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4. Modèle d’analyse de la recherche

4.3. Modèle opératoire

4.3.3. Facteur juridictionnel

Le facteur juridictionnel se réfère au tribunal qui est saisi de la plainte. Nous voulons comparer le processus suivi par les différentes instances désignées pour juger le harcèlement psychologique. À cet égard, il semble y avoir une certaine divergence entre les TA et le TAT/CRT dans l’application et l’interprétation de la norme, comme le mentionne G. Pharand192. En fait, vu le contexte institutionnel la caractérisant, les effets de la norme pourraient être différents selon l’instance qui juge un cas. Par exemple, le TAT/CRT est autonome et relève de l’État. En principe, il n’a pas de relation à long terme avec l’entreprise. Les TA, au contraire, cherchent à conserver une relation à long terme avec l’entreprise et l’arbitre est désigné par les parties patronale et syndicale. Ces raisons pourraient-elles influer sur l’effectivité de la norme ? Il s’agit d’une question légitime qui mérite d’être abordée. Subséquemment, nous analyserons le processus suivi par les instances désignées pour juger les composantes du harcèlement psychologique. En outre, nous pourrons saisir les effets de la norme sur le traitement

juridique et il sera aussi possible de nous assurer de l’uniformité de l’analyse des dispositions

de la LNT par les instances saisies. Avec l’aide du modèle opératoire ci-dessous, nous allons pouvoir considérer les écarts entre les TA et le TAT/CRT dans leur interprétation respective de l’article 81.18 de la LNT. Voici les cinq dimensions étudiées pour le facteur juridictionnel :

192 G.PHARAND, préc., note 181.

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Figure 5

Modèle opératoire – facteur juridictionnel :

Dimensions Composantes Indicateurs

1. Objets de la plainte

- Plainte de harcèlement psychologique

- Plainte autre que de harcèlement psychologique

2. Résultat de la décision

Est-ce que la décision :

- Accueille la plainte ou le grief - Rejette la plainte ou le grief

3. Réparation accordée si le

recours est accueilli Mesures de réparation 4. Motifs de rejet si le

recours est rejeté Les motifs

5a. Concepts-Clés du harcèlement psychologique

Plusieurs agissements sont allégués

Est-ce que la décision examine les éléments suivants :

- La conduite vexatoire ; - Le caractère répété ;

- Le caractère hostile/non désiré ; - L’atteinte à la dignité ou à l’intégrité

psychologique ou physique ; - Le milieu de travail néfaste ; - Ou introduit d’autres critères.

Un acte unique est allégué

Est-ce que la décision examine les éléments suivants :

- L’acte unique grave ;

- L’intégrité psychologique ou physique ;

- L’effet nocif continu ; - Ou introduit d’autres critères.

5b. Critères d’appréciation de la preuve

Plusieurs agissements sont allégués

Est-ce que la décision examine les faits selon :

- Le critère de l’analyse globale ; - Le critère de la victime raisonnable ; - Ou introduit d’autres critères.

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Un acte unique est allégué

Est-ce que la décision examine les faits selon :

- Le critère de la victime raisonnable ; - Ou introduit d’autres critères.

61 Pour étudier le traitement juridique des dispositions de la LNT par les TA et le TAT/CRT, nous allons diviser notre analyse en cinq dimensions :

i. Objet de la plainte

Nous allons étudier à travers notre corpus de jurisprudence les décisions provenant des TA et du TAT/CRT où l’objet de la plainte vise explicitement le harcèlement psychologique. Nous analyserons uniquement des décisions postérieures à 2004 et nous inclurons aussi les révisions judiciaires pertinentes.

ii. Le résultat de la décision

Lorsque le décideur juge du sort de la demande, celle-ci peut être accueillie, rejetée ou accueillie partiellement. Nous nous demandons s’il y a plus de recours accueillis ou rejetés, selon l’instance saisie.

iii. La réparation accordée

Lorsque le recours est accueilli, il existe diverses mesures de réparation suite à une plainte de harcèlement psychologique au travail193. L’article 123.15 de la LNT propose sept mesures de réparation que le décideur peut accorder, mais celles-ci restent très larges194. L’analyse des réparations accordées nous permettra d’identifier quelles mesures de réparation sont accordées par les décideurs et à quelle fréquence celles-ci sont octroyées. Cette dimension sera mesurée selon huit indicateurs :

a) La réintégration du salarié : lorsque la plainte est accueillie, c’est souvent la

première mesure de réparation qui va être imposée. Il s’agit donc, comme le titre le mentionne, de réintégrer l’employé dans la fonction qu’il occupait antérieurement aux événements. Il peut aussi être réintégré dans une autre fonction.

193 J.BOUGAULT, préc., note 1.

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b) Versement d’une indemnité pour salaire perdu : si le plaignant a subi une perte

économique suite aux événements de harcèlement psychologique, le décideur peut octroyer une compensation pour les pertes financières.

c) Versement de dommages punitifs et moraux : les dommages punitifs peuvent être

octroyés par les décideurs dans les cas de harcèlement psychologique uniquement lorsqu’il est jugé qu’il y a une atteinte illicite et intentionnelle à l’un des droits et libertés garantis par la Charte. Les dommages moraux eux peuvent être ordonnés à titre de réparation pour le préjudice moral que le plaignant aurait pu subir195.

d) Versement d’une indemnité pour perte d’emploi : si la réintégration du salarié

n’est pas possible, ce qui peut être le cas suite à du harcèlement psychologique, le décideur peut compenser la perte d’emploi avec une indemnité.

e) Prise de moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement ;

f) Financement du soutien psychologique pour une période raisonnable ;

g) Modification du dossier disciplinaire du salarié : l’employeur à la responsabilité

de prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique au travail. Le décideur a donc plusieurs remèdes pour s’assurer que l’employeur rencontre son obligation d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Le décideur peut donc ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement, de financer le soutien psychologique du salarié victime et de modifier le dossier disciplinaire pour enlever toute trace documentaire du préjudice au salarié.

h) Autre : cette catégorie est prévue lorsque le décideur accorde une autre mesure de réparation que celles mentionnées ci-dessus. Par exemple, si le décideur demande des preuves supplémentaires pour conclure au harcèlement psychologique, la décision sera classée dans cette catégorie.

63 iv. Les motifs de rejet

Si le décideur juge que les événements démontrés dans la plainte ne sont pas du harcèlement psychologique au sens de la norme, le recours est rejeté ; il est donc intéressant de s’attarder sur les motifs mentionnés. On peut aussi se questionner quant à savoir si les instances saisies utilisent certains motifs plus que d’autres. En général, les motifs les plus souvent nommés sont : les composantes du harcèlement psychologique ne sont pas rencontrées, l’exercice normal des droits de direction, le manque de preuves, le non-respect des délais prévus par la norme et le devoir de représentation rencontré. Nous avons aussi mis une catégorie « autre » pour y indiquer d’autres motifs que le décideur aurait pu invoquer.

v. Les composantes du harcèlement psychologique

a) Les concepts-clés de la définition du harcèlement psychologique

Comme mentionné plus tôt dans le texte, l’article 81.18 de la LNT compote plusieurs concepts- clés196 :

« 81.18. Pour l’application de la présente loi, on entend par “harcèlement psychologique” une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »

Si nous les décomposons, il est possible de les analyser individuellement. Cette dimension a donc deux composantes, soit si plusieurs agissements sont retenus ou un acte unique. Si plusieurs agissements sont la cause du harcèlement psychologique, il y a cinq indicateurs (et les décideurs doivent les mentionner explicitement dans l’exposé des motifs) : une conduite vexatoire, qui se manifeste par des comportements, paroles, actes ou gestes répétés, tout en étant

64 hostiles et non désirés. Il doit aussi avoir atteinte à la dignité ou intégrité psychologique ou physique du travailleur et la présence d’un milieu de travail néfaste. Si c’est un acte unique, il peut y avoir mention explicite de trois indicateurs soit la conduite grave, l’atteinte à la dignité ou intégrité psychologique ou physique du travailleur et l’effet nocif continu. Dans les deux cas, il y a possibilité que la décision introduise d’autres indicateurs. Il est aussi possible que les décideurs n’examinent pas tous les concepts-clés dans l’exposé des motifs.

b) Les critères d’appréciation de la preuve

La dimension des critères d’appréciation de la preuve est aussi séparée en deux composantes, suivant qu’il y a plusieurs agissements retenus ou un acte unique. Il y a deux indicateurs lorsque plusieurs agissements sont retenus qui doivent toujours être mentionnés explicitement dans la décision, soit l’analyse globale de la situation et le critère objectif de la victime raisonnable. L’acte unique présente seulement un indicateur qui doit être présent explicitement, celui de la victime raisonnable. Dans les deux cas, les décideurs peuvent introduire d’autres critères. Il est encore une fois possible que les décideurs n’examinent pas tous les critères d’appréciation de la preuve.

Pour la prochaine sous-section, nous allons présenter nos propositions de recherches.

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