• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Déterminants des crises bancaires

2 Facteurs microéconomiques

Les premiers travaux relatifs aux déterminants des défaillances bancaires datent des années soixante-dix et sont essentiellement des contributions empiriques. En général, ces études portent sur les faillites individuelles des banques. Dans une approche macroéconomique, il est possible d’intégrer les facteurs microéconomiques sous la forme d’indicateurs agrégés. En effet, nous soupçonnons dans cette thèse que les spécificités des banques en termes de ratios comptables sont utiles à l’explication des crises. Dans le souci de tester l’apport des variables bancaires aux côtés des variables macroéconomiques et institutionnelles utilisées dans la littérature, nous présentons l’ensemble des facteurs microéconomiques.

On peut classer ces variables en trois catégories : les ratios de l’acronyme CAMEL38, les indicateurs Z-scores et les autres facteurs.39.

2.1 Ratios du CAMEL

Les premières études sur les difficultés des banques étaient essentiellement fondées sur les ratios comptables de banques issues de l’acronyme CAMEL (Sinkey, 1975 ; Altman, 1977 ; martin, 1977 ; Avery et Hanweck, 1984 ; Barth et al., 1985 ; Benston, 1985 ; Gajewsky, 1988). Demirguc-kunt (1990) et Gonzalez-Hermosillo (1999) présentent une large revue de la littérature empirique de cette question en détaillant les méthodes statistiques et économétriques utilisées dans ces travaux. Suite aux crises financières des années quatre-vingt-dix, une étude spéciale diligentée par le FMI40 dans le cadre de la surveillance macroprudentielle du système financier met l’accent sur la nécessité de prendre en compte les facteurs microéconomiques agrégés au-delà des facteurs macroéconomiques usuels41. On analyse comment la prise en compte de ces variables permet de mieux expliquer les crises bancaires.

38 L’acronyme CAMEL se réfère aux cinq composantes de la condition des banques évaluée comme suit : C, Capital Adequacy, A, Asset quality, M, Management, E, Earnings et L, Liquidity. Depuis 1997, une sixième composante est ajoutée. Cet acronyme est devenu CAMELS où S traduit la sensibilité au risque de marché (Shibut et al. ,2003). On analyse ici, la 6ième composante dans la catégorie des « autres facteurs ».

39 Ce sont les indicateurs comptables ou des données relatives aux conditions de banque qui prennent dans une certaine mesure, le risque de marché (risque de taux, risque boursier et le risque de change).

40 Evans et al. (2000).

41 A notre connaissance, aucune étude empirique relative aux déterminants des crises n’intègre les indicateurs microprudentiels agrégés dans une optique macroéconomique.

Les variables microéconomiques agrégées sont présentées comme pouvant être des chocs qui affectent la stabilité du système bancaire. On classe ces variables en cinq groupes révélateurs de la santé des établissements financiers suivant l’acronyme CAMEL :

2.1.1 Ratios de suffisance des fonds propres

Le niveau et la structure42 des fonds propres déterminent dans quelle mesure les banques peuvent faire face aux chocs affectant leurs bilans. Le ratio le plus fréquemment utilisé dans les études empiriques est le ratio de capital (capital / total de l’actif). Il prend en compte l’effet de levier recherché par les banques. Plus il est faible plus le levier est important mais plus la banque est fragilisée. Les limites de cette approche ont donné naissance à d’autres ratios plus pertinents43. Toute tendance à la baise de ce ratio laisse entrevoir un risque accru d’insolvabilité de l’établissement. Il est possible d’estimer la vulnérabilité du système en établissant une moyenne des ratios mais une simple moyenne peut être trompeuse44. Outre la suffisance des fonds propres, il peut être utile de surveiller leur structure45.

2.1.2 Ratios de qualité de l’actif

La solvabilité des établissements financiers est typiquement compromise lorsque leurs actifs se dégradent. Ces ratios concernent tout d’abord l’état des portefeuilles de créances. Ils doivent également prendre en compte le risque du crédit lié aux éléments du hors bilan notamment aux garanties, aux prêts éventuels et aux instruments dérivés. Ces ratios peuvent être établis aussi bien à partir des bilans des agents économiques prêteurs qu’emprunteurs.

Ces ratios tentent surtout d’apprécier la valeur nette de l’actif après déduction des pertes réelles ou estimées. Ils peuvent traduire aussi la plus ou moins grande concentration de prêts auprès d’un client donné ou d’un secteur d’activité donné. La littérature suggère un grand nombre de ratios de qualité de l’actif tels les ratios de prêts non performants ou de provisions pour pertes rapportés à l’ensemble des crédits ou total de l’actif.

42 Un ratio de capital pondéré du risque et un ratio de capital non pondéré du risque (leverage ratio) sont deux mesures du niveau de capitalisation qui ne contiennent pas les mêmes informations dans le mesure où le premier est plus pertinent.

43 En effet, ce ratio est de plus en plus contesté au profit des ratios Cooke et Mc Donough issus des accords de Bales. Ces derniers reflètent les risques financiers les plus importants –risque de crédit, risque de marché et risque opérationnel- en attribuant des coefficients de risques aux actifs des institutions.

44 On peut envisager de calculer une moyenne pondérée par le bilan des banques qui tient compte du poids de chaque établissement. Il est également possible de prendre en compte seulement les plus grandes banques.

45 La constitution des fonds propres peut varier en fonction du pays et de la réglementation en cours.

2.1.3 Ratios de qualité de la gestion

Une saine gestion est un élément important de la santé financière des banques. Mais il est difficile de la mesurer dans la mesure où il s’agit principalement d’un facteur qualitatif propre à chaque institution. Dans ce contexte, il n’est pas commode de procéder à leur agrégation pour obtenir un portrait de l’ensemble du secteur. Toutefois certains ratios sont utilisés comme des proxy : le ratio de dépenses, le bénéfice par employé, ou encore la croissance du nombre d’établissements. En effet, un ratio de dépenses en hausse par rapport aux produits d’exploitation globaux est parfois révélateur de méthodes d’exploitation inefficaces des établissements financiers. Cette inefficacité peut avoir des effets néfastes sur la rentabilité46. Il en est de même pour le ratio bénéfice par employé. Bien qu’une expansion du secteur bancaire soit le signe d’une saine concurrence, une prolifération d’établissements de crédits peut être aussi le fait d’un certain laxisme des autorités de surveillance (forbearance).

2.1.4 Ratios de rentabilité

Les banques qui sont non rentables consécutivement sur plusieurs années, courent le risque de devenir insolvables dans la mesure où elles disposeraient de moins en moins de réserves pour faire face aux pertes et aux chocs aléatoires. En général, la baisse du ratio de rentabilité est un signe avant-coureur de problèmes de solvabilité. Par contre, une rentabilité anormalement très importante devient inquiétante lorsqu’elle n’est pas en mesure de couvrir le risque encouru.

On distingue plusieurs types de ratio de rentabilité (Evans et al., 2000). En général, on utilise deux ratios : un ratio de rentabilité économique et un ratio de rentabilité financière. On rapporte le résultat 47 soit à l’actif moyen total (rentabilité économique ou le Return On Asset, ROA) soit aux fonds propres moyens (rentabilité financière ou le Return On Equity, ROE).

L’analyse de la rentabilité en termes de flux permet de prendre en compte la durabilité des bénéfices et l’étendue des risques encourus.

2.1.5 Ratios de liquidité

Une mauvaise gestion de la liquidité à court terme peut conduire à la faillite des institutions financières initialement solvables. La plupart des ratios traditionnels de liquidité permettent

46 En revanche, certaines dépenses de personnel peuvent avoir des effets positifs sur la rentabilité des banques.

En effet, une banque peut mettre en place un dispositif de surveillance performant très onéreux (screening, monitoring) qui nécessite un personnel qualifié. En retour, elle s’attend à une diminution des pertes et donc à un accroissement des profits.

47 Pour analyser l’efficacité des systèmes bancaires nationaux, il est préférable d’utiliser le bénéfice avant impôt afin d’éliminer les distorsions causées par les différences dans les régimes fiscaux nationaux.

de saisir deux effets : l’effet de couverture des sources de financements (réserves) et l’effet de fortes disparités des échéances (dépôts de court terme versus prêts de long terme). Parce que la situation de liquidité des banques peut évoluer très rapidement, il est prudent d’envisager un plus large éventail possible de ratios. On en distingue plusieurs : (i) le ratio dépôts sur prêts (à l’exclusion des opérations interbancaires) qui donnent une indication de la capacité du système bancaire à mobiliser ses dépôts pour respecter ses obligations ; (ii) le ratio de structure d’échéances qui reflètent la structure des échéances du portefeuille d’actifs (ratio d’actifs liquides par rapport au total de l’actif) peuvent permettre de déceler un décalage important des échéances. Aussi, une augmentation du crédit de la Banque Centrale aux établissements peut être un indicateur qui dénote de graves problèmes de liquidité et éventuellement de solvabilité du système (Laeven et Valencia, 2008). Toutefois, les aspects de la liquidité bancaire évoqués ici sont très limités et ne prennent pas en compte les interactions avec la liquidité du marché. Cette vision restrictive réduit le champ d’analyse des crises de liquidité du secteur bancaire dans le contexte de développement des marchés financiers.

2.2 Indicateurs Z-scores

Porter un jugement à partir des ratios issus du CAMEL paraît simple lorsque ceux-ci vont dans la même direction. Malheureusement il n’en est pas toujours que très rarement. La plupart des ratios pris individuellement n’évoluent pas dans la même direction. Les limites de l’analyse univariée ont donné naissance à d’autres approches. L’étude de Altman (1968) qui utilise les indicateurs dits de Z-score est considérée comme la référence dans le domaine de la prédiction des faillites. Le principe de cette approche est de construire une combinaison linéaire d’indicateurs classiques basée ou non sur les ratios du CAMEL et décrivant la situation financière des firmes. Certaines études utilisent l’approche des Z-score en se limitant à la mesure de la profitabilité et du risque d’un actif donné. Dans cette optique l’indicateur Z-score est la distance exprimée en nombre d’écart-types entre la valeur d’un actif et sa moyenne (Boyd et Graham, 1988 ; Goyeau et Tarazi, 1992). Ces indicateurs peuvent être calculés à l’échelle nationale pour évaluer la fragilité financière et les effets de contagion au sein du système bancaire (Goyeau et Tarazi et, 1992).

2.3 Autres facteurs

L’abondante littérature sur les facteurs de vulnérabilité financière suggère que d’autres facteurs autres que les ratios CAMEL et indicateurs Z-scores, peuvent être utilisés pour évaluer la fragilité financière des banques. On peut les subdiviser en deux groupes : les variables relatives à l’activité bancaire et les variables de marché.

Parmi les variables liées à l’activité bancaire, on trouve : le spread des taux d’intérêt, le différentiel entre taux de croissance des dépôts et taux d’intérêt créditeur et le risque du taux de change. En effet, les banques peuvent être soumises à plusieurs chocs difficiles à absorber : segmentation du marché, chocs de liquidité. Le différentiel entre les taux d’intérêt du marché interbancaire peut être utilisé comme une proxy pour mesurer l’effet de la segmentation du marché. Un marché interbancaire segmenté peut être une source de dispersion importante des taux interbancaires. Ainsi, arrive-t-il que les banques exercent un contrôle sur leurs positions interbancaires en ayant recours à des mécanismes de contrôle quantitatifs. De ce fait, certains établissements financiers sont poussés à une guerre des taux à la fois sur les marchés des prêts et des dépôts (Scialom, 2004). Le ratio des dépôts rapportés aux agrégats monétaires peut mesurer la perte de confiance ou la fuite de liquidité à l’égard du système bancaire. Une baisse de ce ratio traduirait dans ce cas d’importants problèmes de liquidité. En outre, Gavin et Hausmann (1996) montrent que les problèmes bancaires apparaissent lorsque l’écart entre le taux de croissance des dépôts et le taux d’intérêt créditeur atteint un seuil donné. Si le taux de croissance des dépôts est plus faible que le taux d’intérêt créditeur, il est probable qu’une crise bancaire éclate. Le ratio traduisant la part des dettes bancaires libellées en monnaie étrangères, peut être utilisé pour capter le risque de change (Hardy et Pazarbasioglu, 1998) Il est possible de construire un grand nombre de variables de marché pour évaluer la dégradation financière des banques (Distinguin et al, 2006). Borio et Lowe (2002) suggèrent de prendre en considération la volatilité du prix des actifs notamment ceux de l’immobilier pour détecter l’accumulation de fragilité. En effet, la fluctuation du cours des valeurs détenues par les banques expose ces dernières à un risque de marché. Le rendement cumulé du cours boursier de la banque ou le rendement cumulé excessif de cours par rapport au marché pourraient être des signes de détérioration des conditions financières de la banque (Elmer et Fissel, 2001 ; Distinguin et al, 2006).

Les notes de crédit affectées aussi bien aux établissements financiers qu’aux grandes firmes doivent être prises en compte dans la mesure où elles fournissent des informations sur la solvabilité des principaux emprunteurs des banques.

Du fait du décloisonnement et des interactions des marchés financiers, des problèmes de liquidité sur un marché secondaire pourraient avoir des répercussions sur la liquidité des banques tributaires du marché.

En général, deux mesures sont utilisées pour apprécier la liquidité des marchés (Gravelle, 1999) : le taux de rotation de la liquidité et l’écart entre les cours acheteur et vendeur. En effet, l’intensité des opérations (nombre de transactions effectuées au cours d’une période donnée) et le taux de rotation (volume total des opérations divisé par l’encours des titres) permettent d’apprécier le degré de liquidité du marché. L’intensité des opérations est également reflétée par l’écart entre les cours acheteur et vendeur affichés par les négociants.

Quand cette intensité augmente, il est moins coûteux pour les négociants de rééquilibrer leur stock de titres pour l’établir au niveau souhaité, ce qui leur permet d’afficher des écarts plus étroits. A bien des égards, l’écart acheteur-vendeur est un indicateur plus général de la liquidité du marché que le taux de rotation, puisqu’il tient également compte de nombreux autres facteurs influant sur le coût qu’assument les négociants pour assurer la liquidité du marché.

Dans les pays où le marché financier est développé, le lien entre la liquidité bancaire et la liquidité des marchés est très étroit. Dans ce cas, un éventuel effondrement de liquidité de marché peut être une source de grave difficulté sur le marché bancaire induit par un effet de contagion.

Au delà, des facteurs macroéconomiques et microéconomiques, il est pertinent de prendre en compte d’autres facteurs tels que la qualité du cadre institutionnel et structurel.