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La fatigue dans le cadre de la Mécanique l’Endommagement Le point de vue des

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1.1.6 Finalement, conceptuellement, que doit-on faire ?

La naissance de l’étude de la fatigue (début du 19ème, Albert [1]) s’est faite sur des structures et donc dans le cadre de la Mécanique de la Rupture (début du 20ème siècle, Hopkinson [31], Griffith [24]). Dans ce cadre, nous pouvons estimer que les prévisions sont bonnes (surtout du point de vue expérimental). Ces bonnes prévisions sont essentiellement dues à un processus d’identification de ses lois qui est fait sur la structure considérée. Donc, le prix à payer pour cette qualité de résultats est une identification par problème (un matériau, une géométrie, un type de sollicitation) traité. Et, dans ce fonctionnement avec la Mécanique de la Rupture, rien n’est envisageable pour atténuer ce coût d’identification qui peut être rédhibitoire.

Alors, l’apparition de la Mécanique de l’Endommagement (milieu du 20ème siècle, Kachanov [32]) avec ses appuis sur la Mécanique des Milieux Continus (début du 19ème siècle, Navier [41]) a fait envisager que les problèmes de fatigue des structures pouvaient être traités dans un cadre plus souple. En particulier, les identifications ne sont alors plus dépendantes ni de la géométrie, ni de la sollicitation, mais uniquement attachées au matériau considéré. Pourtant, d’autres difficultés sont apparues qui induisent un emploi abusif des concepts de la Mécanique de l’Endommagement, lorsqu’elle traite les problèmes de fatigue des structures. Schématiquement, il s’agit de l’emploi systématique et non justifié, de grandeurs structurales dans une équation (différentielle) d’évolution locale.

Malgré cela, notre objectif est d’utiliser la Mécanique de l’Endommagement pour réaliser le dimensionnement à rupture de structures soumises à des sollicitations de fatigue. Pour y parvenir nous allons tenter de faire rentrer la fatigue dans un cadre de fonctionnement justifié et structuré afin qu’elle puisse utiliser correctement les concepts de la Mécanique de l’Endommagement.

La question qui se pose maintenant est de savoir si tous les phénomènes physiques d’endom- magement qui peuvent apparaître dans les structures soumises à une sollicitation de fatigue se prêtent à ce cadre.

1.2

La fatigue dans le cadre de la Mécanique l’Endommagement.

Le point de vue des phénomènes

Pour pouvoir utiliser la Mécanique de l’Endommagement à la prévision de la rupture d’une structure en fatigue, il faut que le phénomène d’endommagement considéré soit de petite taille et diffus. Des phénomènes d’endommagement de cette nature existent-ils si le matériau constitutif de la structure est un métal ? Des phénomènes d’endommagement de cette nature existent-ils si le matériau constitutif de la structure est un composite ?

1.2.1 Pour les matériaux métalliques, un cadre mal adapté aux phénomènes et mal utilisé. Bibliographie succincte

Un état de l’art quasi-exhaustif concernant la fatigue des structures et des matériaux mé- talliques peut être trouvé dans les publications de Schutz [49] (1996) et de Schijve [48] (2003). Il y est plutôt question des approches de la fatigue faite dans un cadre de la Mécanique de la Rupture. Il ressort de ces articles que jusqu’à donc il y a une quinzaine d’années :

— expérimentalement, les plus grands nombres de cycles effectués sont de l’ordre de 106 et

les résultats obtenus sont admis comme étant extrapolables jusqu’à un nombre de cycles tendant vers l’infini ;

— ainsi, il existe une limite de fatigue non nulle (c’est-à-dire une intensité de sollicitation non nulle) en-dessous de laquelle le matériau de la structure considérée ne s’endommage pas, soit, en d’autres termes, en-dessous de laquelle la structure considérée ne sera jamais en état de rupture ;

— les phénomènes de fatigue sont observés comme étant des phénomènes surfaciques (Fig. 1.3, Fig. 1.4).

Cette dernière remarque est importante : elle souligne sans équivoque qu’une approche de la fa- tigue des structures métalliques basée sur la Mécanique de l’Endommagement n’est pas correcte. Pourtant ce type d’approche a été largement réalisée et utilisée, notamment pour son avantage considérable quant aux aspects d’identification des lois, par rapport à la Mécanique de la Rup- ture. Les publications de Chaboche [12] (1974), Chow et Wei [13] (1991), Xiao et al. [73] (1998) et Shen et al. [51] (2015) sont chronologiquement et scientifiquement représentatives de ce courant de pensée. Ces travaux ne devraient donc pas utiliser la Mécanique de l’Endommagement pour étudier ces phénomènes physique de fatigue.

Depuis une quinzaine d’année, les techniques expérimentales d’essais et d’observations ayant été améliorées, les idées plus anciennes ont été bousculées [36] [34] :

— expérimentalement, les plus grand nombres de cycles effectués sont supérieurs à 1010;

— les phénomènes de fatigue sont observés comme étant des phénomènes surfaciques si les structures testées sont minces, mais aussi volumiques si les structures testées sont épaisses et ceci pour à peu près tous les ordres de grandeurs de nombre de cycles ;

— pour des nombres de cycles très importants (de l’ordre de 109 et au-delà) donc des sol-

licitations d’intensité très faible, quelle que soit l’épaisseur de la structure testée, nous observons des endommagements volumiques, la rupture de la structure et par conséquent, la disparition de la notion de limite de fatigue qui avait été jusqu’à présent admise ; — ces endommagements volumiques semblent naître à cause d’inclusions non métalliques et

donc de manière aléatoire quant à la pureté du matériau de la structure (Fig. 1.5). Ces nouvelles conclusions significativement différentes des précédentes, ne vont de toute façon toujours pas vers le bien-fondé de l’utilisation de la Mécanique de l’Endommagement pour traiter la fatigue des structures métalliques.

1.2.2 Pour les matériaux composites à fibres continues, un cadre bien adapté aux phénomènes mais mal utilisé. Bibliographie succincte

Pour bien aborder le cas des matériaux composites, il est important d’avoir en tête le fait que les habitudes nées de l’utilisation des matériaux métalliques et de leurs modèles ne sont pas toujours très bonnes lorsqu’il s’agit de les appliquer à ces matériaux [33].

Dans le cas où le concept de fatigue est appliqué aux structures dont le matériau constitutif est de type composite à fibres continues (typiquement les stratifiés d’unidirectionnels orientés), le point qu’il convient de mentionner en premier lieu est le fait que tous les endommagements présents dans ces structures composites sont des endommagements qui apparaissent dans l’épais- seur des structures. En revanche, ils ne sont pas tous diffus (le délaminage par exemple) : ils ne sont donc pas tous candidats à pouvoir être traités par la Mécanique de l’Endommagement. Par contre, à une échelle matérielle judicieusement choisie, le phénomène de fissuration intralami- naire l’est. C’est d’ailleurs lui sur lequel nous concentrerons nos efforts et qui servira de support à nos applications (Fig. 1.6, Fig. 1.7, Fig. 1.8). Ainsi, pour lui spécifiquement (et à cette échelle), nous pourrons parler de la fatigue du matériau composite à fibres continues dans le cadre de la Mécanique de l’Endommagement. Ce phénomène d’endommagement sera étudié très en détail plus loin dans le document.

1.2. La fatigue dans le cadre de la Mécanique l’Endommagement. Le point de vue des

phénomènes 41

En second lieu, précisons que si dans ce document une critique est formulée au niveau du choix de la modélisation des phénomènes d’endommagement de fatigue par la Mécanique de l’Endommagement, en revanche, aucune critique n’est formulée quant à l’utilisation même de cette Mécanique, ni à la description physique de ces phénomènes. En effet, de nombreux travaux, depuis de nombreuses années, les décrivent parfaitement, notamment ceux de Talreja et al. [55] [59] [58] [57] [21].

Ensuite, précisons que si notre propos est de parler de la fatigue des composites, il y a encore peu de temps, il était plutôt d’usage de penser que les phénomènes de fatigue ne concernaient pas ces matériaux et notamment ceux à fibres continues en carbone. Ainsi, il y a encore moins d’une dizaine d’années, l’endommagement en fatigue pour les composites à fibres longues de carbone n’était généralement pas considéré en conception [5]. En fait, cela est justifié en première approximation : les fibres de carbone ne sont effectivement pas sujettes à la fatigue et conservent leurs propriétés quelles que soient les sollicitations (inférieures à celles de rupture évidemment) auxquelles elles sont soumises. Néanmoins, il est désormais connu que des endommagements mineurs (fissuration intralaminaire, par exemple), provoqués sous sollicitations quasi-statiques ou de fatigue, peuvent être des sites privilégiés de concentrations de contraintes et à l’origine de ruptures de fibres ou de délaminage, endommagements fortement préjudiciables pour la tenue mécanique d’une structure en composites à fibres longues de carbone. De même, le caractère visqueux de la matrice de ces composites induit une augmentation, au cours du temps, de la charge supportée par les fibres, qui donc continuent de se rompre, même lorsque la sollicitation structurale appliquée est maintenue constante [8]. Finalement, parler de la fatigue des composites à fibres continues de carbone est désormais admis, d’autant que la rupture de ces matériaux est de type mort-subite, et que le carbone étant onéreux, diminuer les coefficients de sécurité permet d’envisager des économies importantes, sous réserve que les structures soient finement dimensionnées.

Les commentaires qui suivent sont relatifs ou issus de la lecture d’une unique publication, celle de Degriek et Van Paepegem [16]. Cette publication fait l’inventaire (en 2001, 141 réfé- rences) quasi-exhaustif des modèles de fatigue existants (à cette date) sur les composites à fibres continues. Les remarques qui vont être faites sont toujours valables sur les modèles écrits depuis. Les deux remarques majeures faites par Degriek et Van Paepegem qui illustrent le propos qui est le nôtre (mise en évidence de flou dans le discours relatif à la notion de fatigue) sont les suivantes :

— beaucoup de modèles sont établis pour des stratifiés particuliers, sous des sollicitations particulières et l’extrapolation à des structures réelles est très compliquée, voire impos- sible ;

— la plupart des campagnes expérimentales d’observation du phénomène de fatigue et/ou d’identification de ces modèles sont réalisées par des essais de traction uniaxiale sur des éprouvettes cylindriques, donc, dans des conditions d’uniaxialité des contraintes (à l’échelle qui ne voit qu’un matériau homogène au sein de l’éprouvette testée), ce qui est exceptionnel au sein d’une structure.

Il ressort également de l’analyse de Degriek et Van Paepegem que les modèles de fatigue peuvent se classer en trois grandes catégories :

— catégorie 1 - Les modèles visant à prédire la durée de vie. Ces approches, généralement ma- croscopiques, ne tiennent pas compte du mécanisme d’endommagement mais sont basées sur l’introduction d’un critère de rupture en fatigue et l’utilisation des courbes de Whö- ler, qui définissent, pour une structure, une relation entre la sollicitation (abusivement souvent appelée contrainte) appliquée et le nombre de cycles à rupture ;

— catégorie 2 - Les modèles phénoménologiques qui utilisent le concept de propriété rési- duelle. Ils donnent généralement l’évolution d’une propriété en fonction du nombre de cycles ;

— catégorie 3 - Les modèles qui prennent en compte l’aspect progressif de l’endommagement et utilisent une ou plusieurs variables d’endommagement pour décrire l’accumulation de l’endommagement.

Les commentaires que nous pouvons faire sur les différentes classes précédentes sont les sui- vants :

— catégorie 1 - Ces modèles sont donc implicitement fondés (plus ou moins adroitement) sur la Mécanique de la Rupture. Ils sont, a priori, non sujets à caution ;

— catégorie 2 - Ces modèles sont généralement écrits ou utilisés de manière locale avec la Mécanique de l’Endommagement alors que leur formalisme est (ou devrait être clairement) celui la Mécanique de la Rupture ;

— catégorie 3 - Ces modèles sont généralement correctement écrits dans le cadre de la Mé- canique de l’Endommagement. En revanche, leur loi d’évolution locale utilise le concept structural de nombre de cycles (sans justification), n’est jamais justifiée thermodynami- quement (à part, par le fait que l’endommagement est strictement croissant) et les essais d’identification se résument généralement à des essais où l’état de contrainte dans l’éprou- vette d’identification est uniaxial.

Toutes ces remarques confirment, pour les matériaux composites à fibres longues, le flou déjà mis en évidence sur le sujet de la fatigue.

Rajoutons, pour clore cette discussion sur l’état de l’art des modèles de fatigue dédiés aux composites, quelques informations chronologiques en évoquant les grandes tendances (d’ailleurs plutôt indépendantes du concept de fatigue, mais bien plus liées à la nature même et à la nou- veauté de ces matériaux [59]), qui se sont dégagées durant les 30 dernières années. Les premiers matériaux utilisés dans les applications industrielles de haute technologie furent les matériaux métalliques. Aussi, les lois de comportement de ces matériaux examinées sous l’angle de sollicita- tions quasi-statiques ou de fatigue furent largement étudiées. Il est donc légitime que l’histoire de la fatigue pour les matériaux composites y trouve son inspiration, avant de se distinguer par des techniques particulières récentes. Ainsi, dans les années 1980, période où l’essort des matériaux composites devient significatif, les modèles de fatigue pour ces matériaux se retrouvent en géné- ral, sous la forme de lois de Miner (années 1940) et Paris (années 1960) et des concepts de courbes de Whöler. Puis, à partir des années 1990, l’essor de la Mécanique de l’Endommagement, induit l’apparition de modèles dont la structure est spécifiquement adaptée aux composites [29] [28] [44]. Enfin, depuis les années 2000, ce cadre de la Mécanique de l’Endommagement est fortement couplé avec les processus multi-échelles.

Pour notre part, nous sommes placés dans cette dernière mouvance.