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Chapitre 4 : Discussion

4.2 Conclusions sur les modèles animaux

4.2.3 Localisation et fonction de FANCI dans les souris de type sauvage

4.2.3.1 FANCI et la réparation des ICLs pendant la gamétogenèse

Le fait que le phénotype de stérilité soit plus prononcé dans nos souris Fanci-/- que dans celles

Fancd2-/- nous a semblé une piste de fonctions distinctes entre les deux partenaires. Nous sommes donc

revenus à des animaux de type sauvage pour comprendre comment ces deux protéines intéragissent en temps normal dans les gonades. Par des analyses histologiques, nous avons comparé la localisation de FANCI et FANCD2 dans des ovaires et des testicules sains. Une courte parenthèse est d’abord ouverte sur la réparation de l’ADN au cours de la gamétogenèse, afin de mieux replacer nos résultats dans leur contexte biologique. La Figure 4.3 rassemble et illustre toutes ces connaissances.

Dans les cellules méiotiques mâles, seuls les dommages réplicatifs sont réparés [219], alors que tout au long de la maturation des ovocytes, les mécanismes de réparation de l’ADN restent actifs [220, 221]. À la fin de la méiose (c’est-à-dire à partir des spermatides allongés ou des ovocytes secondaires préantraux), les gamètes entrent dans une phase de latence, où plus aucune réparation de l’ADN ni transcription du génome ne sont assurées [220, 222, 223].

Plus précisément, ces « gamètes en devenir » sont capables de détecter les ICLs, mais aucun point de contrôle ne semble activé pour les réparer. Cette tolérance aux ICLs permettrait de poursuivre le processus de maturation [222], selon un mécanisme encore méconnu.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’absence de réparation de l’ADN dans les gamètes mâles : (1) elle permet de limiter la consommation d'énergie pour la consacrer à l’échange des histones avec les protamines ; (2) les mutations générées sont bénéfiques à l'évolution ; (3) le niveau d’instabilité génomique du gamète mâle serait communiqué de cette manière à l'ovocyte, à qui la décision de survie ou de mort du zygote revient, avant de s’implanter et de devenir un embryon [221].

On s’attend donc à ce que la voie FA-BRCA soit contournée ou inactivée dans les cellules méiotiques mâles et femelles pour tolérer la présence d’ICLs. Cependant, une étude récente rapporte que les protéines FANCB, FANCG, FANCM, FANCD2, FANCI et FANCJ sont exprimées dans les cellules germinales mâles et pendant la phase pré-leptotène [224] (Figure 4.3). Puis, à partir des spermatides ronds (stade après lequel le génome n’est plus réparé), les protéines FANC sont absentes malgré la détection de leur ARN messager, ce qui suggère qu’ils sont dégradés ou réprimés traductionnellement [224]. À noter aussi que FANCL serait totalement absente des cellules méiotiques. Au vue du patron d’expression assez particulier des protéines FANC au cours de la méiose (du moins chez les souris mâles), il a été avancé que les complexes formés par ces protéines pourraient être différents de ceux habituellement retrouvés dans les cellules mitotiques [224], ce qu’on pourrait associer à une autre stratégie d’inactivation de la voie FA-BRCA. Cependant, il ne faut pas exclure que d’autres membres de la voie FA-BRCA n’ont pas encore été identifiés, d’autant plus s’ils sont spécifiques à ce type cellulaire [224].

En ce qui concerne FANCI, l’étude de Jamsai et al. corrobore nos observations, dans la mesure où la protéine est nucléaire jusqu’aux ovocytes secondaires préantraux (la phase de latence avant l’ovulation), puis n’est plus détectée. FANCD2 est décrite comme nucléaire dans les cellules germinales (c’est-à-dire les seules cellules mitotiques de la spermatogenèse), puis ne serait plus que cytoplasmique à partir de l’entrée en méiose, laissant FANCI seule au noyau. Ce résultat est très surprenant – même si relevé par deux études indépendantes – puisqu’une localisation nucléaire serait davantage attendue. Il faudrait chercher à comprendre si cette différence de localisation entre FANCI et FANCD2 participe à la tolérance aux ICLs ? En effet, on peut supposer que l’absence de FANCD2 au noyau serait un mécanisme supplémentaire d’inhibition de la voie FA-BRCA.

Parallèlement à cela, la première fonction mitochondriale de FANCD2 (dans des cellules d’embryon, des cellules souches, testiculaires et spléniques) vient d’être décrite et semblerait impliquer FANCI également [225]. Un rapprochement entre ces études pourrait être fait et il serait intéressant de regarder

Légende : Chez la souris, le processus de production des gamètes diffère selon le genre. Chez les souris mâles (partie haute du schéma), le processus est continu et asynchrone (c’est-à-dire qu’il est initié plusieurs fois, régulièrement et sans interruption jusqu’à l’épuisement des cellules souches) et ne démarre qu’à la puberté. Vers la fin de la spermatogenèse, les protéines d’histones (noyaux bleus) sont remplacées par les protamines (noyaux verts) ; l’événement est marqué de la double flèche verte. Les femelles (partie basse du schéma) n’ont quant à elles pas de remaniement drastique de leur génome, mais les premières étapes préparatoires à la méiose se font assez rapidement avant même la naissance. Ces étapes ont lieu dans les ovocytes primaires, puis ceux-ci maturent en ovocytes secondaires et antrocytes (ou follicules tertiaires). Ces deux derniers types cellulaires sont arrêtés en prophase, c’est à dire avant la première division méiotique. Ce n’est qu’à la puberté /l’âge de maturité sexuelle, que certains d’entre eux terminent la méiose pour donner des ovules.

Dans les deux cas, le nom des différentes étapes de la méiose est indiqué à côté de chaque petit dessin représentatif de l’apparence et de l’état d’avancement de la maturation. La méiose comprend quelques étapes préparatoires du génome (Leptotène (L), Pachytène (P), Zygotène (Z) et Diplotène (D), avant de véritablement démarrer les deux étapes de division de la méiose (Méiose I et Méiose II). La barre bleue le long de la cinétique méiotique indique une réparation de l’ADN opérationnelle. Les ronds oranges marquent la présence d’une protéine FANC, détectée expérimentalement. Cette annotation correspond aux connaissances actuelles : l’absence d’un rond traduit soit le manque d’expérimentation pour affirmer la présence de la protéine, soit que cette dernière n’est effectivement pas présente dans le tissu. Les bandes orange-pâle correspondent à la détection d’ARN messagers Fanc.

Enfin, comme dernière piste pour expliquer la différence de localisation des deux paralogues, on peut rappeler que FANCD2 est phosphorylée tant par ATR qu’ATM, alors que pour FANCI seule ATR est impliquée [77]. Or, ATR n’est pas exprimée dans les ovocytes, contrairement à ATM [226]. La différence de localisation entre FANCI et FANCD2 pourrait directement découler de la différence de localisation de ces kinases, mais reste à être prouvée. Pour le moment, les phosphorylations des deux paralogues semblent avoir des conséquences différentes mais leur rôle physiologique reste nébuleux. Les spéculations vont dans le sens que la monoubiquitination des deux paralogues n’est pas nécessaire à la localisation mitochondriale de FANCD2 [225], laissant la possibilité que leurs phosphorylations soient impliquées.

La différence de localisation entre FANCI et FANCD2 pourrait expliquer le phénotype ovarien moins fort chez les souris Fancd2-/- que chez le modèle Fanci-/-. Si une séparation de fonction existe entre

FANCI et FANCD2, FANCI pourrait jouer un rôle, seule, au cours de la méiose. Grâce à nos observations histologiques, nous aurions mis le doigt sur un type cellulaire et un processus biologique pour lesquels FANCI et FANCD2 jouent très clairement des rôles distincts.

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