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Exigences et portée d’un système d’alerte avancée (EWS)

Chapitre 4 : Prédiction des crises bancaires : généralités et performance des systèmes

1 Exigences et portée d’un système d’alerte avancée (EWS)

L’ampleur des problèmes bancaires et la difficulté de les anticiper, ont mis en lumière d’une part, le besoin d’améliorer les capacités de surveillance aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. D’autre part, ces problèmes ont favorisé la mise en œuvre rapide d’un ensemble d’indicateurs d’occurrence de difficultés futures, construit sur la base des études statistiques des précédentes crises bancaires.

De nombreuses institutions financières nationales et internationales, ont développé un ensemble de dispositifs visant à prévenir les détresses liées aux chocs idiosyncrasique ou commun. Ces modèles qui tentent de contenir le risque local ou systémique ont considérablement évolué durant ces dernières années (Gaytan et Johnson, 2002).

Dans ce qui suit, nous discutons des exigences et de la portée d’un système d’alerte avancée.

En général, un EWS de crise requiert un éventail d’exigences qui conditionnent sa fiabilité : le repérage de l’épisode de crise ou la définition de la variable cible (« détresse financière » ou

« crise bancaire »), le choix des indicateurs pertinents, la performance prédictive, la prise en compte des coûts des actions préventives et des coûts estimés de la crise (si elle a lieu) et l’horizon temporel de prédiction. La portée d’un EWS vise à calibrer le modèle suivant une approche macroprudentielle ou microprudentielle.

1.1 Définition de la crise et choix des indicateurs

Une des exigences fondamentales d’un système d’alerte de crise ou de détresse financière est liée à la définition de la crise ou de détresse et/ou à l’identification des facteurs qui permettent de repérer cette crise. La datation des crises bancaires est essentielle dans l’élaboration d’un EWS. La quasi-totalité des modèles de crises insiste sur les indicateurs de crise plutôt que sur la définition même de la crise. Or, cette dernière est fondamentale car elle aide à repérer les épisodes de crise. L’identification des épisodes de crise est d’autant plus importante qu’elle conditionne parfois le choix et la capacité prédictive du modèle. Les études empiriques utilisent différentes définitions de crise ou de détresse bancaire78. A travers la littérature, on

note que les économistes ne sont pas encore parvenus à une définition consensuelle de la crise ou de la détresse financière sur un plan empirique. Une raison à cela est que l’environnement bancaire est en pleine mutation depuis la déréglementation, le décloisonnement des marchés financiers et la désintermédiation. En effet, les interactions entre les différents acteurs et la complexité des opérations financières s’intensifiant, il devient de plus en plus difficile d’évaluer de façon empirique une situation de crise ou de détresse financière.

Pour ce qui concerne le choix des variables, il n’existe pas encore de consensus pour expliquer les crises bancaires contemporaines. Berg et Pattillo (2000) montrent que la détermination d’un modèle économique unique à tous ces types de crise est évidemment difficile. En effet, le choix de l’échantillon, la structure des systèmes bancaires, les caractéristiques des moyens de paiement, la taille et la nature des relations interbancaires des pays développés ou en développement constituent des facteurs pouvant influencer le type d’indicateurs appropriés pour un EWS donné (Bell, 2000). De plus, le choix des variables pour la prédiction des défaillances bancaires, est limité par la disponibilité des données, leur fréquence et leur fiabilité. Toutefois, la nature des économies (développées, en transition ou en développement) et le niveau du développement financier peuvent aider à la sélection des indicateurs de vulnérabilité pertinents.

Toutes ces difficultés relatives à la définition de la crise ou de la détresse ainsi qu’au choix des indicateurs appropriés dans le calibrage des modèles, ne doivent pas occulter le réel besoin d’une évaluation du risque systémique. Les EWS conçus pour répondre à cette préoccupation sont utiles lorsqu’ils présentent de meilleures qualités prédictives.

1.2 Performances prédictives

Quelque soit la définition retenue pour évaluer le risque de défaillance, l’émission d’une alerte avancée est toujours soumise à des marges d’erreurs. On porte ici, une attention particulière à la capacité du modèle à prédire une crise. A l’aide d’une matrice de signalement79 et si on suppose que l’hypothèse nulle est l’occurrence de crise, il est possible de déterminer deux marges d’erreurs communément appelées erreurs de type 1 et 2. L’erreur de type 1 ou erreur de première espèce apparaît lorsque l’hypothèse nulle est rejetée alors qu’elle est vraie, c’est-à-dire qu’on ne prédit pas de crise bancaire alors qu’en fait, il y a eu crise (échec de détection de crise). En revanche, l’erreur de type 2 ou erreur de deuxième

79 La matrice de signalement est une matrice qui présente le pourcentage des crises correctement prédites, les non-crises correctement prédites et les erreurs de type 1 et 2 respectivement erreur de manquer de détecter la crise et erreur d’émettre une fausse alerte.

espèce survient lorsque l’hypothèse nulle est acceptée, alors qu’elle est en réalité fausse. En d’autres termes, on prédit la crise bancaire alors que cette dernière n’a pas eu lieu (fausse alerte) (Tableau 7).

Tableau 7 : Matrice de signalement de crise

Il existe une relation inverse implicite entre ces deux types d’erreurs. Si l’erreur de type 2 (fausse alerte) est minimisée, alors le modèle EWS est conçu de manière à ce qu’il devienne difficile d’intercepter une crise. Dans ce cas, la marge d’erreur de type 1 est importante. En d’autres termes, si l’erreur de type 1 est faible, c’est-à-dire que le EWS est calibré pour détecter le maximum de crises, la probabilité d’annoncer de fausses alertes devient importante. L’arbitrage entre ces deux types d’erreurs est déterminant pour calibrer le système d’alerte. Le point crucial dans l’analyse des performances prédictives d’un modèle repose sur le choix d’une probabilité critique ou d’une valeur de référence (cut-off) au delà de laquelle, le superviseur émet une alerte. Toutefois, le choix du cut-off reste influencé par ces deux types erreurs. Cependant, à ces erreurs sont également liés des coûts de prédiction et des coûts de sauvetage (Demirguc-kunt et Detragiache, 2000).

1.3 Coûts de sauvetage et coûts de prévention

Nous distinguons les coûts de sauvetage des coûts de prévention dans l’élaboration d’un EWS.

Les coûts de sauvetage d’une crise bancaire peuvent être supportés par une partie ou l’ensemble de l’économie. Les déposants et les investisseurs sont les premiers à être affectés directement par une défaillance bancaire. Ensuite, viennent les contribuables qui sont également mis à contribution lorsque la crise est très profonde. La crise peut affecter certains secteurs de l’économie ou même l’ensemble de la richesse d’une économie. En général, les coûts directs sont appréciés au moins de deux manières (Honohan, 2000 ; Hoggarth et al.

2003) : les coûts financiers liés à la quantité de monnaie injectée directement dans l’économie pour contenir la panique de liquidité et pour recapitaliser les banques ( transferts de fonds des contribuables vers les déposants) et les coûts indirects de la crise (pertes de création de richesse, coûts sociaux,..). Quelle que soit l’approche retenue, les crises bancaires restent des

Etat du système bancaire

Crise Pas de crise

Alerte Annonce correcte de crise Erreur de type 2 (fausse alerte) Pas d’alerte Erreur de type 1

(absence d’alerte)

Annonce correcte de non-crise

onéreux justifient l’action des autorités de réglementation et de supervision. Lorsqu’une crise éclate, l’action ou l’intervention officielle des autorités consiste à stabiliser et restructurer le système bancaire dans son ensemble. Les coûts inhérents à cette opération peuvent être moins importants en présence d’une politique prudentielle avisée.

La prévention se distingue de l’intervention et porte plutôt sur des activités liées à la réglementation, la supervision, au renforcement et à l’incitation à la surveillance et à la promotion de la transparence au sein des établissements financiers. Toutes ces actions préventives nécessitent la mise en place de structures adéquates dont le coût de fonctionnement est non négligeable.

Dans la construction d’un système d’alerte avancée, il s’agit de prendre en compte, les coûts de prévention et les coûts de sauvetage. En effet, lorsque l’erreur de type 1 est très élevée, les autorités publiques s’attendent à dépenser davantage pour sauver le système. De même, un grand nombre de fausses alertes suppose qu’une politique préventive trop active mobilise davantage de ressources.

De ce fait, un EWS fiable doit tenir compte des coûts de prévention et des coûts supplémentaires d’un éventuel sauvetage (Demirguc-kunt et Detragiache, 2000). Par ailleurs, un horizon de prédiction trop long, peut influencer indirectement les coûts de prévention.

1.4 Horizon de prédiction

Les économistes testent les modèles EWS de deux façons : premièrement, ils peuvent tester les modèles sur la période historique. On parle de performance ou de prédiction in sample.

Deuxièmement, lorsque ces tests portent sur des données hors-échantillon, on parle de performance out of sample. Un modèle EWS sera utile aux superviseurs si celui-ci émet des signaux significatifs in sample et out of sample80. En général, l’horizon de prédiction varie d’un système à l’autre, allant jusqu’à vingt quatre mois si les données utilisées portent sur une fréquence mensuelle et d’un an à trois ans si celle-ci est annuelle (Kaminsky et Reinhart, 1999 ; Borio et Lowe, 2002 ; Demirguc-kunt et Detragiache, 2000).

80 Des tests effectués sur quatre modèles EWS conçus et testés sur des crises avant celle de la crise asiatique ont montré que le meilleur d’entre eux était capable de prévoir la moitié des crises in sample et un tiers des crises out of sample. Les erreurs de type 1 et 2 étaient relativement importantes. En effet, les fausses alertes étaient nombreuses. Dans plus de la moitié des cas où tous ces modèles prévoyaient l’arrivée d’une crise, aucune crise ne s’est produite (Berg et Patillo, 2000).

L’horizon de prédiction doit être relativement long pour mettre en œuvre une politique de prévention après le déclenchement de l’alerte. En effet, si cette fenêtre de prédiction est trop courte, les autorités n’ont pas le temps de réagir avant l’éclatement de la crise. En revanche, si elle est trop longue, les prédictions perdent en fiabilité. Aussi, la capacité prédictive des modèles pourrait-elle être liée à deux erreurs de prédiction en fonction de la méthodologie utilisée : une erreur de prédiction sur les variables explicatives et une erreur sur les probabilités de crise prédites (Demirguc-kunt et Detragiache, 2000 ; Bussiere et Fratzscher, 2006).

Au delà des ces exigences, il important de calibrer le EWS de manière à définir la portée de celui-ci.

1.5 Portée d’un système d’alerte avancée

On distingue généralement deux approches : celle qui consiste à envisager un EWS qui prend en compte la stabilité du système financier pris dans sa globalité. On parle de l’approche « top down ». Cette dernière privilégie l’aspect macroprudentiel. L’autre approche dite « bottom up » se limite à l’équilibre financier des institutions individuelles. Il est primordial de définir la portée du dispositif à savoir s’il vise à détecter une faillite ou une défaillance à l’échelle du système. Car les éléments requis pour la conception d’un EWS sont étroitement liés à son usage. Par exemple, l’élaboration d’un EWS au niveau d’un établissement financier ne requiert pas les mêmes variables que dans le cas d’une approche macroprudentielle. La distinction entre ces deux approches est mieux perçue lorsqu’on considère les objectifs visés par chacune d’elles. Le tableau 8 suivant permet de comparer ces approches.

Tableau 8: Comparaison des approches « top-down » et « bottom-up ».

Approche macroprudentielle

« top down »

Approche microprudentielle

« bottom up » Objectif intermédiaire Limiter la défaillance financière

d’un système ou d’une importante partie de celui-ci

Limiter la défaillance d’une institution individuelle

Objectif ultime Eviter les pertes de production en termes de création de richesse

Protection du déposant (investisseurs / dépôts)

Modèle de risque Endogène (en partie) Exogène

Corrélation et expositions communes des institutions financières

Important Pas pertinent

Calibrage du contrôle prudentiel

En termes de risque systémique En termes de risque individuel

Selon (Borio, 2003), l’approche macroprudentielle vise à analyser le risque de défaillance généralisé du système financier et non pas seulement celui d’institutions individuelles. Ainsi, le suivi d’indicateurs macroéconomiques jugés pertinents, permet d’évaluer la probabilité que le système soit affecté par des chocs défavorables. Toutefois, dans l’optique d’une approche top down (macroprudentielle), la définition empirique d’une de crise bancaire à l’échelle du système reste un défi pour la communauté des économistes.

Au regard de ces exigences et de la portée d’un EWS, nous pouvons apprécier la qualité de celui-ci. Dans la suite, on présente en détail les principaux systèmes d’alerte avancée suivant l’approche macroprudentielle et leur performance en matière de politique de prévention des crises bancaires.