• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : Contexte de l’étude

2. Espèce étudiée

2.2 Facteurs de colonisation continentale

Dans le cycle de vie de toutes les espèces animales il existe une étape permettant une dispersion des individus en dehors de leur zone de naissance. Cette dispersion permet de diminuer la probabilité de reproduction avec les individus au profil génétique proche, et ainsi éviter le phénomène de dépression consanguine. La dispersion permet également de réduire la compétition pour des ressources limitées entre les membres de la même famille. En effet, le phénomène de dispersion implique que certains individus restent à l’endroit que d’autres quittent. La migration, au contraire, est définie comme le mouvement d’une population entière d’un habitat à l’autre. Certaines espèces animales ne migrent qu’une seule fois dans leur vie (p.ex. les vulcains Vanessa atalanta), d’autres effectuent une migration aller-retour, souvent liée aux stades de croissance et de reproduction (saumons, anguilles), d’autres encore effectuent des migrations multiples.

Chez les poissons, on distingue trois types de migration. Les poissons océanodromes effectuent leur migration tout en restant en eau de mer. Les poissons potamodromes migrent uniquement entres les zones d’eau douce. Les poissons amphihalins ou diadromes effectuent une migration entre l’eau de mer et l’eau douce. Parmi les poissons diadromes, on distingue trois types de migrateur en fonction de leur milieu de reproduction et croissance. Les

migrateurs anadromes (p.ex. les saumons), se reproduisent en eau douce, mais effectuent leur période de croissance en eau de mer, alors que les migrateurs catadromes (p.ex. certaines anguilles) fraient en eau de mer, mais effectuent leur croissance en eau douce ou saumâtre. Le troisième type des migrateurs diadromes concerne les amphidromes, effectuant des migrations entre les deux milieux aquatiques sans qu’elles aient pour but la reproduction.

Concernant l’anguille européenne, toute civelle arrivée sur le plateau continental doit être considérée comme migratrice, car elle a déjà effectué la plus longue partie de son premier voyage. Toutefois, certains individus se sédentarisent plus rapidement que d’autres, car ils n’expriment pas le comportement de nage active à contre-courant pour coloniser la zone amont de l’eau douce. De plus, une fraction importante de la population (30 à 41 %) effectue des mouvements entre milieu d’eau douce et marin plusieurs fois pendant leur cycle de croissance (Daverat et al. 2006a; Daverat & Tomas 2006). Il convient alors de considérer l’anguille comme catadrome facultative ou encore amphidrome (Daverat et al. 2006a).

Compte tenu du fait que des nombreux traits caractérisant la civelle auraient pour objectif d’économiser de l’énergie lors de son déplacement, la quantité d’énergie stockée chez les individus pourrait être parmi les facteurs majeurs contrôlant le comportement migratoire des individus. A l’approche de la côte, de nombreuses civelles utilisent le transport tidal sélectif (Gascuel 1986; McCleave & Kleckner 1982; McCleave & Wippelhauser 1987), mais certaines civelles auront un comportement de nage à contre-courant même pendant le jusant (Creutzberg 1961). Les individus adoptant une nage à contre-courant et un fort comportement migratoire auraient un facteur de condition corporelle et un niveau d’hormones thyroïdiennes plus élevée que les autres (Edeline et al. 2005; Edeline et al. 2004; Edeline et al. 2009).

Une partie des individus se sédentariserait dans les zones océaniques ou saumâtres, faute de réserves énergétiques suffisantes pour assurer la nage à contre-courant dans les zones d’eau douce. Ces individus pourraient bénéficier d’une croissance compensatoire (Geffroy & Bardonnet 2012), c’est -à-dire une augmentation de leur facteur de condition suite à la sédentarisation, due d’une part à l’investissement de l’énergie restante dans la croissance, et à une abondance des ressources alimentaires d’autre part. En effet, il est généralement admis que les zones saumâtres sont plus productives que les zones d’eau douce (Thibault et al. 2007).

Un autre facteur mis de l’avant pour expliquer la colonisation continentale des civelles est la densité des individus dans le milieu. La dynamique migratoire de chaque cohorte

suivrait un modèle diffusif (Ibbotson et al. 2002; Smogor et al. 1995), hypothèse émise surtout dans le cas d’étude des mouvements de l’anguille jaune (Feunteun et al. 2003). La taille du corps est également évoquée (Imbert et al. 2008; Moriarty 1986; Naismith & Knights 1988; White & Knights 1997), car elle est associée au stade de l’individu. En effet, le comportement migratoire diminue avec l’augmentation de la taille, et la vitesse de colonisation de l’habitat ralentit voire s’estompe chez les individus de plus de 30 cm, au stade anguille jaune. La taille du corps ne joue pas seulement sur la tendance de nage à contre-courant, mais pourrait être vue comme facteur physique limitant lors de la colonisation des axes où les obstacles aquatiques sont présents. En effet, pour passer certains obstacles, les individus expriment un comportement d’escalade sur les parois verticales, en dehors de l’eau. L’escalade est possible uniquement dans les parties humides, le mucus secrété par le corps de l’individu lui permet de se coller littéralement à la surface mouillée. Ce phénomène physique de cohésion entre le mucus et les molécules d’eau permet de supporter un poids limité, généralement atteint chez les individus de plus de 12 cm (Legault 1986, 1988).

Le comportement migrateur et ainsi la dynamique de la colonisation peuvent être influencés par d’autres facteurs externes tels que la température, la lumière, la salinité, l’odeur de l’eau douce ou l’odeur des individus en amont. Une étude à long terme (13 ans) portant sur la migration des civelles dans la rivière Imsa (Norvège) a montré une corrélation positive entre le taux de recrutement et la moyenne des températures annuelles (Vollestad & Jonsson 1988). La température joue aussi sur le comportement alimentaire des individus (Charlon & Blanc 1983; Edeline et al. 2009; Fontaine & Callamand 1941) qui arrêtent de se nourrir aux températures inferieures à 10°C. Il existerait une température seuil de 5°C (Elie & Rochard 1994) au-dessous de laquelle les individus cessent tout mouvement et rentreraient en dormance. Entre 5-12°C, les civelles expriment une nage liée au transport tidal sélectif, qui devient une nage active au-dessus de 12°C (Gascuel 1986). En effet, le comportement de passage par les obstacles aquatiques peut être observé également à partir de cette température, mais les pics d’escalade des barrages se situent plutôt à des températures plus hautes que ceux des pics de l’activité de nage (Linton et al. 2007). Chez l’anguille, comme tout animal ectotherme, la température influence les mécanismes physiologiques tels que l’activité des enzymes ou la fluidité des membranes cellulaires (Johnston & Dunn 1987). Avec la baisse de la température, on observe également une diminution de l’activité du cerveau des poissons (Chaube & Joy 2002), qui pourrait accentuer l’impact sur les capacités de nage (le Bras 1979). Chez l’anguille, le taux circulant d’hormones thyroïdiennes est positivement corrélée avec la

synthèse de la thyroïde (Leloup 1958), or l’activité de l’hormone thyroïdienne aurait une influence sur la propension des civelles à migrer vers l’amont (Bureau du Colombier et al. 2007; Edeline et al. 2005; Edeline et al. 2004; Imbert et al. 2008) .

Quel que soit le stade, l’anguille exprime un comportement photonégatif. Elle enregistre une forte activité principalement de nuit, même s’il est possible d’observer des individus en migration de montaison (escalade des parois) ou de dévalaison durant le jour (Durif et al. 2003; Tesch & Thorpe 2003). Certaines études ont suggéré que les variations saisonnières de la photopériode seraient un signe déclencheur de l’activité migratoire (Edeline et al. 2009; Fontaine & Callamand 1941).

La capacité d’olfaction des anguilles est spectaculaire, au stade civelle elle est comparable à celle d’un chien (Tesch & Thorpe 2003). En effet, l’odeur de l’eau douce permettrait à la fois de déclencher l’activité migratoire, mais également d’orienter les civelles soumis aux courants de flot et de jusant vers les zones entrée d’eaux douces (Creutzberg 1959, 1961). Les civelles pourraient s’orienter également à l’aide d’un gradient de salinité (déplacement vers les zones à faible salinité), ce facteur étant considéré parfois comme plus important que les gradients thermiques ou olfactifs (Tosi et al. 1990).

Des études expérimentales ont également mis en évidence que les anguilles sont capables de s’orienter en fonction du champ magnétique et d’enregistrer la direction de leur mouvement (Durif et al. 2013; Tesch 1974). Cette capacité serait peut être utile quand les voies de migration de retour sont bloquées, mais il n’est pas clair si le champ magnétique est utilisé et quelle serait son importance lors de la migration de montaison.