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Encart 2. Plasticité cérébrale et vieillissement

1.3. Le vieillissement sain comme processus hétérogène

1.3.2. Facteurs de réserve

La réserve est modulée par de nombreux facteurs d’habitudes de vie (M. Richards et Deary, 2005; voir Opdebeeck, Martyr et Clare, 2016 pour une méta-analyse). Cependant, la nature de la relation entre ces facteurs et le fonctionnement cognitif est sujet à débats (Scarmeas et Stern, 2003; Lövdén et al., 2010). Par exemple, certains auteurs proposent une interaction directe des facteurs d’habitude de vie sur le fonctionnement cognitif (Hultsch, Hertzog, Small et Dixon, 1999; Steffener et Stern, 2012), tandis que d’autres proposent une influence indirecte par la réduction des facteurs de risque du déclin cognitif tels que les maladies cardio-vasculaires ou la dépression (e.g., Seeman, 1996; Angevaren, Aufdemkampe, Verhaar, Aleman et Vanhees, 2008). Par ailleurs, bien que chaque facteur considéré isolément ait un impact sur le fonctionnement cognitif, l’effet serait cumulatif (Karp et al., 2006; Y. Lee, Kim et Back, 2009; Curlik et Shors, 2013). Dans la suite de ce chapitre, nous présentons une description succincte des principaux facteurs d’habitude de vie étudiés dans la littérature ainsi que des mécanismes par lesquels ils interagissent avec le fonctionnement cognitif.

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1.3.2.1. Activités sociales

Les activités sociales impliquent d’interagir avec autrui et peuvent prendre différentes formes (Levasseur, Richard, Gauvin et Raymond, 2010) comme par exemple « aller au cinéma » qui ne suppose pas nécessairement de discuter avec une autre personne mais qui se déroule dans un contexte social, « discussion en groupe » qui nécessite de mettre en commun ses efforts pour atteindre un même objectif, ou encore « volontariat » dont l’objectif est d’aider d’autres personnes. Certains auteurs évaluent les activités sociales à travers la fréquence de participation aux activités sociales (Scarmeas et al., 2001; H.-X. Wang, Karp, Winblad et Fratiglioni, 2002; Bielak, Hughes, Small et Dixon, 2007), tandis que d’autres utilisent des mesures de support social telles que le nombre de personnes dans son entourage proche (Seeman, Lusignolo, Albert et Berkman, 2001; Holtzman et al., 2004) ou encore le soutien émotionnel prodigué par son entourage proche (Seeman et al., 2001). Cependant, les différents types d’activités ainsi que les différentes mesures utilisées pour évaluer les activités sociales ne reflètent pas les mêmes construits théoriques et peuvent donc entretenir une relation différente avec le fonctionnement cognitif. Ainsi, le terme « activités sociales » se réfère à plusieurs notions ; il est nécessaire de prendre en compte cette variabilité afin de mieux comprendre la relation entre les activités sociales et le fonctionnement cognitif lors du vieillissement.

De nombreux auteurs observent qu’une fréquence élevée de participation à des activités sociales est associée à un risque plus faible de déclin cognitif lors du vieillissement (Singh-Manoux, Richards et Marmot, 2003; Verghese et al., 2003; Akbaraly et al., 2009; voir Fratiglioni, Paillard-borg et Winblad, 2004 pour une revue). Par ailleurs, les personnes âgées plus actives socialement obtiennent de meilleures performances aux tests cognitifs par rapport aux personnes âgées moins actives (Jopp et Hertzog, 2007). Plusieurs mécanismes sont proposés pour rendre compte de la relation entre les activités sociales et le fonctionnement cognitif lors du vieillissement. Par exemple, l’effet bénéfique des activités sociales sur le fonctionnement cognitif pourrait être spécifique aux processus cognitifs impliqués dans les activités sociales. Notamment, C. L. Brown et al. (2012) observent un lien spécifique entre les performances de fluence verbale (production lexicale) et la fréquence de participation aux activités sociales. En impliquant des processus langagiers, les activités sociales préserveraient de manière spécifique les tâches de langage. Une deuxième hypothèse est que les activités sociales ont un rôle protecteur sur le fonctionnement cognitif de manière générale, indépendamment des processus cognitifs impliqués dans les activités (Ybarra et al., 2008; Kelly et al., 2017). Spécifiquement, les activités sociales impliqueraient des processus cognitifs de haut niveau permettant de compenser les effets délétères du vieillissement cognitif (Hultsch

et al., 1993, 1999; Singh-Manoux et al., 2003; Fratiglioni et al., 2004; McHugh Power, Tang,

Lawlor, Kenny et Kee, 2018). Ces deux hypothèses (relation spécifique et non-spécifique) ne sont pas mutuellement exclusives. Par exemple, Kelly et al. (2017) observent que les activités sociales sont associées à un meilleur score global du fonctionnement cognitif (non-spécifique), mais également à de meilleures performances de mémoire de travail (spécifique). Par ailleurs, un environnement social riche est associé à un risque plus faible de présenter des symptômes dépressifs, de l’hypertension, du stress, ou encore des maladies cardiaques, facteurs de risque

38 dans le déclin cognitif (Bassuk, Glass et Berkman, 1999; Comijs, Jonker, Beekman et Deeg, 2001; Potter et Steffens, 2007). De manière intéressante, Diamond, Krech et Rosenzweig (1964) ont mis en évidence que des rats placés dans un contexte social (environnement avec d’autres rats) présentaient une densité synaptique et une épaisseur corticale plus importantes que des rats isolés. Les rats placés dans le contexte social obtenaient également de meilleures performances au test de maze. De ce fait, les activités sociales semblent également moduler la réserve cérébrale (voir également Greenough, McDonald, Parnisari et Camel, 1986).

Cependant, d’autres auteurs font l’hypothèse que les personnes âgées dont le fonctionnement cognitif est préservé ont tendance à plus s’impliquer dans des activités sociales que les personnes âgées dont le fonctionnement cognitif est plus altéré (Small, Dixon, McArdle et Grimm, 2012; Stoykova, Matharan, Dartigues et Amieva, 2011) (causalité inverse). Ainsi, la pratique d’activités sociales pourrait être une conséquence, et non une cause, d’un fonctionnement cognitif préservé.

1.3.2.2. Activités physiques

L’Organisation Mondiale de la Santé préconise au moins 150 minutes d’activités physiques modérées ou 75 minutes d’activités physiques intenses par semaine chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Ces activités peuvent prendre plusieurs formes, comme des randonnées, des balades, de la danse, du jardinage, ou encore de la natation.

Les bienfaits de la pratique d’une activité physique régulière sur la santé sont nombreux. Notamment, il existe une relation forte entre les activités physiques et le fonctionnement cognitif lors du vieillissement sain (voir Gajewski et Falkenstein, 2016 pour une revue). Particulièrement, la pratique régulière d’activités physiques protègerait le fonctionnement exécutif (S. Colcombe et Kramer, 2003; S. J. Colcombe et al., 2004). En augmentant le volume sanguin au niveau du gyrus denté (structure hippocampique) (Pereira et al., 2007), l’entraînement physique stimulerait la production de la protéine BDNF (brain-derived

neurotrophic factor) (Ferris, Williams et Shen, 2007) impliquée dans les mécanismes de

potentialisation à long terme ainsi que de neurogenèse (Farmer et al., 2004). Par exemple, la pratique régulière d’une activité physique est associée à une augmentation du volume cérébral du cortex préfrontal et de l’hippocampe lors du vieillissement (Erickson, Leckie et Weinstein, 2014; Cheng, 2016). Par ailleurs, de nombreux auteurs observent une réduction du risque de maladies cardio- et cérébro-vasculaires (Christmas et Andersen, 2000), de diabète (Frier, Yang et Taylor, 2006), ou encore d’obésité (Wiklund, 2016) associées à la pratique régulière d’une activité physique (voir Cotman, Berchtold et Christie, 2007 pour une revue). Enfin, le lien entre les activités physiques et le fonctionnement cognitif pourrait s’expliquer par l’effet bénéfique de la pratique d’activités physiques sur les capacités cardio-respiratoires (Angevaren et al., 2008; Maillot, Perrot et Hartley, 2012).

1.3.2.3. Activités mentales

Outre les activités sociales et physiques, la participation à des activités mentales (e.g., apprentissage d’une nouvelle langue) diminue le risque de présenter un trouble cognitif avec

39 l’âge (Mortimer, 1997; Wilson et al., 2002; Verghese et al., 2003; voir Valenzuela et Sachdev, 2006 pour une revue). Wilson et al. (2002) observent notamment une réduction de 47% du risque de développer la maladie d’Alzheimer chez les participants rapportant pratiquer fréquemment des activités mentales. La pratique d’activités mentales est également associée à un déclin cognitif moins rapide chez des patients présentant des signes cliniques de la maladie d’Alzheimer (Treiber et al., 2011). D’après Hultsch et al. (1999), l’hypothèse du « use it or

lose it9 » rendrait compte de l’effet des activités mentales sur le fonctionnement cognitif.

Spécifiquement, les réseaux de neurones qui sous-tendent le fonctionnement cognitif sont plastiques ; les connexions synaptiques peuvent se réorganiser de sorte à maintenir un niveau élevé de performances. Ainsi, la pratique d’activités cognitivement stimulantes permettrait de maintenir l’efficience neuronale des réseaux. Par exemple, Motes et al. (2018) observent une diminution de l’activation cérébrale du cortex préfrontal gauche après entraînement cognitif, ainsi qu’une diminution des TR lors d’une tâche évaluant la vitesse de traitement. L’effet de l’entraînement cognitif serait transférable aux situations de la vie de tous les jours (e.g., Willis

et al., 2006; Chein et Morrison, 2010). 1.3.2.4. Éducation et niveau socioculturel

Plusieurs auteurs observent que le risque de développer une pathologie neurodégénérative est significativement plus faible lorsque le nombre d’années d’études et le niveau socioculturel sont élevés ( Evans et al., 1997; Le Carret et al., 2003; Czernochowski, Fabiani et Friedman, 2008). Par exemple, plus le niveau d’éducation est élevé et plus la densité synaptique est importante (Katzman, 1993). Cependant, Zahodne et al. (2011) observent que, bien que le niveau d’éducation soit un indicateur pertinent du fonctionnement cognitif à un instant t (i.e., un niveau d’éducation plus élevé est associé à de meilleures performances aux tests cognitifs), il n’est pas associé à un déclin cognitif moins rapide. Le niveau d’éducation constituerait ainsi un facteur de réserve passive (Tucker-Drob, Johnson et Jones, 2009; Van Dijk, Van Gerven, Van Boxtel, Van der Elst et Jolles, 2008; Zahodne et al., 2011). Par ailleurs, le niveau intellectuel (mesuré par l’estimation du quotient intellectuel ; Alexander et al., 1997), le type d’activité professionnelle exercé (Foubert-Samier et al., 2012), ainsi que le fait de continuer à pratiquer une activité non professionnelle après le départ en retraite (Adam, Bonsang, Grotz et Perelman, 2013) sont également des facteurs de réserve.

1.3.2.5. Alimentation

Enfin, l’alimentation jouerait également un rôle de réserve. A titre d’exemple, le régime méditerranéen est associé à une diminution du risque de maladies cardio-vasculaires (Martínez-González et al., 2011) ainsi que de démence (voir Lourida et al., 2013 pour une revue). Néanmoins, ce serait la consommation synergique de différents nutriments dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée qui aurait un impact sur le fonctionnement cognitif à travers la réserve cognitive et cérébrale, plutôt que la consommation isolée de ces mêmes nutriments (Bjelakovic, Nikolova, Gluud, Simonetti et Gluud, 2008).

9 Utilisé ou perdu

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