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extraits de l'article de Chris Kutschera paru le 29 juin 1995 dans le VSD n°

Pour les étudiants de Pékin en vacances pour un mois à l’occasion du Nouvel An chinois, le parc de Beihai est un véritable Paradis: profitant d’un réchauffement de la température -- il faisait encore -8° il y a quelques jours -- ils se donnent rendez-vous à la terrasse des maisons de thé où ils jouent au mahjong en bavardant, ou flirtent gentiment: mais attention, en Chine, le flirt ne va jamais très loin: à la rigueur, on se tient par la main; les plus audacieux s’enlacent tendrement; mais on ne s’embrasse jamais en public! Malgré tout, ils savourent chaque instant de cette rencontre: si “privilégiés” soient-ils par rapport au reste de la population, les étudiants chinois mènent en effet une vie qui nous paraîtrait terriblement austère!

[...] S’ils sont en fonds, ils vont dans un bar de karaoké; mais il faut vraiment être riche, car les consommations coûtent cher... Le Karaoké a un succès énorme en Chine -- “car, dit une étudiante étrangère, cela permet aux Chinois de chanter tous ces mots d’amour qu’ils n’osent pas dire dans la vie”.

À 20 ans, les étudiants chinois ne pensent qu’à ça. Mais il est interdit de faire l’amour à l’université: si les autorités découvrent que deux étudiants ont une liaison, les coupables sont dénoncés devant tous leurs camarades, et le châtiment est sévère: l’exclusion, temporaire, ou même définitive! “C’est la tradition chinoise... C’est normal”, dit Chen... Mais Li, qui passe son temps à dévorer des romans d’amour pur style Arlequin, n’est pas d’accord: “Si je suis très amoureuse d’un garçon, nous rejetterons peut-être toutes ces idées”...

Le mariage traditionnel en perte de vitesse

Il y a déjà une tradition chinoise que presque tous les jeunes ont rejetée: c’est le mariage traditionnel, arrangé par les familles. Presque tous les parents des jeunes qui font leurs études actuellement ont été ainsi mariés par leurs familles -- avec des résultats assez désastreux: mari et femme vivent chacun de leur côté, chacun poursuivant sa carrière, et sortant le soir avec ses amis.... Chen , Feng, Li et Doan, et pratiquement tous les jeunes de leur âge, l’affirment catégoriquement: ils choisiront eux-mêmes leur femme (ou leur mari) -- un partenaire qu’ils aimeront. Mais la famille reste très puissante: une des amies de Li refuse ainsi d’épouser un garçon de Canton avec lequel on veut la marier. Elle ne l’épousera pas. Par contre, elle est amoureuse d’un garçon plus jeune qu’elle -- mais elle ne l’épousera pas: sa famille est contre: “cela ne se fait pas”... Et quel que soit l’âge -- 17, 18 ou 22... -- les parents “ferment” toujours, dit Li; c’est-à-dire qu’ils exercent un droit de veto décisif -- d’autant plus fort que les jeunes chinois vivent souvent chez leurs parents pendant leurs études -- et même après leur mariage.

On n’embrasse pas un garçon dans la rue, “parce que les grands parents ne le faisaient pas, et les parents ne le faisaient pas: ça ne se fait pas”. Et l’on ne fait pas l’amour sans être marié. Parce que la tradition est contre. Et parce que “aucun homme ne veut entendre ses amis dire qu’il n’a pas été le premier”, comme le dit un jeune avocat qui vient de terminer ses études... La loi chinoise renforce ces préjugés: elle interdit le concubinage. Et avant le mariage, la jeune fille subit un examen médical: si elle n’est pas vierge, le médecin le dit à son fiancé!

[...] Les jeunes chinois ne reçoivent aucune éducation sexuelle, et ils ne savent pas ce que c’est que la pilule ou un préservatif. “Quand une fille a envie pour la première fois de coucher avec un garçon, raconte Li, elle achète un livre, un “Manuel d’anatomie et d’hygiène à l’usage des professeurs”, qui décrit les organes sexuels de l’homme et de la femme, et elle le lit en cachette pour s’instruire”. Mais ce livre ne parle pas des méthodes anticonceptionnelles. Alors? “Dans les revues, il y a la “rubrique du docteur”, ajoute Li; les filles écrivent pour demander des renseignements, et le médecin répond, les met sur la voie, dit qu’il faut aller dans une pharmacie...”

Une ignorance totale des méthodes contraceptives

Complètement ignorantes, de nombreuses filles attendent un enfant à 18 ou 19 ans, quand elles couchent pour la première fois avec un garçon. Elles vont alors à l’hôpital, et avortent secrètement, sans en parler à leur famille, pour lesquelles c’est la honte suprême. “Quelquefois, les médecins sont atroces”, dit Li, manifestement plus au courant de ces choses que ses ami(e)s. “Parfois, ils sont très gentils, et donnent des conseils pour que cela ne recommence pas!”

Une fille qui déciderait de garder son enfant ne le pourrait pas: on la fait avorter d’office. “Le gouvernement dit qu’un étudiant n’a pas de travail, et qu’il ne peut pas s’occuper de l’enfant”, explique une femme médecin. Et si une jeune fille réussit à cacher qu’elle est enceinte pendant les rois premiers mois pendant lesquels on peut provoquer l’avortement, on lui fera d’office une césarienne. Et, si l’enfant est viable (à 8 mois)... les infirmières reçoivent la consigne de ne pas le nourrir, pour qu’il meure! “En Chine, on fait l’amour pour avoir un enfant, pas pour autre chose”, rappelle cette femme médecin. Et pour avoir un enfant, il faut être marié. Les autorités chinoises, qui veulent contenir l’explosion de la population (officiellement, il y a 1,2 milliard de chinois depuis la mi-février), encouragent les Chinois à se marier tard: si on se marie à 23 ans ou après, les jeunes mariés ont droit à 18 jours de congé; mais si on se marie avant 23 ans, on n’a droit qu’à 3 jours. Et les couples n’ont droit qu’à un enfant. C’est la “politique de l’enfant unique”. Ceux qui l’enfreignent paient une lourde amende; elle était de 3 à 4.000 Yuans -- somme énorme, près de 10 mois de salaire. Et elle aurait récemment augmenté. Et ces enfants illégaux sont dépourvus de papiers: ils n’ont pas de nom, et ils ne peuvent pas, théoriquement, aller à l’école! Les femmes qui attendent un deuxième enfant doivent donc avorter, ou subir une césarienne. Et là encore, si l’enfant est viable, les infirmières de la maternité le laissent mourir de faim, surtout si c’est une fille. “C’est atroce, mais c’est le règlement”! [...]

Anne