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B. Contrôle des corps et normalisation

VI. CONCLUSION

VI. Conclusion

Face au constat d’une vulnérabilité accrue des publics étudiés, se pose la question non seulement de l’accès au sport, mais aussi de son rôle et des effets qu’il produit sur eux. Malgré la diversité des dispositifs d’insertion et des trajectoires personnelles des enquêtés, nous avons pu identifier des orientations communes quant à l’utilisation et l’organisation du sport. L’impact positif de ce dernier sur les détenues et les voyageurs peut être analysé à travers trois processus : la construction de dispositions sportives, le développement du capital relationnel, l’ouverture vers l’extérieur et vers la pratique mixte.

Pour les individus participant régulièrement aux séances d’activités physiques, notre analyse a permis de mettre en évidence la création (ou la réactivation) de dispositions sportives. La découverte et l’appropriation du monde sportif jusqu’alors méconnu sont rendues possibles par l’apprentissage de règles, la mise en mouvement du corps et surtout la participation aux interactions sociales. Les apports en matière de formation du capital relationnel sont perceptibles : la désaffiliation que les détenues et les gens du voyage vivent, peut-être atténuée au travers de la pratique collective. Nous avons mis en évidence les prémices d’un processus d’ouverture vers l’extérieur, visant à la fois la diminution du stigmate vécu par ces « exclus », ainsi que l’acceptation de ces derniers par les « autres ». Le sport permet d’envisager une sortie de l’entre-soi social et/ou ethnique, mais aussi de l’entre-soi sexué. La mixité établie chez les jeunes du voyage contribue à la redéfinition des rapports sociaux de sexe, vers la construction d’une vision plus égalitaire des genres.

Même si l’ouverture est tout à fait relative et souvent entravée par les représentations collectives, les différences culturelles des publics, ou les violences, les résultats sont encourageants pour l’avenir des dispositifs « socio-sportifs ». En s’adaptant aux spécificités et aux besoins des populations vulnérables, le « socio- sport » permet de favoriser leur accès à la pratique et intervient dans le processus d’intégration (Collet, op.cit.).

VI – Conclusion

Les résistances qui ont émergé de l’analyse concernent principalement l’accès à la pratique sportive des femmes du voyage et des détenues. Malgré la démarche « d’aller vers » entreprise par les acteurs·trices du terrain, les femmes les plus éloignées de la pratique restent « exclues ». Celles qui parviennent à s’y investir sont finalement les plus équipées socialement. Il s’établit un processus de sélection, les plus démunies s’auto-éliminent de l’espace sportif (Sempé, op.cit.), car ce qui s’y joue est en contradiction avec leur identité de genre et leur habitus de classe populaire : les inégalités sont reconduites.

Par ailleurs, une fois que la pratique a été rendue accessible, nos observations ont permis de conclure que les usages du corps et du sport des participantes restent principalement définis par la position de dominées qu’elles occupent dans la hiérarchie sociale et sexuée. « Le sport réclame de "vraies" femmes et de "vrais"

hommes au sens le plus classique : femmes féminines, hommes virils » (Louveau, op.cit., 180). Sur la scène sportive, l’identité de genre va donc être renforcée sur la

base du modèle hégémonique féminin à travers le rejet des activités violentes et la mise en valeur d’un corps fin et sculpté pour « plaire ». Tout comme les hommes des classes populaires rejettent la féminité, les femmes vont être rebutées par tout ce qui renvoie à la masculinité. Les voyageuses et les détenues remettent finalement rarement en question le caractère inégalitaire de relations entre les hommes et les femmes ; les transgressions relèvent de l’interdit, ou viennent confirmer l’ordre binaire des genres et la hiérarchie sexuée. « Les "transgressions" sexuelles sont

souvent aujourd’hui les exceptions qui ne font que confirmer la règle de l’ordre symbolique. Judith Butler le disait déjà en 1990 : "En soi, la parodie n’est pas subversive". Elle peut apporter le trouble, ou au contraire signifier une domestication » (Fassin, 2005). Les rares tentatives de subversion que nous avons

observées ont mené à la « domestication », au dressage, au contrôle des corps.

Notre analyse a finalement abouti à la critique de la fonction disciplinaire du sport. En effet, si le sport incarne des valeurs éducatives dans certains contextes, il cache également un autre objectif : la recherche de normalisation des populations « vulnérables ». En mal d’intégration elles sont jugées « inutiles au monde » et « surnuméraires » à la société (Castel, op.cit., 20). Le sport constitue alors l’un des

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procédés disciplinaires qui participent au contrôle des individus : « le modelage du

corps donne lieu à une connaissance de l'individu, l'apprentissage des techniques induit des modes de comportement et l'acquisition d'aptitudes s'enchevêtre avec la fixation de rapports de pouvoir » (Foucault, op.cit., 345). Entre assujettissement et

éducation, les frontières de l’insertion par le sport sont floues ; les modèles sportifs employés – aussi divers qu’ils puissent être – peuvent participer à la fois au contrôle des corps de ces populations vulnérables et à leur socialisation.

Cette étude sur les usages du sport « socialisateur » et sur les publics « vulnérables » pourrait être approfondie. Nous pourrions notamment cibler les populations migrantes qui partagent avec les détenu·e·s et les gens du voyage leur désaffiliation sociale, leur « enfermement », ainsi que la marque du stigmate (liée à leurs différences culturelles et à la question de leur présence (il)légitime). Quel rôle le sport peut-il jouer dans le processus d’intégration sociale ? De plus, une double ouverture vers les publics masculins et féminins pourrait nous permettre de poser la question de la différence des sexes et des rapports sociaux de sexe, toujours dans une perspective intersectionnelle (Crenshaw, op.cit.). La lutte contre les inégalités sociales et sexuées est-elle envisageable à travers la pratique « socio-sportive » ?

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