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Partie 2 Les nouvelles fêtes urbaines : quelle filiation avec la fête traditionnelle populaire et quels nouveau

1. Pour une originalité de la fête

1.3. La fête qui a du sens

Ainsi, la laïcisation de nos sociétés, la marchandisation, la mondialisation des échanges et le développement des médias, pourraient expliquer cette transformation de la fête vers un esprit festif. Guy Di Méo formule la contradiction que représente la généralisation de la fête avec l’essence de la fête populaire : « Ce serait là une véritable rupture épistémologique marquée par le glissement de la fête des ordres du symbolique et du sacré vers ceux du quotidien, du marchand, de l’ordinaire, de l’évènement permanent (fête quotidienne d’Eurodisney par exemple). »256 En effet, la fête perd sa dimension locale

ou nationale pour devenir internationale, et s’exporter à l’étranger. On retrouve cette triple dimension dans des nouvelles fêtes culturelles qui défendent la participation populaire, comme La Fête des Lumières de Lyon et la Fête de la Musique. Ces deux fêtes s’organisent maintenant dans de nombreux pays étrangers partenaires. Ainsi le phénomène d’événementialisation a gagné le secteur culturel depuis plusieurs années. Des professionnels ont donc été recrutés pour organiser des événements, fêtes ou festivals, qui,

253 L’Esprit de la fête populaire, Alliance culturelle romande, Pully, Suisse, 1988, p.145

254 « Fêtes anciennes, nouvelles fêtes », Agapè, réalisation : Pierre Rossollin, présentation : Philippe Lefait,

invités : Jack Lang, Claude Gaignebet, Eric Brossier, Michel Scouarnec, Florence Taubmann, Villiers diffusion, Agora productions, Paris, 1999, 31’45 à 32’10

255 « Fêtes anciennes, nouvelles fêtes », Agapè, réalisation : Pierre Rossollin, présentation : Philippe Lefait,

invités : Jack Lang, Claude Gaignebet, Eric Brossier, Michel Scouarnec, Florence Taubmann, Villiers diffusion, Agora productions, Paris, 1999, 31’35 à 31’50

256Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (France), La place et le rôle de la fête dans l'espace public : nouvelles fêtes urbaines et nouvelles convivialités en Europe, CERTU, Lyon, 2006, p.30

souvent, ponctuent des projets plus larges aux enjeux vairés. Ces nouvelles fêtes semblent être tentées par l’adoption d’un même modèle qui a recours à plusieurs propositions. Déjà en 1999, dans l’émission Agapè sur les fêtes, le plasticien et artisan de la fête Eric Brossier dénonçait des « recettes toutes faites de fêtes » composée d’espaces jeunesse, d’espaces dédiés aux associations, de deux ou trois spectacles de compagnies de rue, et d’une tête d’affiche si le budget le permet. Il ajoutait : « Et surtout on n’oublie pas de prendre un service d’ordre qui encadre la fête pour gérer tout ça puisqu’on ne laisse pas le désordre s’installer, puisqu’il n’y a pas de désordre organisé en amont, donc on a de plus en plus ce schéma-là. »257 Dans son article paru dans le n°50 de l’Observatoire publié en 2017,

Pascale Goetschel complète cette recette avec l’organisation de « […] déambulations urbaines ponctuées d’expériences inattendues » et la recherche de « coups éditoriaux ». Elle ajoute qu’il faut « […] ménager la soif d’événement pour l’étancher aussitôt au prix, quelquefois, de fortes surenchères. »

Ainsi, l’intégration du phénomène d’événementialisation par le milieu culturel et la mise au point d’un modèle de fête employé de manière récurrente, pose la question du sens de la fête. D’abord, la prolifération d’événements suggère qu’une cause rendue visible pendant un temps festif éphémère, peut aussi vite se retrouver ensevelie sous la pile de nouveaux événements plus récents. A partir de ce constat, il paraît nécessaire de différencier les événements des uns des autres et de les pérenniser pour pouvoir s’inscrire réellement dans la mémoire des personnes. Comme l’affirme Pascale Goetschel, « […] un événement chassant l’autre, il faut sans cesse (ré)inventer de nouvelles formules. »258 Le

non-renouvellement ou la copie d’événement pourrait entraîner une lassitude de la part des publics, surtout si leur participation est requise. Ainsi la « recette toute faite de fête » est à bannir puisqu’elle vide la fête de son sens et ne prend pas en considération le contexte d’organisation de celle-ci. En effet, pour avoir du sens et être originale voire unique, la fête doit laisser la place aux envies des acteurs et des habitants du territoire sur lequel s’organisera la fête. La fête ne doit pas posséder de modèle préalable défini par la structure organisatrice, elle doit au contraire se modeler sur le territoire et prendre forme petit à petit, tout au long de la préparation. La nature de la fête finale ne peut être connue ou visualisée en amont, sa forme se dessinera quelques semaines avant l’événement.

257 « Fêtes anciennes, nouvelles fêtes », Agapè, réalisation : Pierre Rossollin, présentation : Philippe Lefait,

invités : Jack Lang, Claude Gaignebet, Eric Brossier, Michel Scouarnec, Florence Taubmann, Villiers diffusion, Agora productions, Paris, 1999, 15’40 à 16’30

De cette façon, si les collectivités territoriales, les maîtres d’ouvrages, les associations et les institutions culturelles souhaitent redonner vie à la fête populaire dans un contexte d’événementialisation de la vie sociale qui généralise une fête édulcorée, il est nécessaire de penser les objectifs de la fête et le sens qu’elle peut prendre pour les publics visés afin que celle-ci ne soit pas un énième divertissement rapidement oublié. La fête ne laisse de traces dans le temps et dans l’espace que si elle emporte des habitants dans un processus qui dépasse le seul événement. Ce sont les rencontres, les expériences et les partages qui auront été fait pendant les mois de préparation de la fête qui donneront à celle-ci une pertinence le jour J et qui l’inscriront dans la mémoire des participants et des passants. Organiser une fête ce n’est pas vouloir faire événement pour s’inscrire dans une tendance générale, c’est chercher à rendre visible et à valoriser une démarche de fond menée dans les quartiers prioritaires. Ces fêtes rajoutent un accompagnement artistique qui peut d’abord apparaître comme une excuse au rassemblement et au lien social, puis qui peut se poursuivre par la mise en place d’activités et de pratiques autonomes des habitants sur un plus long terme.

2. Nouveaux rapports à l’espace public