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Un faible niveau d’appropriation et de participation des communautés au processus de foresterie

4. DES PROBLÈMES DE GOUVERNANCE DANS LES FORÊTS COMMUNAUTAIRES

4.2 De lents changements dans les relations de pouvoir

4.2.3 Un faible niveau d’appropriation et de participation des communautés au processus de foresterie

Il peut être légitime et requis de se demander comment faire passer les populations locales du rôle de simples spectateurs à celui de véritables acteurs de la foresterie communautaire, soit comme parties prenantes de la mise en place, de la gestion et de l’exploitation d’une foresterie communautaire. D’une part, ça parait clair que cela implique pour les communautés une réelle capacité d’agir au niveau légal, technique et décisionnel, pas toujours donné et donc à construire. Par ailleurs, la participation des communautés dépend à bien des égards de la manière dont on applique les nouveaux mécanismes au niveau local, c’est-à-dire de la façon qu’on adapte les nouvelles institutions à la culture et aux capacités locales.

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On observe sur le terrain différents niveaux d’appropriation. Le niveau d’appropriation de la foresterie communautaire par une communauté va varier, notamment, en fonction du niveau d’implication d’un acteur externe, du niveau d’isolement de la communauté, du niveau de connaissance des lois, règles et nouvelles institutions. Il existe plusieurs exemples de communautés réellement spectatrices des activités d’exploitation dans leur propre forêt communautaire. Ces communautés sont généralement isolées, la « base communautaire » y est moins solide et la population ne maitrise pas le « langage » de la foresterie communautaire. Elles sont davantage sujettes à de la manipulation et enclines à voir émerger des comportements opportunistes d’acteurs qui désirent tirer profit des opportunités qu’offre la foresterie communautaire. Elles attendent généralement qu’un promoteur externe fasse le travail (sensibilisation, plan simple de gestion, achat de matériel) et que les travaux se mettent en places dans la forêt. Dans ce contexte, la participation des individus se limite au travail rémunéré (Cuny, 2011). Ça parait clair dans ce contexte que les critères minimaux pour une gestion en commun fonctionnelle ne sont pas en place et que la foresterie communautaire manque ça cible.

Le niveau d’engagement de la communauté sera beaucoup plus élevé dans la cadre d’une exploitation « en régie », c’est-à-dire par la communauté elle-même. En effet, plus une communauté est directement impliquée à tous les niveaux, particulièrement dans les activités lucratives, plus son niveau d’engagement sera élevé. Et en revanche, plus un acteur externe est impliqué, plus la participation a tendance à décroitre. Environ 13% des forêts communautaires sont exploitées en régie dans les régions du sud et de l’est (Cuny, 2011, p.14 ). Le niveau de participation de la communauté qui y est observé est élevé à tous les niveaux, tant en amont qu’en aval du processus. Dans un peu plus de la moitié des cas, un acteur externe est impliqué activement dans l’exploitation de la forêt communautaire et les villageois aussi y sont impliqués, notamment au niveau de la transformation et du transport. Le niveau de participation qui y est observé est moyen et ne concerne que quelques membres de la communauté. Dans environ 35% des cas, l’exploitant forestier est bien installé, il a joué un rôle central dans la mise en place de la forêt communautaire et les villageois jouent un rôle accessoire, notamment du travail salarié au niveau du transport (Cuny, 2011, p.35). Le niveau de participation observé est alors généralement très faible, voire inexistant. Dans ces deux derniers cas, la foresterie communautaire manque sa cible. La forêt devient une zone d’exploitation commerciale comme une autre au profit de l’exploitant plus qu’un outil de développement local, on ne peut certainement pas parler de « gestion en commun ».

La Stratégie nationale contre la corruption du Cameroun place parmi ses secteurs d’intervention prioritaire la forêt et la décentralisation (CNA, 2013a, p.2). Les forêts communautaires camerounaises sont l’objet d’une exploitation illégale. Les illégalités les plus communes sont le non-paiement de taxes, le non-respect des titres d’exploitations, l’exploitation sous couvert de projets de développement fictifs, la coupe hors

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forêt communautaire et le blanchiment de bois à l’aide de documents illégaux (Cuny, 2011, p.18). Les forêts camerounaises sont donc l’objet d’une exploitation illégale tant directe (prélèvements illégaux directement dans la forêt) qu’indirecte (trafics de faux titres ou de lettres de voiture). Les lettres de voiture sont des titres de transport qui donnent le droit à un exploitant de transporter une quantité donnée de bois, et on remet à un exploitant le nombre de lettres de voiture correspondant au volume de bois auquel il est autorisé. C’est un système de contrôle qui donne lieu à un marché des lettres de voiture, notamment entre les agents du MINFOF et les exploitants forestiers. Une communauté villageoise avec peu de ressource, dépendante des exploitants forestiers, garde rarement le contrôle sur les lettres de voiture qu’elle émet (Cuny, 2011, p.21). Ces activités illégales seront qualifiées d’«externe » et les activités illégales liées à une gestion frauduleuse au sein des comités de gestion seront qualifiées d’« interne ». Le contrôle de ces activités illégales passe inévitablement par le niveau d’appropriation et éventuellement, par la participation active des communautés dans la surveillance des activités dans la forêt.

En général, la participation des communautés est limitée à trois niveaux : décisionnel, technique et légal. Tout d’abord, au niveau décisionnel, les assemblées des comités de gestion des forêts communautaires ne favorisent pas la participation. Dans certaines communautés, il y a très peu d’assemblées publiques, dans d’autres il y en a périodiquement, mais les informations stratégiques restent entre les mains des décideurs. Les femmes et les autochtones sont souvent peu représentés au sein de ces entités de gestion et leur implication quasi nulle. La participation des membres de la communauté à la prise de décision est un facteur pourtant non négligeable du succès de la gestion en commun d’une ressource naturelle, c’est un important facteur de succès de la foresterie communautaire. Présentement, la participation des communautés au niveau décisionnel dans les entités de gestion est presque nulle. Celles-ci ne rendent pas de compte à la population. Ce faisant, les communautés locales ne peuvent pas jouer leur rôle de surveillance des activités illégales internes.

Au niveau technique, les populations locales n’ont pas les capacités pour participer à l’élaboration du plan simple de gestion et à la surveillance des activités illégales externes dans la forêt. Dans les faits, les observations montrent que le processus devant mener à la mise en place d’une forêt communautaire est peu adapté aux capacités locales, il implique la maitrise d’un langage technique et de certaines notions difficilement accessibles pour les simples usagers. Le PSG, l’inventaire forestier et l’évaluation d’impact sur l’environnement sont toutes des étapes qui exigent une certaine capacité technique et la maitrise d’un langage. Dans tous les cas, le simple usager au niveau local n’a pas les capacités techniques suffisantes pour s’impliquer dans le suivi des PSG. Durant les quelques années que peut prendre le processus de mise en place, les villageois les moins « outillés » ne peuvent pas participer. Lorsque les activités d’exploitation commencent dans la forêt, ils doivent se contenter d’un travail rémunéré ou sont relégués au rang de

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simples spectateurs (Cuny, 2011). Ils ne peuvent certainement pas assumer leurs responsabilités en termes de surveillances.

Au niveau légal, la participation des communautés est essentielle, parce qu’en transférant des pouvoirs l’État a aussi transféré des responsabilités, notamment celle de suivre l’application du PSG et de s’assurer du respect des règles. On a donc reconnu ce rôle dans la Loi forestière. Toutefois, les populations locales ne sont pas nécessairement informées de ce pouvoir et de toute façon, si l’État a transféré des responsabilités, elles ne sont pas accompagnées de pouvoirs correspondants. Légalement, ce sont les entités de gestion qui ont du pouvoir en la matière. Toutefois, la population est peu impliquée dans ces entités et ne peut donc pas jouer son rôle de gardien de la forêt. Si elle le fait, c’est en adoptant des moyens traditionnels. L’exploitation illégale massive des produits forestiers dans les forêts communautaires et la corruption chronique des entités de gestion sont certainement tributaires d’un désengagement des populations locales quant à leur rôle de « gardien » de leur forêt (Cuny, 2011, p.29). Dans les communautés qui comprennent passablement bien leurs droits et responsabilités et le processus de gestion, donc qui entretiennent une culture communautaire et s’impliquent plus activement tant en amont qu’en aval, le niveau d’appropriation et de participation est généralement plus élevé. On observe surtout dans ces communautés une corruption peu généralisée, des difficultés en lien avec la gestion des revenus, un faible niveau d’investissement dans des projets collectifs et une stagnation du développement local. Dans les communautés qui prennent réellement en charge l’ensemble du processus, où le niveau d’appropriation est élevé, la foresterie communautaire porte généralement ses fruits, du moins en termes de développement local. Ces cas de forêt communautaire « par » et « pour » la communauté sont plus rares et peu documentés (Milol, s.d.).