• Aucun résultat trouvé

lors du vieillissement sain Préambule. Les personnes âgées manifestent une augmentation de la fréquence d'apparition du manque

4.2. Facteurs de réserve et dénomination orale d’objets

L’étude des facteurs (environnementaux et génétiques) de réserve permet de mieux caractériser la variabilité interindividuelle observée lors du vieillissement ainsi que les mécanismes cérébraux sous-jacents. Par exemple, D. J. Barulli, Rakitin, Lemaire et Stern (2013) proposent que la réserve module les capacités de sélection des stratégies cognitives lors du vieillissement. Spécifiquement, une plus grande réserve serait associée à une plus grande capacité de sélection parmi les stratégies à disposition, ainsi qu’à un éventail plus large de stratégies disponibles. Plusieurs facteurs de réserve ont été décrits dans la littérature, tels que l’éducation, le niveau socioculturel ou encore le quotient intellectuel, mais également la pratique d’activités physiques, sociales et/ou mentales (voir Chapitre 1). Dans ce travail de thèse, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés au lien entre les activités sociales et les performances de DO lors du vieillissement. Cependant, le niveau d’éducation des participants ainsi que l’aspect cognitif engagé par les activités sociales sont des variables potentiellement confondantes, nécessitant d’avoir une vue d’ensemble de ces trois facteurs (activités sociales, éducation et activités mentales).

4.2.1. Activités sociales

La relation entre le langage et les activités sociales est sujette à controverses. Par exemple, lors d’une étude longitudinale portant sur quatre cohortes de participants différentes, C. L. Brown et al. (2012) observent que l’augmentation de la fréquence de participation aux activités sociales est positivement corrélée aux performances de fluence verbale. Dans cette étude, les activités sociales étaient évaluées soit par le nombre de personnes fréquentées par les participants, soit par la fréquence de participation à des activités sociales (e.g., conversations téléphoniques, volontariat, aller à des fêtes, aller à des bals, jouer aux cartes, ou encore aller à l’église), en fonction des cohortes considérées. D’après C. L. Brown et al. (2012), les activités sociales impliquent des processus cognitifs de production lexicale afin de communiquer efficacement avec autrui. Ainsi, les activités sociales constitueraient un entraînement cognitif des réseaux cérébraux sous-tendant la production lexicale. Par ailleurs, C. L. Brown et al. (2012) observent que plus la fréquence de participation aux activités sociales est élevée lors de la première mesure (qui sert alors de ligne de référence) et moins les performances de mémoire sémantique déclinent lors des mesures ultérieures. Cette étude est, à notre connaissance, la seule qui établit un lien spécifique entre les activités sociales et la production lexicale lors du vieillissement. Cependant, Small et al. (2012) observent que le lien entre les activités sociales et les performances de mémoire sémantique, mesurées par des tests de vocabulaire et de connaissances sur le monde, s’expliquerait plutôt par le fait que les individus dont le fonctionnement sémantique est préservé s’engagent plus fréquemment dans des activités

78 sociales, plutôt que la relation inverse. Kelly et al. (2017) échouent également à mettre en évidence une relation entre les performances de production lexicale et les activités sociales lors du vieillissement.

Krueger et al. (2009) observent un effet des activités sociales sur les performances de mémoire sémantique mesurées par une tâche de DO, de fluence verbale et de lecture, mais pas du support social. Cependant, lorsque l’effet des activités mentales (e.g., lire des livres, aller à la bibliothèque) et des activités physiques sont contrôlés, la relation entre les performances de mémoire sémantique et les activités sociales n’est plus significative. Seule la relation entre les activités sociales et les performances de mémoire épisodique reste significative, suggérant alors une relation spécifique entre les processus épisodiques et les activités sociales. De manière intéressante, la récupération de souvenirs épisodiques représenterait une stratégie efficace de récupération de l’information sémantique (J. A. Small et Sandhu, 2008; Greenberg et Verfaellie, 2010). Par ailleurs, le contexte émotionnel, inhérent aux situations sociales, permet un encodage et une récupération plus efficace de l’information en mémoire à long terme chez les personnes âgées (Kensinger, 2009). Par exemple, Kensinger et Schacter (2008) observent que les personnes âgées recrutent un large réseau cérébral composé de l’amygdale, du gyrus fusiforme et du cortex orbitofrontal de manière similaire aux jeunes adultes lors de l’encodage l’information de nature émotionnelle. Contrairement aux jeunes adultes, les personnes âgées recrutent également le cortex préfrontal médial et le gyrus cingulaire (Kensinger et Schacter, 2008). Le cortex préfrontal médial est impliqué dans le traitement de l’information centrée sur soi, qui constitue une stratégie efficace de récupération de l’information en mémoire à long terme (Gutchess, Kensinger et Schacter, 2007). Ainsi, une plus grande fréquence de participation aux activités sociales pourrait être associée à l’utilisation d’une stratégie d’encodage de l’information épisodique centrée sur soi. L’utilisation de cette stratégie médiatiserait alors la récupération de l’information sémantique.

D’autre part, les activités sociales engagent des processus cognitifs complexes, tels que la résolution de problème, la mémoire de travail, ou encore la prise en compte du point de vue d’autrui (Byrne et Whiten, 1988, cité par Carstensen, Hartel et National Research Council, 2006, Chap. 5). Ainsi, un troisième mécanisme possible, outre la relation domaine-spécifique et le traitement de l’information centrée sur soi, est que les activités sociales, en sollicitant de manière complexe le fonctionnement exécutif ainsi que la cognition sociale (e.g., prise en compte du point de vue d’autrui), permettrait un meilleur fonctionnement cognitif des fonctions annexes à la production lexicale, et ainsi une récupération plus efficiente de l’information lexicale. Enfin, il n’est pas à exclure que d’autres mécanismes interviennent également dans la relation entre les activités sociales et la DO lors du vieillissement, auxquels nous n’avons pas pensé. Au vu de la littérature, les mécanismes discutés ci-dessus restent hypothétiques, nécessitant des études approfondies.

4.2.2. Éducation

Un niveau d’éducation élevé est associé à de meilleures performances de DO (Connor et al., 2004; Paolieri et al., 2018). Par exemple, Paolieri et al. (2018) observent des TRDO plus courts chez des participants âgés dont le niveau éducatif est élevé lors d’une tâche de dénomination

79 orale en blocs cycliques, ainsi qu’un déclin moins important des performances de dénomination orale de personnes célèbres. Spécifiquement, le niveau d’éducation permet de prédire les scores de vocabulaire lors du vieillissement sain (Verhaeghen, 2003; Giogkaraki, Michaelides et Constantinidou, 2013). Un niveau d’éducation élevé pourrait alors masquer les effets des activités sociales sur les performances de DO, et ainsi conclure à une absence d’effet à tort. Le contrôle du niveau d’éducation est donc important.

4.2.3. Activités mentales

Les activités mentales constituent également un facteur de réserve lors du vieillissement (Valenzuela et Sachdev, 2006). Par exemple, Thow et al. (2018) observent que les personnes âgées qui suivent des cours à l’université (sur une durée minimum de 12 mois) améliorent leurs performances en vocabulaire, en DO, ainsi qu’en compréhension du langage sur un suivi longitudinal de 4 ans. A l’inverse, aucune progression n’est observée chez les personnes âgées n’allant pas à l’université, indépendamment de l’âge et du niveau initial d’éducation. Par ailleurs, B. J. Small et al. (2012) observent que la fréquence de participation à des activités mentales (e.g., utiliser un ordinateur, jouer aux échecs) prédit les performances de mémoire sémantique lors du vieillissement. Notamment, en engageant des processus complexes et non routiniers, les activités mentales contribueraient à la constitution et au maintien de la réserve (use it or lose it). De manière plus spécifique au traitement du langage, Hughes, Bielak, Small et Dixon (étude intégrée dans le manuscrit de thèse de Hughes, 2008) observent que les activités qui impliquent le traitement de nouvelles informations (e.g., apprentissage d’une langue étrangère, mots-croisés, lecture) améliorent les TR lors de tâches de langage. Enfin, Park et Bischof (2013) proposent que la pratique d’activités mentales en groupe serait bénéfique au fonctionnement cognitif, en permettant de maintenir un état motivationnel et ainsi, continuer à prendre part à ces activités. Ainsi, il n’est alors pas à exclure que, s’il existe un lien entre les activités sociales et les performances de DO lors du vieillissement, celui-ci s’explique spécifiquement par la nature sociale des activités (Krueger et al., 2009).

80

Résumé.

La réserve (cérébrale et cognitive) est une notion clef lorsque l’on s’intéresse aux mécanismes de préservation du fonctionnement cognitif lors du vieillissement. La réserve s’étudie au niveau anatomique et fonctionnel et est fonction de facteurs environnementaux (également référés comme les habitudes de vie) et de facteurs génétiques (auxquels nous ne nous sommes pas intéressés). A notre connaissance, peu d’auteurs ont étudié de manière spécifique la relation entre les performances comportementales de DO et les facteurs de réserve lors du vieillissement sain. De ce fait, il est difficile de déterminer avec précision les facteurs qui permettent d’expliquer la variabilité interindividuelle des performances comportementales de DO lors du vieillissement sain, et ainsi de mettre en évidence des facteurs de préservation des processus de production lexicale.

Au niveau fonctionnel, de nombreux auteurs observent une diminution de la connectivité intra-réseau du langage et une augmentation de la connectivité inter-intra-réseau chez les personnes âgées, au détriment des performances de langage. Néanmoins, le recrutement de régions annexes au langage, notamment frontales droites, est associé à de meilleures performances de DO lors du vieillissement. Le maintien des performances de langage chez les personnes âgées s’expliquerait ainsi par une meilleure intégration des régions impliquées dans le traitement de l’information langagière et une ségrégation plus marquée entre le réseau de langage et les réseaux qui sous-tendent des fonctions annexes au langage (e.g., fonctionnement exécutif, mémoire de travail). Il est important de dissocier la ségrégation fonctionnelle des stratégies de compensation neurale ; autrement dit, ce n’est pas parce que les réseaux fonctionnels sont distincts (ségrégation fonctionnelle) que les personnes âgées ne peuvent pas recruter des régions annexes au langage (compensation neurale) comme mécanisme de réserve cognitive. En termes d’habitudes de vie, nous nous sommes plus spécifiquement focalisés sur les activités sociales. Notamment, la relation entre les activités sociales et les performances de production lexicale et de mémoire sémantique est sujette à controverse. Certains auteurs observent une relation spécifique entre les activités sociales et la production lexicale, d’autres suggèrent une causalité inverse, et d’autres enfin n’observent pas de relation. Sur base de la littérature, nous dissocions trois mécanismes possibles par lesquels les activités sociales entretiennent une relation avec les performances de DO lors du vieillissement : (a) entraînement domaine-spécifique, (b) traitement émotionnel et (c) entraînement domaine-général. Ces trois hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives.

81

1)

Synthèse théorique et objectifs