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3. Facteurs de risque et hypothèses explicatives des troubles psychotiques en population migrante

3.2. Facteurs de risque sociaux

La migration est un fait universel et fréquent à travers le temps. Néanmoins il s’agit d’une expérience complexe et unique, influencée par des facteurs individuels et environnementaux, avec des possibles conséquences psychologiques et biologiques pour l’individu et ses descendants. Elle est composée par une série d’évènements qui se déroulent avant, pendant et après le départ, dont le vécu peut être positif ou négatif et être source de niveaux de stress différents. Par conséquent, les personnes qui migrent ont plus de chance de s’exposer à des facteurs de vulnérabilité à la psychose que celles qui ne migrent pas (Bhugra 2004). Par

exemple, le motif de la migration a un impact psychosocial important : une migration volontaire (étude, travail, famille) n’exige pas les mêmes démarches et temporalités qu’une migration forcée (guerre, persécutions politiques ou religieuses). Aussi, la destination, le fait d’être seul ou accompagné, le niveau socio-économique de départ, la distance culturelle jouent un rôle important. Enfin, les interactions dans le pays d’accueil vont être influencées par des facteurs liés principalement aux politiques d’intégration des migrants et de leurs descendants, tels que l’accès au travail, aux études, au logement et à la santé, ainsi que par des facteurs sociaux (discrimination, capital social) et culturels.

3.2.1 Facteurs pré-migratoires

Sur le principe, un des principaux objectifs de la migration, est d’avoir une vie meilleure, donc par conséquent, fuir des adversités ressenties ou vécues. Très peu d’études prennent en compte l’impact des raisons d’immigration en tant que facteur de risque de vulnérabilité psycho-sociale, à part, en général, dans des études portant sur des demandeurs d’asile/réfugiés.

Un risque augmenté de troubles psychiatriques est observé parmi des demandeurs d’asiles et des réfugiés (Fazel et al. 2005). Ce risque est associé, non seulement au PTSD et aux troubles

anxio-dépressifs (Bogic et al. 2015, COMEDE 2016, Primo Levi 2016), mais aussi aux psychoses (Dapunt et al. 2017).

Une étude de cohorte en Suède (1.3 millions de personnes, entre 1984 et 2011) a montré une incidence de psychose plus importante chez des migrants réfugiés (126.4/100 000 personnes-années) en comparaison avec ceux qui n’ont pas ce statut (80.4/100 000 personnes-personnes-années) et des natifs (38.5/100 000 personnes-années) (Hollander et al. 2016). En outre, une étude comparative sur le risque de psychose parmi des migrants adoptés et des migrants refugiés, a montré que l’impact de l’origine reste important malgré des ajustements sur les facteurs socio-économiques dans le pays d’accueil.

Par ailleurs, un intérêt croissant ces dernières années porte sur une possible association/superposition entre psychose et PTSD suggérant des mécanismes pathogéniques communs et liés au stress, dans le sens où (i) le trauma est facteur de risque de psychose et (ii) il existe des symptômes communs (dissociation, hallucination, idées délirantes) aux deux troubles (Alsawy et al. 2015, OConghaile and DeLisi 2015).

Enfin, le contexte géopolitique de la récente vague d’immigrants en Europe des dernières années, résultant des conflits en Syrie et en Afrique, superpose, sur des parcours migratoires complexes, des expériences de violences, telles que l’esclavage et la torture (Trovato et al. 2016). D’autre part, dans le cadre des différentes politiques migratoires en Europe et des accords de Dublin, caractérisés par de faibles taux d’attribution du statut de réfugié (pour environ 30% des personnes qui en font la demande), les personnes migrantes ont tendance à multiplier les séjours dans différents pays européens, souvent dans des conditions d’isolement, de précarité, de risque de détention et de retour forcé (Defendeurs des droits 2015). Ils sont ainsi exposés à des facteurs de risques de vulnérabilité psychique pendant ce parcours migratoire, qui restent jusqu’à présent très peu explorés par les travaux de recherche.

Un intérêt particulier est porté actuellement sur le « syndrome de résignation », observé chez des jeunes enfants et adolescents (pour la majorité du sexe féminin), demandeurs d’asile, en Suède (autour de 400 cas endémiques). Cet état est associé au statut de demandeur d’asile (donc en attente d’une réponse par rapport au droit d’asile), à des traumas de l’enfance et semble influencé positivement par l’attitude (d’espoir) familiale. Il s’agit d’un syndrome catatonique dont la cause semble être psychogénique (stress ?) pouvant évoluer vers une forme presque comateuse, insensible à la douleur, et qui peut durer des mois, voire des années, nécessitant une alimentation parentérale dans la plupart des cas, pouvant conduire à la mort (Sallin et al. 2016).

3.2.2 Facteurs post-migratoires

Les populations migrantes présentent plus de risques d’avoir des expériences d’inégalités sociales et de discriminations que les natifs, et par conséquent, d’être touchées par une maladie mentale. Cette association est observée parmi les migrants mais aussi chez les descendants (Campion et al. 2013, Compton and Shim 2015, Kirkbride et al. 2012b, Karlsen and Nazroo 2002, Nazroo 2015, Joly and Reitz 2018).

Adversité sociale

Les conditions de vie et la qualité d’interaction entre les différents groupes d’immigrés et le pays d’accueil sont influencées par le contexte social ainsi que par des politiques différentes d’intégration de ces populations (Fearon and Morgan 2006). Deux phases de stress sont généralement observées après la migration. D’abord celle de l’installation: l’apprentissage de la langue et des coutumes, les démarches administratives, le logement, les ressources, vécues par des migrants de première génération. Ensuite, il y a le stress de l’intégration, définie comme étant l’égalité d’accès aux droits, au marché du travail, aux études, au logement, au capital social, qui peut toucher les migrants et leurs descendants.

Des adversités dans la vie adulte ont été moins étudiées jusqu’à présent, mais il existe des arguments selon lesquels des facteurs stressants à l’âge adulte contribuent au développement des expérience psychotiques et de troubles psychotiques (Brown and Birley 1968, Beards et al. 2013). Des études montrent une association avec des événements précédant l’épisode de 3 semaines à 3 ans (Lataster et al. 2012). Cette association semble liée à la sévérité de l’évènement (non-contrôlé par l’individu, tel que décès d’un proche ou intervention chirurgicale) (Bebbington et al. 1993) et la proximité de l’épisode. Ce constat va dans le sens d’une explication possible de l’association avec les troubles psychotiques dans la population migrante.

Sur le plan individuel, le risque de troubles psychotiques et d’expériences psychotiques en population migrante a été associé à la précarité (Morgan et al. 2008, Syed et al. 2006, James B Kirkbride et al. 2008, Boydell et al. 2013), au sentiment d’échec social, à l’isolement social et à la discrimination ethnique-raciale et religieuse (Reininghaus et al. 2008, Janssen et al. 2003, Krieger et al. 2011, Jarvis et al. 2011).

Sur le plan collectif, quelques études montrent que ce risque semble inversement associé au fait de vivre dans des zones de densité ethnique élevée, (Bosqui et al. 2014, Boydell et al. 2001, Das-Munshi et al. 2012, Faris and Dunham 1939 ). Cet effet « protecteur » est plutôt observé par rapport au statut migratoire, et sur certains groupes ethniques. Les mécanismes sous-jacents expliquant cet effet consisteraient à diminuer l’isolement et l’exclusion sociale à travers le renforcement de la cohésion sociale, ainsi qu’une exposition diminuée du groupe à la discrimination (Becares et al. 2009, Kim 2016, Das-Munshi et al. 2012, Ajrouch et al. 2010). En effet, la densité ethnique semble être un bon indicateur du capital social en population migrante, en tant que source directe de réseau et de support social car, en principe, le capital social de la majorité (natifs) est moins accessible à cette population (Kaiser et al. 2015, Lecerof et al. 2016, Pieterse 2003). Aussi, le capital social serait aussi associé à une meilleure santé des migrants (Caroline Berchet and Florence Jusot 2012). En revanche, une variation de l’association négative entre troubles psychotiques et densité ethnique est aussi observée, selon les différents groupes ethniques minoritaires dans une même zone (Bosqui et al. 2014, Termorshuizen et al. 2015), indiquant des possibles effets négatifs ou neutres de ce facteur. Par exemple, la densité ethnique peut aussi être perçue comme un facteur associé à l’échec social, la violence et la désorganisation sociale par certains groupes ethniques minoritaires, et surtout par le groupe majoritaire (Havekes et al. 2014, Becares and Nazroo 2013).

Facteurs culturels

Des facteurs culturels peuvent être associés au développement de la maladie, ainsi qu’à l’expression, l’explication, l’accès et l’adhésion aux soins des populations migrantes (Hwang et al. 2008). Le stress acculturatif est défini comme le stress ressenti au cours d’une adaptation à un nouvel environnement tels qu’apprentissage de la langue, des code sociaux, du fonctionnement des institutions (Rudmin 2009). Ce facteur a été très peu étudié en tant que facteur de risque de psychose. Une étude montre l’association entre stress acculturatif et développement d’expériences psychotiques en population migrante aux États-Unis, (Devylder et al. 2013). Allant dans le même sens, une étude en Australie, a montré un risque plus important d’expériences psychotiques chez les migrants qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil en comparaison avec ceux qui la parlent (Scott et al. 2006). Enfin, parmi des patients souffrant de troubles psychotiques, ce facteur a été associé à un moins bon fonctionnement global (Gonidakis et al. 2013).

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