussi bien l’ordre des représentations sociales que l’ordre des faits, peut être révélateur de stratégies (…) » (ibid., 15). Cette enquête

permet la production inédite de connaissances historiques et sociologiques sur le sujet.

C’est à partir du XIXe siècle que l’institution carcérale a imposé la non-mixité des établissements ainsi que la féminité des personnels. Il y a donc eu une séparation progressive et lente des hommes et des femmes, dans le but de protéger ces dernières et d’assurer le respect de la « pudeur ». Encore aujourd’hui la prison est une institution majoritairement masculine, les femmes en prison représentent seulement 3,7% de la population carcérale française en 20186. Selon Cardi (2007), le taux de féminité en prison à diminué depuis 1850 où il s’élevait à 20%. Cela s’explique notamment par la dépénalisation de différents délits dits féminins (avortement, fagots, émission de chèques…) et par la prise en charge de la surveillance des femmes par d’autres sphères non pénales. Elles seraient donc contrôlées de manière plus ou moins institutionnalisée et de façon informelle au quotidien notamment à travers le contrôle familial. De plus, la différence entre la délinquance féminine et masculine tend à se réduire de nos jours, les détenu·e·s sont pour beaucoup incarcéré·e·s pour atteintes aux biens ou infractions à la législation (Rostaing, op.cit., 100-101). Les atteintes à la personne – notamment les infanticides – sont encore considérées comme des crimes féminins malgré leur rareté, tandis que les hommes sont plutôt concernés par les atteintes aux mœurs (délinquants sexuels).

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Dans une institution créée par les hommes pour des détenus hommes, les femmes font face à de nombreuses inégalités. Malgré le fait que l’administration pénitentiaire semble appliquer les mêmes conditions de détention, elle agit de manière différenciée selon le sexe (Cardi, op.cit.). En raison du faible nombre de femmes, la gestion de la détention est personnalisée dans de nombreux « quartiers » – puisque très peu d’établissements leur sont spécifiquement consacrés. Ces « quartiers » sont généralement voisins avec les prisons d’hommes ; les activités et les équipements sont de ce fait réduits (Rostaing, op.cit.). Leurs besoins en matière d’accompagnement sont généralement peu assurés par une institution carcérale qui les néglige au profit des nombreux détenus masculins. Elles sont souvent loin de leur famille, incarcérées avec des détenues qui ont commis un crime très différent du leur, les programmes de réinsertion ne leur sont pas adaptés… « En prison, les

femmes ont les mêmes droits que les hommes, mais elles ont rarement un accès égal à ces droits. » (OMS, 2009, 6).

La population carcérale féminine est finalement caractérisée par sa vulnérabilité : « la situation sanitaire et sociale des femmes détenues est en effet

généralement bien plus précaire que celle de la population générale. Aux problèmes de santé, jugés inquiétants chez les femmes détenues, s’ajoutent des problématiques sociales dont les caractéristiques semblent partagées par l’ensemble des pays européens » (Sempé, 2016, 73). En référence au modèle de

Castel (1995) évoqué précédemment, les détenues se situent dans la zone de désaffiliation puisqu’elles vivent pour la plupart dans la pauvreté et leur situation sanitaire inquiète. Le corps semble fragilisé par l’imposition de contraintes. Il est enfermé, surveillé et les bouleversements subits sur les plans « spatiaux, temporels,

identitaires, organisationnels, sexuels et sensoriels » (Gras, 2004), peuvent causer

des pathologies diverses et parfois différentes selon le sexe. Privées de liberté et de contact avec l’extérieur elles sont également désaffiliées du point de vue relationnel. Leur réseau de sociabilité est limité aux relations avec les autres détenues et les surveillantes, les contacts avec la famille étant réduits aux entrevues dans les parloirs ou les Unités de Vie Familiale (UVF). De plus, les prisons des femmes peuvent accueillir des mères incarcérées accompagnées de leur nouveau-né – spécificité liée au sexe des détenues. Les « mauvaises mères » (Cardi, op.cit.) qui ont dû « abandonner » leurs enfants lors de leur incarcération et celles qui ont

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commis un crime touchant à l’enfance sont encore plus discriminées – pour des raisons évidemment différentes. Elles sont accusées d’avoir échoué au rôle normatif de mère en sortant de leur cadre et de leur genre ; « plus qu’un homme, une détenue

est asservie, son corps est enfermé, sa culpabilité est aggravée par le fait d’avoir un enfant en prison, ou des enfants qui l’attendent dehors. Toute femme qui commet un délit est doublement coupable, d’un délit réprimé par la loi et d’un délit contre l’ordre moral » (Rostaing, op.cit., 71). Les détenues subissent

finalement une domination sexuelle, sociale et institutionnelle.

c. Sport, prison et femmes

« Dans la gestion de la vie carcérale, il existe un objectif qui mobilise le temps

du personnel : éviter les troubles, diminuer les tensions, permettre aux détenus de supporter leur condition » (Rostaing, op.cit., 122). C’est ainsi que le sport vient

répondre aux missions pénitentiaires et peut accompagner la peine des détenu·e·s : il renvoie à la fois à la réinsertion et au contrôle. Pour l’institution il constitue un outil privilégié et coercitif pour contrôler les comportements des détenus masculins en général : occupés par des activités physiques ils seraient moins enclins à provoquer des altercations, la pratique leur permettrait de les défouler et ils seraient tenus de respecter des règles. De plus, le sport répondrait à trois objectifs principaux : sanitaire, de pratique d’un loisir et/ou passe-temps, et de promotion et renforcement des aptitudes sociales (Sempé, op.cit.). Gras (op.cit.) dresse dans son ouvrage toute les fonctions du sport en milieu carcéral : apport pour la santé, lutte contre la sédentarité, vecteur d’intégration locale, transmission de valeurs éducatives, autocontrôle, catalyseur des tensions… Le sport est en capacité de faciliter le quotidien de tous les acteurs en prison, « mais il faut faire table rase des

mirages : "le" sport n’est pas insérant ou socialisant par nature. Il est aussi le théâtre de multiples enjeux liés à l’établissement des relations de pouvoir qui régissent les interactions des acteurs en présence » (Bodin, Robène, Héas, Sempé, 2007, 169-

170). En effet, les détenu·e·s peuvent choisir de participer à cette activité, mais devront alors respecter de nombreuses normes et règles pour avoir la possibilité d’y accéder. La pratique sportive en prison favorise à la fois l’autocontrôle (par la contrainte) et la sociabilisation.

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Concernant le sport, les femmes détenues sont censées bénéficier des mêmes droits que les hommes, mais elles ont rarement un égal accès : « souvent confinées

dans des quartiers de détention, des unités ou des sections au sein d’établissements à dominante masculine, les femmes souffrent d’un traitement différencié à l’égard du sport » (Sempé, 2016, 29). C’est notamment les maisons d’arrêt qui sont

considérées comme les « parents-pauvres » de l’administration pénitentiaire, « en

matière de sport, le développement de la pratique des activités physiques et sportives dépend essentiellement des structures existantes, inégales » (Rostaing, op.cit.,121). Dans la plupart des prisons, très peu d’heures de sport sont prévues

pour les femmes, et les installations ne permettent pas une pratique adaptée. Lorsque des activités sont proposées, les détenues sont très peu nombreuses à participer et manquent de régularité. Cela s’explique notamment par le fait qu’elles sont occupées par leur travail ou leurs études, réalisés au sein de la prison. Elles ont pour la plupart un très faible capital sportif, elles n’ont pas développé de goût pour la pratique : c’est la conséquence d’une socialisation sportive différenciée. De plus, le sport n’est pas organisé pour elles, les programmes proposent des activités greffées sur le modèle traditionnel dominant – et donc masculin – (Sempé, op.cit.). Ainsi les femmes en prison restent pour la plupart discriminées en matière de sport et leur pratique dépend des moyens disponibles, souvent limités, car « les ressources

sont rares en prison » (Rostaing, op.cit., 122).

C. Les gens du voyage

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