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Défis méthodologiques et limites des connaissances actuelles

Les études sur le risque de développement de troubles psychotiques en population migrante sont relativement récentes et concentrées en grande partie dans les pays Européens et les États-Unis. Par conséquent, les connaissances sur ce sujet restent encore limitées. Par ailleurs, afin de pouvoir obtenir des résultats fiables et comparables, il est important de prendre en compte les spécificités méthodologiques nécessaires à ce type d’étude et l’impact des facteurs confondants/modificateurs sur les résultats obtenus.

4.1 Défis méthodologiques

La recherche sur les populations migrantes présente plusieurs défis méthodologiques spécifiques : obtenir des données représentatives prenant en considération les migrations irrégulières, les différentes vagues et trajectoires des différents groupes de migrants, avec un risque de mésestimation du dénominateur ou d’un biais de déclaration dans les enquêtes. Aussi, il faut prendre en compte les différences d’âge et de sexe en lien avec la population native ainsi que la distribution géographique de cette population, souvent concentrée dans des zones urbaines.

En outre, avec le vieillissement et l’accroissement des populations migrantes et de leurs descendants, il devient important de comparer les générations, à travers l’utilisation de catégories ethniques dans le recensement (Dorling and Thomas 2007). A noter que, dans certains pays, cette question peut poser débat sur les risques de favoriser la stigmatisation ou l’usage à des fins ségrégationnistes (Simon and Piché 2012). Enfin, les définitions utilisées et la disponibilité de ces données sont variables selon les pays, ce qui peut rendre difficile les comparaisons entre les études (Simon 2012).

En ce qui concerne l’identification des cas, des questionnements sur la sensibilité et les spécificités des diagnostics occidentaux relatifs à des cultures non-occidentales, ainsi que la nécessité de validation des instruments de recherche, ont alimenté des critiques sur les résultats trouvés (Selten and Hoek 2008). En ce qui concerne la schizophrénie, les facteurs culturels semblent plutôt influencer les modèles explicatifs des symptômes que leur expression (Kennedy et al. 2004, Kalra et al. 2012), bien que quelques études montrent dans certaines cultures, une prévalence plus importante d’hallucinations visuelles (Murphy et al. 1963, Suhail and Cochrane 2002) et de formes catatoniques que les cultures occidentales (Jablensky et al. 1992). Une étude sur le profil symptomatique analysée avec la PANSS (Positive and Negative Syndrome Scale) (Andreasen et al. 1995) n’a pas relevé de différences significatives entre migrants et natifs, mais en ce qui concerne les minorités visibles, une prévalence plus importante d’idées délirantes et de difficultés de pensée abstraite a été observée (Berg et al. 2014). Néanmoins, le diagnostic, dans sa structure générale, semble ne pas être impacté par des facteurs culturels. Ceci a d’abord été démontré lors de l’étude de l’OMS sur la prévalence de la schizophrénie dans plusieurs pays (Jablensky et al. 1992). Ensuite, des études comparatives ont montré une concordance modérée de diagnostics (entre 50% et 70%) mais qui n’est pas spécifique à l’ethnicité (Hickling et al. 1999, Gara et al. 2012). Au contraire, une stabilité diagnostique de schizophrénie dans le temps plus importante que chez les natifs a été observée chez certains groupes ethniques (Heslin et al. 2015). Par ailleurs, l’utilisation d’entretiens culturellement orientés, ne semble pas ajouter une sensibilité additionnelle, si les diagnostics sont basés sur des classifications internationales, telles que la CIM ou le DSM (Adeponle et al. 2012, Zandi et al. 2010, McLean et al. 2014). En revanche, le type d’étude et les stratégies de recensement des cas sont particulièrement sensibles aux différences d’accès aux soins entre les natifs et les migrants, pour des raisons de droits d’accès aux soins, mais aussi pour de possibles différences culturelles de représentation des maladies mentales et le besoin ressenti de soins psychiatriques (Bhui et al. 2003).

4.2 Les limites des connaissances actuelles

L’association entre troubles psychotiques et migration est bien établie. Néanmoins, comme l’ environnement urbain, la migration semble être plutôt un indicateur de risque qu’un facteur de risque en soi. Le processus de la migration serait un évènement de vie associé à une exposition plus importante à des facteurs de risque de psychose, notamment à des facteurs de risque sociaux : à commencer par les raisons de la migration, en passant par le trajet et ensuite, un effet « interaction avec le pays d’accueil ». Un facteur protecteur a été identifié : la densité ethnique. Mais, encore une fois, ce facteur semble être aussi un indicateur, représentant des

effets d’autres facteurs tels que le capital et la cohésion sociale, qui ne sont, à leur tour, pas encore bien explorés.

Le facteur commun associé au développement d’un trouble psychotique dans ce contexte serait le stress. En outre, quelques facteurs biologiques sont suggérés associés à ce risque, tels que le déficit de vitamine D, en particulier chez les migrants noirs et leurs descendants.

Aussi, selon le modèle du « continuum psychotique », modèle considérant le phénotype psychotique sur un continuum de sévérité allant du normal au pathologique, la migration et le statut de minorité ethnique sont supposés être également des facteurs de risque de psychoses atténuées. Néanmoins, les études sur ce sujet sont moins nombreuses.

En France, malgré une population migrante importante et diversifiée, les études épidémiologiques sur ce sujet sont encore peu nombreuses. Des constats d’une incidence et d’une prévalence augmentées par rapport aux natifs sont établis. Un groupe ethnique en particulier semble être le plus à risque : les migrants d’origine subsaharienne. En revanche, l’incidence de psychose est méconnue chez les descendants. Les facteurs de risque associés sont encore peu explorés, ainsi que la prévalence de psychoses atténuées.

Ces constats sont insuffisants et incitent à la poursuite de travaux de recherche dans la population migrante en France: confirmer ou infirmer les premiers résultats, mieux identifier les groupes à risque ainsi que les facteurs associés.

Nous nous proposons d’étudier le risque et les facteurs sociaux de troubles psychotiques en population migrante en France. Pour cela nous allons explorer et identifier:

1) La pertinence et la faisabilité de la recherche épidémiologique sur la population

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