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Fabrication du mortier : rôle de la charge

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 28-31)

I. CHAPITRE : Introduction à la problématique

I.4. Fabrication du mortier : rôle de la charge

L’étude des sources littéraires, parmi lesquelles celle de l’auteur antique Vitruve qui domine et inspire des nombreuses traités de Renaissance, peut donner une impression de continuité et d’uniformité des techniques de préparation des mortiers.

Néanmoins, l’observation directe d’un grand nombre de maçonneries lors d’études de bâti au cours des dernières années, accompagnée d’analyses en laboratoire, témoigne du fait que la préparation de mortiers n’a pas suivi des règles uniformes et indique l’emploi de recettes variées (Büttner & Prigent, 2007). Entre les deux composants principaux du mortier de chaux, c’est le granulat qui est l’objet d’étude de datation par OSL. Nous ne développons donc pas ici les procédés de la préparation de la chaux, décrits de façon détaillée par exemple par Adam (Adam, 1995) ou Coutelas (Coutelas, 2003) et nous allons davantage nous focaliser sur tout ce qui concerne les origines et les traitements du granulat. C’est grâce à des opérations préparatoires telles que l’extraction, le tamisage ou le mélange avec la chaux que le granulat du mortier a été exposé à la lumière et peut ainsi être daté par luminescence optiquement stimulée (OSL).

Pour les mortiers antiques, les écrits les plus prédominants sur la préparation des mortiers sont ceux de Vitruve (dix livres d’architecture, 27 avant notre ère). Parmi les sables de rivière, sables marins et sables fossiles, Vitruve considère le dernier comme le meilleur. Selon Vitruve, le sable fossile, ou sable de carrière, sèche facilement dans les maçonneries contrairement aux deux premiers. L’auteur souligne l’importance esthétique de la couleur du sable utilisé. La chaux éteinte doit être gâchée avec du sable de carrière dans une proportion d’un volume de chaux pour trois de sable de carrière ou deux de sable de rivière. Vitruve ajoute également que ce mélange sera encore meilleur si du tuileau est ajouté.

Démontrer incontestablement l’origine géologique de l’agrégat du mortier est un sujet difficile nécessitant des analyses physico-chimique du mortier poussées et des prospections de l’environnement géologique concerné. Une telle démarche est longue et ne peut pas être systématiquement intégrée dans les études archéologiques du bâti.

Néanmoins, sans aller aussi loin, une analyse pétrographique minutieuse peut être suffisante pour émettre des hypothèses sur l’origine du granulat, comme le montre un

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certain nombre d’études de mortiers provenant d’édifices romains (Coutelas, 2003) et médiévaux (Büttner, 2014). Celles-ci indiquent que le granulat pour préparer les mortiers de construction est généralement prélevé au plus proche du site, parfois sur place. La composition minéralogique du sable dans le mortier peut ainsi être extrêmement diverse.

Pour le sable naturel, deux critères apparaissent primordiaux : la granulométrie et le degré de pureté. Lorsqu’une formation locale ne présente pas les qualités requises, un traitement de la matière première est donc envisagé (Coutelas, 2003).

L’analyse comparative, entre la source géologique et le matériau effectivement utilisé, montre parfois certains traitements préalables évidents comme des tamisages ou des lavages (Büttner, 2014). L’emploi de ces traitements répond généralement à la fonction souhaitée du matériau. Ainsi, le sable grossier sera utilisé pour les mortiers de sol ou de soubassement, tandis que le granulat plus fin va servir pour préparer des mortiers de jointoiement. Pour l’élaboration d’enduits, l’opération de tamisage est manifeste en regardant l’évolution de la finesse granulométrie des couches préparatoires vers la surface (Coutelas, 2003).

Les constatations sont les mêmes pour les mortiers du Moyen Âge où on évoque la distinction du mortier de jointoiement et celui des fourrures des murs doubles parementés en moyen appareil dont l'usage se généralise à partir du XIe siècle. Un mortier de jointoiement a une granulométrie contrôlée afin d'assurer la régularité des joints de parement, tandis que un mortier de fourrure contient un granulat associant du sable granulométriquement hétérogène, des galets décimétriques et des déchets de taille. Aussi, les mortiers de fondation peuvent souvent présenter un sable à granulométrie plus grossière que les mortiers d’élévation.

Parmi d’autres traitements, le lavage est beaucoup moins discuté. Selon les observations de Coutelas (Coutelas, 2003), l’emploi de sables lavés paraît plus prononcé pour les enduits peints. Une autre pratique, largement employée pour le granulat de

« récupération », est le broyage. Les Romains employaient une technique qui consistait à ajouter à la chaux de la vieille tuile ou de la brique pilée, quand ils ne disposaient pas de pouzzolane, pour fabriquer artificiellement un mortier hydrofuge pouvant faire sa prise sous l’eau.

Dès l'Antiquité, le mortier de tuileau a été ainsi particulièrement utilisé pour les structures liées à l'eau telles que les bassins, les citernes et les canalisations. Il est

13 aussi d'usage extrêmement fréquent dans les murs d'enceinte édifiés autour des centres urbains de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge (castrum). L'usage de ce mortier en maçonnerie reste cependant peu fréquent durant cette même période (Büttner et al., 2014) Les observations réalisées montrent que c'est particulièrement entre le IXe et le XIe siècle que ces mortiers de tuileau ont été de nouveau mis en œuvre à une échelle plus large, souvent dans des structures de soubassement (Büttner & Prigent, 2007).

Une fois le sable prêt à être utilisé, il est ajouté à la chaux. Le processus de mélange est la dernière étape de préparation avant la pose du mortier dans la maçonnerie. Il nous intéresse particulièrement pour la datation par OSL. Il s’agit de la dernière opération préparatoire au cours de laquelle les grains de sable sont exposés à la lumière du jour.

L’auteur classique Vitruve ne discute pas en détail l’étape de mélange et sa mise en pratique. Néanmoins, de nombreuses peintures murales romaines représentent des bâtisseurs mélangeant du mortier à la main. Une recherche particulièrement intéressante à ce sujet est celle de l’archéologue Sophie Hueglin (Hueglin, 2011) focalisée sur l’apparition des mélangeurs à mortier mécaniques entre les VIIIe et XIe siècles, un phénomène restant pour le moment couvert de nombreux mystères pour plusieurs raisons.

Selon Hueglin (Hueglin, 2011), ces dispositifs étaient vraisemblablement en rapport étroit avec la renaissance de l’architecture de pierre dans les grands chantiers de construction. Ils ont été trouvés en nombre important dans des sites archéologiques surtout en Italie, en Allemagne, en Suisse et en Grande-Bretagne, mais on constate leur absence à l’ouest du Rhin (un seul exemple existe en France). Ce manque d’un côté et une certaine localisation géographique d’un autre, qui révèle probablement une différence importante des techniques de construction de l’époque et qui pourrait témoigner de rapports socio-économiques particuliers, n’ont pas encore été entièrement compris.

Aucune représentation de mélangeurs à mortier n’a été trouvée dans les peintures ou illustrations médiévales. Cela peut être expliqué par le fait que le motif des chantiers de construction apparaît assez fréquemment surtout dans des manuscrits du Moyen Age tardif, tandis que l’existence de ces mélangeurs semble être liée à une époque antérieure. La majorité de ces structures a été datée entre les VIIIe et IXe siècles de notre ère. Toutefois, nombre de ces datations sont basées sur des analogies et doivent

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être confirmées par des méthodes de datation indépendantes. C’est la raison pour laquelle une partie de ce travail de thèse avait pour objectif de dater aussi trois mélangeurs à mortier trouvés en Suisse.

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