III- Facteurs influençant l’apparition et l’évolution de la résistance aux pesticides
III.3- Les facteurs opérationnels
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ou la récessivité d’un allèle de résistance est facilement mesurable et est connue pour de
nombreuses mutations (Bourguet et al. 1997, Roux et al. 2005). Dans la plupart des cas, le
caractère de résistance est globalement dominant (Charlesworth 1998, Jasienicuk et al. 1996),
cependant le degré de dominance d’un allèle peut varier suivant l’environnement, le pesticide
ou l’espèce concernée (Bourguet et al. 1996, Bourguet et al. 1997, Roux et al. 2005).
Les mécanismes de résistance affectant des gènes majeurs peuvent avoir des effets
pléïotropes, c'est-à-dire qu’ils peuvent affecter l’expression de plusieurs caractères
phénotypiques simultanément, entraînant une réduction de la fitness des individus résistants
(Uyenoyama 1986). Le succès évolutif d’une résistance à un stress biotique (résistance aux
pathogènes), ou abiotique (résistance aux pesticides), dépend particulièrement du bénéfice lié
à la résistance et de l’effet pléïotrope négatif du gène de résistance sur la fitness. Si le coût de
la résistance sur la fitness est élevé, l’allèle de résistance va induire un désavantage sélectif
en absence de pesticides, entraînant son élimination des populations polymorphes (Fisher
1928). Ceci est important pour prédire la trajectoire évolutive des allèles de résistance aux
pesticides parce que le coût de la résistance peut parfois être assez élevé et contrebalancer
l’avantage sur la fitness en présence de l’agent sélectif, empêchant ainsi sa fixation dans la
population. De plus, le coût de la résistance est l’un des facteurs déterminant dans le choix des
stratégies de management de la résistance car le succès de certaines d’entre elles (la rotation
ou la stratégie « haute-dose-refuge » par exemple) dépend de la diminution de la fréquence de
l’allèle de résistance en absence du pesticide sélectif (Lenormand & Raymond 1998, Hall et
al. 2004).
III.3- Les facteurs opérationnels
III.3.1- Autres pressions de sélection : historique et écologie des gîtes larvaires
L’historique des traitements dans les populations est un élément très important qui
peut déterminer l’émergence rapide de résistance à un nouvel insecticide. En effet, de
nombreuses résistances croisées ont été observées dans les populations de moustiques, et la
sélection passée avec un insecticide peut permettre des résistances à d’autres insecticides
jamais utilisés dans les populations. Tout d’abord le même allèle peut permettre une
résistance à différents insecticides ayant le même mode d’action (Brogdon & McAllister
1998). C’est le cas par exemple de la mutation Ache dans l’acétylcholinestérase qui permet
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une résistance croisée à deux familles d’insecticides ciblant spécifiquement ce récepteur : les
carbamates et les organophosphorés. De plus, les mécanismes de détoxications, non
spécifiques du mode d’action des molécules insecticides, peuvent permettre des résistances
croisées entre de nombreuses familles d’insecticides (figure 12).
Figure 12 : Résistances croisées connues pour quatre des principales classes d’insecticides chimiques
(Brogdon & McAllister 1998). Les mécanismes de résistance impliqués sont soit des mutations de
cible (Ache, Kdr ou IGRs), soit l’amplification d’enzymes de détoxications (estérases,…).
D’autres pressions de sélection comme les pollutions présentes dans les gîtes à
moustiques (autres pesticides, métaux lourds,…) peuvent également favoriser l’augmentation
des activités enzymatiques de détoxication et les résistances croisées entre polluants et
insecticides. Par exemple, des herbicides ou des métaux lourds peuvent induire des
changements d’expressions de certaines enzymes de détoxications et des résistances croisées
chez le moustique Aedes aegypti avec certains organophosphorés ou pyréthrinoïdes (Boyer et
al. 2006, Poupardin et al. 2008, Riaz et al. 2009).
III.3.2- Stratégies de gestion de la résistance
De façon évidente, la solution la plus simple pour éviter la résistance est de se passer
de pesticide ou de changer de pesticide dès lors que la résistance est décelée. Cependant, cette
solution n’est pas toujours envisageable car le nombre de nouvelles molécules sur le marché
est très limité et la découverte de nouveaux modes d’action est devenue assez rare (Powles et
al. 1997, Broadhurst 1998). Des stratégies de gestion utilisant un nombre restreint de
molécules doivent donc être mises en place pour retarder l’évolution de la résistance et ainsi
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prolonger la durée de vie des pesticides. Plusieurs stratégies ont été proposées dans la lutte
contre les pesticides (LeBaron 1986, Denholm & Rowland 1992). Parmi elles, la rotation de
molécules a pour but de réduire l’évolution de la résistance en limitant la période d’exposition
à chacun des pesticides utilisés. L’hypothèse est que la fréquence en individus résistants
diminue en absence du pesticide grâce à la migration d’individus sensibles et/ou à un coût sur
la fitness des individus résistants. Le mélange de plusieurs pesticides a lui pour principe de
tuer les individus résistants à l’un des pesticides par adjonction d’autres pesticides à mode
d’action différent. Lorsque les produits n’impliquent pas de résistances croisées, les individus
doivent développer des résistances à chacun des produits du mélange pour survivre, ce qui
retarde l’apparition de la résistance.
D’autres stratégies de gestion utilisées principalement chez les insectes ont pour
principe d’utiliser la migration qui va agir à l’encontre de la sélection des gènes de résistance
(Vacher et al. 2003, Glaser et Matten 2003, Liu & Tanbashnik 1997, Lenormand & Raymond
1998). Parmi elles, la stratégie « haute-dose-refuge » préconise une application localisée du
pesticide en laissant une parcelle (dite refuge) non traitée à proximité. Les individus présents
dans la zone de refuge ne sont pas soumis à la sélection et ne développent donc pas de
résistance. Ils vont ensuite migrer et se reproduire avec les individus résistants de la
population traitée. Dans le cas d’une résistance récessive, sa « dilution » par migration d’une
population sensible proche va induire l’apparition quasi exclusive d’individus hétérozygotes
aisément contrôlables. Les possibilités de contrôler la résistance dans la parcelle traitée vont
donc dépendre de la fréquence du gène de résistance dans la population, du degré de
dominance de la résistance, du coût de la résistance dans la zone non-traitée, des flux de gènes
entre zones traitées et non-traitées, qui dépendent de la connectivité et des proportions
respectives de zones traitées et non traitées, et de l’intensité de la pression de sélection (May
1986, Carrière & Tabashnik 2001).
En résumé : Lorsqu’une résistance apparaît dans une population, son évolution est
déterminée par de nombreux facteurs : les traits d’histoire de vie de l’espèce, les facteurs
génétiques et écologiques liés à la résistance ainsi que les facteurs opérationnels liés à la
nature et à l’application de la pression de sélection. Connaître ces facteurs peut permettre de
prévoir l’évolution de la résistance dans les populations naturelles et d’adopter des stratégies
de traitement limitant son évolution.
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Dans le document
Evolution de la résistance au bactério-insecticide Bti chez les moustiques
(Page 32-35)