II- FACTEURS PRONOSTIQUES
1. Facteurs cliniques
Depuis maintenant plusieurs années, la taille de la tumeur et le statut ganglionnaire ont été identifiés comme les facteurs pronostiques les plus importants. La localisation tumorale apparaît également comme un facteur pronostique indépendant, du fait d’une lymphophilie différente selon les sites primitifs. Des classifications tumorales ont ainsi été réalisées, localisation par localisation, afin de définir des sous-groupes pronostiques homogènes de patients.
a. Classifications i. TNM
La classification TNM (UICC : Union of International Cancer Control, 2009, 7ème édition) se base sur l’extension locale de la tumeur (T pour « tumor »), l’envahissement ganglionnaire (N pour « node ») et la présence de métastases à distance (M pour « metastasis ») [Sobin et al. 2009].
On distingue la stadification clinique « cTNM » (c = clinique), définie avant le traitement et la stadification anatomo-pathologique « pTNM » (p = pathologique), définie après examen au microscope. On obtient une meilleure estimation du pronostic à l’aide du pTNM, comparativement au cTNM.
- T = Tumeur primitive : Tx T inclassable
Lèvres et cavité buccale Tis Carcinome in situ
T1 T 2 cm
T2 2cm < T 4cm
T3 T> 4cm
T4a lèvres : T franchissant l’os cortical, envahissant le nerf alvéolaire inférieur, le
plancher buccal ou le revêtement cutané (nez ou menton)
cavité buccale : T franchissant l’os cortical, envahissant les muscles
profonds/extrinsèques de la langue, le sinus maxillaire ou le revêtement cutané de la face
T4b T envahissant l’espace masticateur, les lames ptérygoïdes, la base du crâne ou l’artère carotide interne
Oropharynx T1 T 2 cm dans sa plus grande dimension
T2 2cm < T 4cm dans sa plus grande dimension
T3 T > 4cm dans sa plus grande dimension ou extension à la face linguale de l’épiglotte
T4a T envahissant le larynx et/ou les muscles profonds/extrinsèques de la langue et/ou le voile dur et/ou la mandibule
T4b T envahissant le muscle ptérygoïde latéral et/ou les lames ptérygoïdes et/ou le
nasopharynx latéral et/ou la base du crâne et/ou l’artère carotide interne
Hypopharynx
T1 T limité à un des sites de l’hypopharynx et/ou 2 cm dans sa plus grande dimension
T2 T envahissant plus d’un site de l’hypopharynx ou un site adjacent, ou mesurant 2cm < T 4cm dans sa plus grande dimension sans fixation de l’hémilarynx
T3 T > 4cm dans sa plus grande dimension ou avec fixation de l’hémilarynx ou extension à l’œsophage
T4a T envahissant le cartilage thyroïde ou cricoïde et/ou l’os hyoïde et/ou la thyroïde et/ou
l’œsophage et/ou les parties molles (graisse sous-cutanée, muscles pré-laryngés)
T4b T envahissant les fascias prévertébraux, l’artère carotide interne ou les structures
Larynx sus-glottique
T1 T limitée à un site anatomique avec mobilité normale des cordes vocales
T2 T envahissant la muqueuse de plus d’un siège anatomique ou la glotte ou une région en dehors de la région sus-glottique sans fixation du larynx
T3 T limitée au larynx avec fixation d’une ou des cordes vocales et/ou envahissement de la région rétro-cricoïdienne ou l’espace pré-épiglottique ou l’espace para-glottique ou la face interne du cartilage thyroïde
T4a T franchissant le cartilage thyroïde, et/ou envahissant les tissus au-delà du larynx (trachée, tissus mous du cou incluant les muscles profonds/extrinsèques de la langue, la thyroïde, l’œsophage)
T4b T envahissant l’espace prévertébral, l’artère carotide interne ou les structures
médiastinales
Larynx glottique
T1 T limitée à une (aux) corde(s) vocales, avec mobilité normale
a T limitée à une corde vocale
b T intéressant les deux cordes vocales
T2 T étendue à la région sus-glottique ou sous-glottique et/ou avec diminution de la mobilité des cordes vocales
T3 T limitée au larynx avec fixation des cordes vocales et/ou envahissant l’espace para-glottique ou la face interne du cartilage thyroïde
T4a T franchissant la face externe du cartilage thyroïde et/ou étendue au-delà du larynx (trachée, tissus mous du cou incluant les muscles profonds/extrinsèques de la langue, la thyroïde, l’œsophage)
T4b T envahissant l’espace prévertébral, l’artère carotide interne ou les structures
médiastinales
Larynx sous glottique T1 T limitée à la sous glotte
T2 T étendue à une ou deux corde(s) vocale(s) avec mobilité normale ou diminuée
T3 T limitée au larynx avec fixation d’une corde vocale
T4a T envahissant le cartilage thyroïde ou cricoïde et/ou étendue au-delà du larynx (trachée, tissus mous du cou incluant les muscles profonds/extrinsèques de la langue, la thyroïde, l’œsophage)
T4b T envahissant l’espace prévertébral, l’artère carotide interne ou les structures médiastinales
Nasopharynx T1 T localisée
T2 Extension aux parties molles de l’oropharynx et/ou des fosses nasales
a Sans extension parapharyngée
b Avec extension parapharyngée
T3 Invasion de la cavité nasale et/ou de l’oropharynx
T4 Extension intracrânienne ou aux nerfs crâniens
- N = Adénopathies régionales (valable pour l’ensemble des localisations) :
NX N inclassable
N0 Absence de métastase
N1 1 seul ganglion homolatéral 3 cm
N2a 1 seul ganglion homolatéral > 3 cm et 6 cm
N2b Multiples ganglions homolatéraux 6 cm
N2c Ganglions bilatéraux et/ou controlatéraux 6 cm
N3 > 6 cm
- M = Métastases à distance (valable pour l’ensemble des localisations) :
MX M inclassable
M0 Absence de métastase à distance
M1 Métastase à distance
ii. AJCC
Une classification en stades (AJCC : American Joint Committee on Cancer, 2010, 7ème édition) peut ensuite être réalisée à partir du TNM, dans le but d’identifier des groupes homogènes de patients en termes de facteurs pronostiques et d’évolution de la maladie [Edge et al. 2010].
Concernant les carcinomes épidermoïdes des VADS, on dénombre cinq stades numérotés de 0 (carcinome in situ) à IV (maladie généralisée).
Stade 0 Tis N0 M0 Stade I T1 N0 M0 Stade II A T2a N0 M0 Stade II B T1-T2a N1 M0 T2b N0-N1 M0 Stade III T1-T2b N2 M0 T3 N0-N2 M0 Stade IV A T4a N0-N1 M0 T4b Tout N M0 Stade IV B Tout T N3 M0
Stade IV C Tout T Tout N M1
iii. RPA
Lors de la prise en charge des carcinomes épidermoïdes des VADS, il est très important de pouvoir classer les patients dans des sous-groupes pronostiques homogènes, afin d’estimer la probabilité de contrôle locorégional, en vue d’adapter au mieux le traitement en fonction du risque de rechute. Ceci reste particulièrement difficile puisque le pronostic varie, selon la localisation tumorale notamment.
Dans une étude portant sur 801 patients, l’équipe de Langendijk et al. a établi une classification à partir de leur résultats [Langendijk et al. 2005]. Cette classification, dénommée RPA (Recursive Partitionning Analysis), prend en compte, en plus des stades T et N, les marges chirurgicales ainsi que le nombre de ganglions envahis en rupture capsulaire (tableau 7). A partir des 3 classes obtenues, des différences significatives ont pu être établies, en terme de survie globale et sans progression. Cette approche semble intéressante mais mérite d’être validée dans le cadre d’essais randomisés, sa principale limite étant qu’elle concerne uniquement des patients relevant d’une stratégie chirurgicale.
b. Taille tumorale
La taille tumorale représente une valeur pronostique importante, avec des probabilités significativement différentes de survie et de contrôle locorégional à 5 ans, selon le T. Par exemple, dans la série de Asper et al. étudiant 875 cancers de l’oropharynx, le taux de contrôle local à 5 ans pour les tumeurs classées T2, T3, T4a et T4b était respectivement de 85%, 73%, 61% et 42%, avec des taux de survie de 65%, 44%, 30%, et 21% [Asper et al. 2006].
Il est important de préciser une caractéristique tumorale majeure, celle de sa résécabilité chirurgicale, qui impacte fortement sur le pronostic de la maladie. En effet, certaines lésions tumorales classées T4 (c'est-à-dire le plus souvent avec une extension en dehors de la région considérée) peuvent être résécables alors que d’autres ne le sont pas.
c. Statut ganglionnaire
L’examen clinique et l’imagerie médicale (échographie, TDM, IRM, TEP) précisent l’extension ganglionnaire cervicale qui est un facteur pronostique majeur des cancers des VADS.
La classification TNM manque cependant de spécificité, ne précisant pas deux éléments pronostiques importants que sont la topographie exacte de l’envahissement ganglionnaire (cervical supérieur, moyen et inférieur), lié au risque métastatique, et la notion d’envahissement ganglionnaire dépassant le premier relais. Par ailleurs, la probabilité de développer des métastases à distance reste plus importante lorsque les ganglions envahis sont en rupture capsulaire. En effet, plusieurs études ont montré que l’effraction capsulaire est un critère péjoratif en cas d’envahissement ganglionnaire, directement corrélée à une diminution du taux de survie [Langendijk et al. 2005, Greenberg et al. 2003]. Par exemple, une étude prospective a évalué l’importance de l’effraction capsulaire en classant 170 patients présentant un cancer de l’hypopharynx [de Carvahlo et al. 1998]. Le taux de survie à cinq ans était de 52 % dans le groupe N+ sans rupture capsulaire versus 5,8 % dans le groupe N+ avec rupture capsulaire (p < 0,001).
d. Extension métastatique
L’atteinte métastatique au moment du diagnostic initial est rare, inférieure à 10% des cas. Le bilan est guidé par la connaissance de l’histoire naturelle propre à chaque type de cancer et ses signes d’appel. L’atteinte pulmonaire est la plus fréquente. L’extension métastatique est facteur d’un très mauvais pronostic qui est souvent synonyme d’incurabilité.
e. Localisation tumorale
Les différences de localisations anatomiques des carcinomes épidermoïdes s’accompagnent de variations pronostiques significatives ; ces disparités sont liées aux possibilités de l’extension tumorale et au degré de lymphophilie.
Ainsi, les tumeurs de la cavité buccale, de l’oropharynx et de l’hypopharynx sont très lymphophiles (60 à 70% des cas) alors que celles de l’endolarynx le sont moins (20 à 30% des cas voire < 5% pour les T1 du plan glottique) (tableau 8). Par ailleurs, l’extension d’une tumeur linguale est moins limitée à travers la masse musculaire adjacente qu’une tumeur de la corde vocale, entourée de structures cartilagineuses plus résistantes à un envahissement local [Cojocariu et al. 2009].
Tableau 8. Probabilités d’envahisement ganglionnaire et de survie à 5 ans
selon la localisation tumorale initiale.