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Chapitre 6 : fakaleiti et raerae, une nouvelle image de l’efféminé

A- Du fakafefine au fakaleiti

Dans la société traditionnelle tongienne, le fakafefine était défini par sa préférence pour les occupations, les habitudes et les habillements féminins. Les fakafefine étaient respectés et appréciés dans leur société. Rappelons le point de vue de Kerry James sur l’identité de ce personnage : « leur excellence dans la production d’articles matériels qui se trouvent fréquemment dans les échanges rituels leur donne une identité féminine » (James, 1994 : 44). Pour K. James, les Tongiens n’ont jamais appréhendé le fakafefine comme un individu à part avec un statut liminal ou « betwix and between ». Aujourd’hui, dans la société tongienne moderne, on rencontre encore des fakafefine qui apparaissent sous les traits de femmes souvent – mais pas toujours – massives, habillées « à la tongienne »1.

Cependant, il existe depuis quelques dizaines d’années, une nouvelle figure de « l’efféminé » à Tonga : le fakaleiti. Le terme de fakaleiti est la version tongienne du terme anglais lady. Les Tongiens s’en servent pour désigner un homme qui se comporte comme une femme mais dans le sens d’« efféminé ». Selon Kerry James qui a travaillé avec les fakaleiti, il semblerait que ce terme soit apparu vers 1950 à Nuku’alofa, capitale de Tonga, lieu de toutes les innovations (James, 1994 : 48). Un fakaleiti déclarait en 1992 à l’auteur : « fakaleiti is the

modern term for modern [effeminate] people » (Ibidem : 49). Les fakaleiti d’aujourd’hui

travaillent le plus souvent dans le domaine du tertiaire et en particulier dans le tourisme, l’hôtellerie ou le monde artistique. Cependant ils peuvent aussi occuper des emplois de femmes de ménage, travailler dans des salons de beauté ou même être chauffeurs de taxi2.

Depuis quelques années, les fakaleiti sont devenus plus nombreux et plus visibles à Nuku’alofa. Pour certains Tongiens, l’augmentation des fakaleiti dans les villes est due en partie au contact avec la culture occidentale et avec les mœurs sexuelles des Occidentaux. L’homosexualité serait devenue une part importante du stéréotype du fakaleiti dans la société tongienne. Aujourd’hui à Tonga, les activités homosexuelles des fakaleiti sont généralement condamnées et Kerry James note par ailleurs une forte homophobie de la part des hommes : certains fakaleiti sont persécutés et victimes de violences de la part des hommes (James, 1994 : 58). Par ailleurs, les lois tongiennes prohibent les relations sexuelles entre hommes. Selon Kerry

1 C’est-à-dire avec une jupe longue (ou un paréo) et un long tee-shirt.

2 Dans la société tongienne actuelle, le secteur de l’agriculture rassemble environ la moitié de la population. Dans ce

domaine, le travail des hommes et des femmes est strictement séparé ce qui n’est pas le cas, comme on le sait, dans le secteur tertiaire en plein développement aujourd’hui.

James, la majorité des fakaleiti ne s’engageraient pas dans des rapports sexuels avec les hommes, néanmoins les jeunes hommes avouent fréquenter les fakaleiti lorsque les filles ne sont pas disponibles et ils disent utiliser le fakaleiti comme une femme (James, 1994 : 56). Par ailleurs les

fakaleiti estiment ne pas être homosexuels puisque dans leurs rapports avec les hommes ils se

conçoivent comme des femmes (Ibidem). Notons aussi qu’aujourd’hui à Tonga, avoir une relation durable avec un fakaleiti est pour un homme non seulement indésirable mais aussi socialement condamnable.

Pour expliquer le problème du commerce sexuel, K. James rapporte qu’il y aurait à Tonga des différences de classe au sein des fakaleiti : certains occupant des places de choix dans la société et d’autres se livrant à la prostitution. Elle remarque aussi des différences dans le niveau de vie selon l’île : les fakaleiti de Nuku’alofa, la capitale, sont mieux habillés, plus « glamour », mieux maquillés et ont une meilleure santé que ceux par exemple de Neiafu, ville principale de Vava’u (une île de l’archipel). Ces derniers sont décrits par K. James comme des gens pauvres, mal habillés, ayant une tendance à l’obésité.

Il semble que les fakafefine, ou efféminés « traditionnels », soient aujourd’hui en nombre très restreint par rapport aux fakaleiti. Pour qualifier les discontinuités entre l’attitude des

fakaleiti et celle des fakafefine, James parle d’une « structural transformation of the older tradition » (1994 : 39). Le personnage de « l’efféminé » à Tonga est une figure ancienne et le fakaleiti se greffe sur cette image d’un passé lointain. Mais cette nouvelle forme de transgression

des sexes que représente le fakaleiti n’est pas tout à fait la même que celle véhiculée par le

fakafefine. Autrefois, les fakafefine étaient définis par leur habileté à effectuer le travail des

femmes. Rappelons que le fakafefine n’était pas censé avoir des rapports avec les hommes, du moins il n’était pas défini par ça, et il pouvait être battu si on découvrait quelques activités sexuelles de ce type. Contrairement aux fakafefine, les fakaleiti n’ont pas vraiment d’activités qui soient exclusivement réservées aux femmes ni en rapport avec les seules activités féminines. Selon K. James, les activités des fakaleiti varient d’un individu à l’autre, certains préférant travailler dans le domaine de l’hôtellerie, d’autres dans le monde du spectacle. Quelques fakaleiti sont ainsi attirés par le style des « Drag Queens » occidentaux (James, 1994 : 51). Cependant, d’une manière générale, les fakaleiti cherchent à créer un type exagéré de féminité mais il s’agit toujours d’une féminité associée à celle des travestis occidentaux : ils sont très maquillés, ont des talons hauts, portent des vêtements extravagants ou très voyants. La femme qu’ils imitent est la femme occidentale et non la femme tongienne – ce qui est le cas pour les fakafefine. Il y a donc une transformation de l’efféminé traditionnel : les références ont changé, le nouvel efféminé se tourne vers le monde occidental pour forger son identité.