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Chapitre 2 : Évaluation du potentiel de méthodes de lutte aux petites populations de roseau

2.4 Discussion

2.4.4 Fauche répétée

La fauche répétée a engendré des résultats mitigés, autant après une que deux saisons de traitement. Étant donnée la grande variabilité des résultats, on ne peut conclure que le fauchage a entrainé une différence significative de la densité des tiges de roseau en comparaison au témoin, bien que la valeur moyenne mesurée soit environ trois fois supérieure dans le cas des fauches. Une augmentation initiale de la densité des tiges était toutefois prévisible. En effet, une méta-analyse européenne sur les effets de la récolte de roseau a conclu qu’une coupe initiale de la plante résulte en une augmentation de sa densité (Valkama et

al., 2008). Ce phénomène est appuyé par plusieurs autres études ailleurs dans le monde (Warren et al.,

2001; Asaeda et al., 2006; Huang et al., 2014), à l’exception des travaux de Derr (2008a), où on a rapporté une baisse importante de la densité des tiges après différents traitements de fauche répétée maintenus pendant une saison de croissance.

Le mécanisme expliquant l’augmentation de la densité des tiges après le fauchage n’a pas été élucidé dans la littérature scientifique. Néanmoins, quelques hypothèses ont été formulées. En étudiant l’effet des dommages d’insectes sur les tiges de roseau, un phénomène similaire a été observé et il a été conclu que le nombre de tiges latérales produites par tige endommagée était proportionnel à la densité des tiges

endommagées (Tscharntke, 1990). En d’autres termes, plus les dommages sur les tiges sont importants, plus le nombre de tiges latérales augmente, donnant lieu à de plus grandes densités de tiges de plus faible dimension (Tscharntke, 1999). Il a été suggéré que ceci serait dû à l’augmentation de l’intensité lumineuse suivant les dommages, ce qui stimulerait des bourgeons dormants sur les rhizomes, lesquels produiraient par la suite plus de tiges latérales (Tscharntke, 1999). Cette hypothèse pourrait également être envisagée pour les effets du fauchage sur une population. Il a également été proposé que la litière aurait un impact important sur la densité des tiges et que son extraction serait en partie responsable des augmentations mesurées (Haslam, 1971a). Il a été montré qu’une litière épaisse, cachant presqu'entièrement le sol, pouvait faire chuter la formation de bourgeons de 100 à 6 par m2 et qu’en enlevant celle-ci, la densité des tiges de roseau pouvait grimper dans des proportions de 120 à 400 %. Haslam (1971a) a suggéré que l’effet d’une litière épaisse sur la densité des tiges est attribuable à l’influence de la litière sur les écarts de température subis par les rhizomes situés le plus en surface. L’auteure propose qu’en enlevant la litière, les bourgeons du roseau subissent une plus grande mortalité due au gel, entraînant ainsi l’activation d’une quantité supérieure de bourgeons. Le gel ne peut toutefois pas expliquer les résultats des études, dont la présente, où le fauchage et l’échantillonnage ont été effectués à l’intérieur d’une période où il n’y avait pas de gel au sol.

En ce qui concerne le recouvrement de roseau suite au fauchage, les résultats après la première saison montrent que le roseau y occupe un recouvrement qui est en moyenne 45% plus bas que dans le témoin. Cet écart n’est toutefois pas significatif après la seconde saison de traitement, bien que la valeur moyenne du recouvrement soit environ trois fois inférieure à celle mesurée dans le témoin. La grande variabilité des résultats peut encore une fois expliquer pourquoi il n’est pas possible de statuer sur l’effet observé. Dans les faits, l'impact à court terme du fauchage sur le recouvrement semble difficile à prévoir. Ainsi, dans la littérature, il est noté que le fauchage peut entraîner une baisse (Derr, 2008a), une hausse (Warren

et al., 2001) ou bien un effet non significatif sur le recouvrement (Breen et al., 2014).

En analysant l'effet des traitements sur la différence entre les mesures finales de densité et de recouvrement de la seconde et de la première saison de traitement, l’analyse montre toutefois que le traitement de fauche répétée a généré un effet plus important que celui mesuré chez le témoin. Ainsi, suite à la seconde année de fauche répétée, la densité et le recouvrement de roseau ont diminué significativement en comparaison à la variation du témoin, ce qui suggère que la seconde année de traitement a eu un effet sur la vitalité de la plante. Ceci pourrait être attribuable à un certain

d’épuiser ces dernières. Au début de chaque saison de croissance, une partie importante des réserves en glucides serait allouée à la croissance des organes aériens de la plante (Dinka et Szeglet, 1999; Čı́žková

et al., 2001). Il en serait de même pour les réserves des nutriments minéraux les plus importants pour la

croissance du roseau (Granéli et al., 1992). Après avoir assuré la formation des tiges aériennes, les rhizomes recommenceraient par la suite à restaurer leurs réserves à partir du mois de juin (Granéli et al., 1992; Asaeda et al., 2006). Le taux de renouvellement annuel des rhizomes serait par ailleurs d’environ 30 % (Granéli et al., 1992) et les rhizomes vivraient généralement de trois à six ans (Fiala, 1976; Haslam, 2009). Ainsi, en maintenant un régime de fauches soutenu, il serait théoriquement possible de forcer la plante à épuiser graduellement ses réserves suite à plusieurs années de traitements. Le roseau est toutefois reconnu pour sa capacité à accumuler des réserves importantes (Fiala, 1976; Granéli et al., 1992) et aucune étude n'a évalué la période de temps pouvant mener à un tel épuisement. Néanmoins, les résultats de la présente étude suggèrent qu’il y a effectivement un affaiblissement graduel de la plante suite au maintien du traitement. Il serait intéressant d’examiner s’il est en effet possible de parvenir à un épuisement des réserves et, le cas échéant, en combien d’années, pour ensuite envisager un suivi manuel des repousses avec une méthode telle le badigeonnage d’herbicide.

Bien que l'effet de la fauche répétée semble s'accentuer suite au maintien du traitement sur plusieurs années, le potentiel de la méthode afin de lutter contre le roseau, à court ou moyen terme, se limite donc à une maîtrise temporaire de la plante. Ceci peut toutefois constituer une option d’intérêt afin de réduire l’abondance de la plante à un niveau acceptable, particulièrement lorsque les autres méthodes ne sont pas possibles, et permet surtout d’empêcher la production de graines, qui contribuent fortement à l’initiation de nouvelles populations de roseau (Albert et al. 2015).