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Dans le cadre d'un projet qui se veut inclusif au niveau local et même au niveau régional, un bilan de l’acceptabilité sociale du projet se doit d'être fait avec prudence, en répondant à des questions touchant au sentiment d’appartenance des gens pour le territoire visé et la gestion de ses ressources naturelles, ainsi que la volonté de la population à participer aux affaires touchant la gestion d’une forêt de proximité. C'est tout le contexte sociopolitique qu'il convient d'évaluer, pour voir si les bons ingrédients sont présents à Nutashkuan afin d’avoir une acceptation sociale nécessaire au projet. Un travail précipité dans lequel la population n'a pas de voie pour s'exprimer peut résulter en une levée de barricades par certains groupes et menacer la viabilité du projet. À cet effet, les critères de sélection de l'Annexe 2 du document de consultation sur les forêts de proximité du MRN sont utiles pour bien analyser les différentes facettes du projet. Le tableau 4.1 dresse la liste des critères sociaux et politiques auxquels le délégataire de gestion devra vraisemblablement répondre :

Tableau 4.1 : Critères sociaux et politiques inspirés de l'Annexe 2 du document de consultation du MRN sur les forêts de proximité. Inspiré de MRN, 2011.

1. Capacités sociales et politiques du délégataire de gestion

Faire consensus et représenter des intérêts variés

Exercer un « leadership » social et politique bénéfique pour le projet

Bâtir des partenariats institutionnels et économiques, des ententes avec les détenteurs de droits sur le territoire, etc.

Solliciter un soutien externe des institutions politiques, gouvernementales, d’enseignement, de recherche, etc.

Susciter l’engagement et la participation des membres de sa communauté (promoteurs, bénévoles, groupes communautaires, gens d’affaires et autres) et des communautés voisines

Identifier les organismes à but non lucratif, coopératives et entreprises d’économie sociale dans la communauté ou à proximité

Identifier les organismes bénévoles œuvrant dans la communauté ou à proximité Identifier les activités communautaires organisées et soutenues par la communauté

3. Retombées sociales et culturelles

Favoriser la participation de la population, accroître le dynamisme dans la communauté, renforcer ou développer une culture forestière, diversifier et accroître les capacités de développement de la communauté, accroître la fréquentation et l’accès au territoire et aux ressources, etc.

4. Organisation et partenariat

Déterminer le type d’organisation préconisé pour la gestion de la forêt de proximité : structure de gestion

Entreprendre une démarche de mise en œuvre lorsque la forêt de proximité touche plusieurs communautés locales ou autochtones

Déterminer le type d’organisation prévu s’il y a des partenariats : partage des coûts, revenus, risques, etc.

5. Concertation

Choisir le mécanisme de concertation pour la participation des détenteurs de droits et des autres utilisateurs et gestionnaires du territoire.

Prévoir le type d’organisation pour l’information, la consultation et la participation de la population.

4.1.1 Capacités sociales et politiques du délégataire de gestion

Un évènement récent survenu dans la communauté démontre toute la pertinence de la démarche d'évaluation du contexte sociopolitique. Au mois de septembre dernier, le chef nouvellement élu depuis le mois de juin 2012 a décidé de résilier l'entente qui liait Nutashkuan au Ministère des Transports car celui-ci n'était pas d'accord avec les termes du document signé sous le règne du chef précédent. La contestation, supportée par un groupe minoritaire au sein de Nutashkuan, a résulté en un arrêt de vingt-quatre jours des travaux de construction du pont devant enjamber la rivière Natashquan, qui amènera la route 138 jusqu'à Kegaska (Radio-Canada, 2012b). C'est une illustration type des tractations qui ont lieu au sein des communautés innues, dans lesquelles plusieurs clans rivaux s'affrontent pour contrôler les décisions politiques. Il appert que la période de transition qui suit l'entrée en fonction d'un nouveau Conseil de bande exacerbe ces tensions. Même le Conseil de bande, composé de personnes n’ayant pas nécessairement les mêmes intérêts, peut être sujet à des querelles internes qui paralysent l’avancement de projets de développement et minent sa crédibilité. Dans le dossier du pont, le vice-chef et deux conseillers ont décrié publiquement les agissements du chef Robert Wapistan (Radio-Canada, 2012a).

D'ailleurs, l'étude préparée par Massuard (2006) sur les rapports qu'entretiennent la communauté avec la gestion des ressources naturelles jette un éclairage très intéressant à ce propos sur Nutashkuan. Ses constats sont en continuité avec l'exemple cité précédemment. Un premier constat intéressant est qu'il est faux de prétendre que les Innus au sein de la communauté forment un bloc homogène. S'exprimant sur la perception qu'ils ont de leur milieu de vie, les habitants de

Nutashkuan ont été nombreux lors des entrevues à utiliser le terme village plutôt que celui de communauté lorsqu'ils mentionnent le lieu où ils vivent, faisant ainsi référence principalement à une localisation géographique qui n'est pas obligatoirement identitaire. Le sentiment d'appartenance au groupe ne suit donc pas de facto ce regroupement administratif, que représentent les bandes autochtones suite à la sédentarisation de ces derniers (Massuard, 2006). La modernisation du mode de vie amène aussi une diversification des intérêts et préoccupations par rapport au territoire : tourisme ou conservation des ressources naturelles pour les uns, accès à des sites particuliers pour la chasse ou la pêche pour les autres, etc. (Massuard, 2006).

Par contre, les répondants à la même étude reconnaissent faire partie d’une même communauté culturelle. Cette dernière affirmation n'est pas à négliger pour son potentiel d'agir comme force centripète permettant de rassembler les forces nécessaires à l’émergence d’une cohésion sociale et ainsi d’un rapport de force lors de négociations territoriales ou la mise sur pied de projets d’envergure nécessitant la mobilisation de la population. Cependant, cette identité culturelle forte pour être un couteau à deux tranchants lors de démarches de concertation avec les communautés allochtones voisines. Jusqu'ici, les discussions à bâtons rompus avec les municipalités concernées demeurent positives. On ne peut toutefois pas encore parler de partenariat formel entre les diverses parties, ce qui est préoccupant, sachant que la compétition sera forte dès 2013 entre les différents délégataires répartis aux quatre coins de la province pour l'attribution de la première cohorte de forêts de proximité.

En ce qui concerne l’engagement et la participation des membres de Nutashkuan et des communautés voisines, toute l'habileté politique du délégataire sera nécessaire pour gagner l'appui le plus large possible au sein de la région. Le chef est très favorable au projet et tous ceux qui l'ont appuyé aux dernières élections devraient constituer une base politique pour obtenir un consensus au sein de la communauté, autant parmi les citoyens que les gens d'affaires. Aussi, il est nécessaire que le projet soit publicisé à l'extérieur de la région et reconnu par des institutions politiques, gouvernementales, d'enseignement, de recherche et autres pour attirer du financement et des ressources utiles au projet. Le projet même est pour le moment assez mal connu à l'extérieur de la communauté, voir même chez certaines personnes au sein de la communauté (Malec, 2012).

4.1.2 Démonstration d’un dynamisme social et économique

L'implication sociale au sein des organismes communautaires d'une communauté témoigne de la solidarité présente chez ses citoyens en plus d'offrir des services utiles à la population et fournir des emplois à plusieurs personnes. Les organismes communautaires sont là pour combler un

besoin dans un espace économique où aucun acteur privé n'est là pour le combler. Ces services ont toutefois un coût pour la société car ils sont la plupart du temps subventionnés par le gouvernement. Dans une petite communauté comme Nutashkuan, où les ressources sont parfois difficiles à trouver, il ne faudrait pas lever le nez sur ces services rendus car ceux-ci aident à garder en santé le tissu social de l’endroit en lui donnant de l'oxygène via une redistribution accrue des ressources, comme en témoigne les secteurs d'activités dans lesquels œuvrent les organismes du tableau 4.2 :

Tableau 4.2 : Organismes communautaires de Nutashkuan et Natashquan réunis.

Organisme Secteur d'activité Contact

Corporation de développement culturel, patrimonial et touristique de Natashquan

Tourisme, développement

régional 418-726-3060

Chevaliers de Colomb de Natashquan Organisme de bienfaisance 418-766-3210

Radio C.K.N.A. inc. Communications 418-726-3284

Journal communautaire Le Portageur Communications 418-726-3736 Club FADOQ de Natashquan Soutien aux aînés 418-726-3210 Comité de spectacles " Par Natashquan " Animation culturelle 418-726-3736

Corporation de radio montagnaise de

Natashquan Communications 418-726-3327

L’Entre-deux-Tournants Centre jeunesse 418-726-3740

Pour ce qui est des activités communautaires soutenues et organisées par la communauté, une belle réussite locale est certainement le festival de contes et légendes Innucadie, unique en son genre sur la Côte-Nord. Organisé par la Corporation de développement culturel, patrimonial et touristique de Natashquan, il s'agit d'un évènement pendant lequel les récits traditionnels sont à l'honneur et auquel participent autant les habitants allochtones de Natashquan que les autochtones de sa voisine Nutashkuan, d'où son nom évocateur. Il s'agit d'un bel exemple de coopération entre ces gens issus de cultures distinctes mais partageant le même territoire. Au cours de son existence, le festival a eu l'honneur d'avoir comme porte-paroles plusieurs personnalités connues comme la romancière Antonine Maillet, l'anthropologue Serge Bouchard, l'historien Jacques Lacoursière, la chanteuse Chloé Sainte-Marie et le docteur Stanley Vollant. Il s'agit d'un témoin vivant de la coopération qui peut unir les gens de la région autour d'un projet porteur de sens.

4.1.3 Retombées sociales et culturelles

Les retombées sociales et culturelles d'un projet de forêt de proximité pour la population de la communauté sont très certainement, outre les retombées économiques tout autant capitales, le legs le plus important qui pourra être laissé à moyen et long terme. Puisque la technologie a évoluée et que les gens ne sont plus habitués à se déplacer en forêt selon les moyens traditionnels

datant d'une époque révolue, le fait d'accroître l'accessibilité du territoire aux Innus, par la construction d'un réseau adéquat de chemins, sera certainement la première étape d'un rapprochement de ces derniers avec le territoire revendiqué. L'accessibilité sera particulièrement améliorée au printemps, à l'été et l'automne, car l'hiver les gens peuvent toujours se déplacer sur le territoire en motoneige lorsqu’une couverture neigeuse suffisante le permet.

En milieu autochtone comme Nutashkuan, le contact avec le territoire peut avoir des bénéfices très larges. Étant autonome en matière des soins de santé offerts à sa population depuis 1997, le Conseil de bande, avec l'aide de la Fondation autochtone de guérison, a lancé en 1999 le projet Usseniun, qui signifie « nouvelle vie » en innu, consistant essentiellement en un programme d'aide psychologique communautaire se déroulant en forêt. L'initiative fut mise sur pied pour pallier au manque d'efficacité des méthodes de soins modernes pour améliorer la santé publique de la communauté. Les aînés de la communauté ont grandement contribué au projet en planifiant les lieux, les périodes et les activités traditionnelles favorisant la guérison psychologique des participants dans un cadre culturel innu (St-Arnaud et Bélanger, 2005).

Initialement prévu jusqu'en 2003, le projet fut renouvelé pour deux années supplémentaires sous le nom Mamuitun, pour « s'unir » en innu, permettant au total à plus de 200 personnes de bénéficier des deux projets. Entre 1999 et 2002, soit durant les trois premières années du projet Usseniun, les demandes de service pour lésions corporelles ou anxiété suite à un épisode de violence familiale sont passées d'une moyenne de 110 à une de 15 par année (St-Arnaud et Bélanger, 2005).

Ce type de projet démontre toute l'importance d'une accessibilité accrue au territoire pour les Innus. Ces projets de santé communautaire auraient peut-être été instaurés de façon permanente n'eut été des coûts élevés causés par le transport aérien des participants en forêt. La vie en forêt étant le cœur de la culture innue avant la sédentarisation, une forêt de proximité, respectant les valeurs innues en matière d'exploitation des ressources naturelles, a toutes les chances de devenir un projet structurant pour la communauté, particulièrement aux niveaux social et culturel.

4.1.4 Organisation et partenariat

Nutashkuan semble vouloir assumer une large part du leadership associé à la mise sur pied d'une forêt de proximité, l’idée ayant germée dans la tête de quelques personnes issues de la communauté. Elle devra néanmoins trouver un terrain d'entente avec les deux autres municipalités englobées dans le territoire son projet, et déterminer comment seront partagés les coûts et bénéfiques reliés à la gestion des ressources, ainsi que les responsabilités qui en découleront. Le

MRN compte sur une coopération exemplaire entre les différentes instances présentes sur le territoire dans le cadre de tels projets, alors cette question devra être réglée rapidement.

4.1.5 Concertation

La concertation des différents acteurs sur le territoire se résumera à celle devant avoir lieu entre les différentes instances municipales et le seul détenteur de droits identifié sur le territoire, soit le propriétaire de la défunte pourvoirie du Club du lac Victor. Des pourparlers ont déjà eu lieu entre le MRN, le propriétaire et le Conseil de bande au cours des dernières années pour rétrocéder les droits exclusifs consentis à la pourvoirie du lac Victor au Conseil de bande, moyennant une compensation financière. Ces démarches devront être officialisées lorsque le Conseil de bande désirera concrétiser son projet de forêt de proximité. Des efforts devront également être déployés pour convaincre les sceptiques au sein des différentes communautés du bien-fondé d'investir des deniers publics dans une forêt de proximité au sein d'une région éloignée à la limite de la Basse- Côte-Nord, et prévoir des moyens efficaces pour diffuser l’information pertinente à la compréhension du dossier et une participation effective de la population.