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PARTIE III : L ES LONGS ARN S NON CODANTS OU LNC RNA S

IV) Expression et localisation

a.

Généralités

L'expression des lncRNAs est soumise aux mêmes conditions que les ARNm, c’est-à-dire dépendante de facteurs transcriptionnels et épigénétiques. Une analyse à grande échelle a montré que les marques de modifications post-traductionnelles des histones (H3K4me3, H3K9me3, H3K27me3 et H3K36me3) et leur distribution corrélaient avec l'expression de ces lncRNAs, de la même manière que pour les ARNm. De plus, il a été montré qu'indépendamment de l'expression, les TSS associés aux

65 lncRNAs étaient plus méthylés que ceux des ARNm. De manière intéressante, la méthylation de l'ADN au niveau des TSS ne semble pas intervenir sur l'expression du lncRNA, contrairement aux ARNm (Sati et al., 2012). L'analyse par Derrien et al. sur le catalogue GENCODE a mis en évidence que les lncRNAs pouvaient être des unités transcriptionnelles indépendantes, supportant donc le fait qu'il y ait des mécanismes spécifiques de régulation transcriptionnelle (Derrien et al., 2012). Ces marques ont par ailleurs permis d'identifier un grand nombre des lincRNAs dans le travail de Guttman

et al. Les auteurs ont montré que ces lncRNAs étaient régulés transcriptionnellement par les facteurs

de transcriptions clés comme p53, NF-κB (Nuclear factor of kappa light polypeptide gene enhancer in B-cells), Sox2 (SRY (sex determining region Y)-box 2), POU5F1 (POU class 5 homeobox 1) et Nanog (Guttman et al., 2009)(Huarte et al., 2010).

Globalement, l'expression des lncRNAs est très nettement inférieure à celle des gènes codants dans la plupart des tissus testés, la médiane d'expression maximale étant dix fois inférieure à celle des ARNm (Cabili et al., 2011)(Derrien et al., 2012). Il a quand même été observé une expression relativement élevée des lncRNAs dans les testicules (Ørom et al., 2010). De plus, il existe un certain nombre d'exemples de lncRNAs fortement exprimés, de façon ubiquitaire et à des niveaux similaires aux ARNm, comme les lncRNAs XIST chez la femelle placentaire (Masui and Heard, 2006), MALAT1 ou NEAT1 (Naganuma and Hirose, 2013).

Ce qui a justifié un peu plus le potentiel fonctionnel des lncRNAs est que leur expression peut être fortement dépendante du contexte cellulaire et/ou du stade de développement, et profondément perturbée dans certaines pathologies. Il a également été noté qu'ils présentaient des variations d'expression entre les différents tissus bien plus importantes que les ARNm. Le travail de Derrien et

al. a produit plusieurs résultats intéressants concernant l'expression des lncRNAs (Derrien et al.,

2012). Les auteurs ont pu observer de fortes corrélations d'expressions entre les lncRNAs et leurs gènes codants voisins. Cela semble corroborer les résultats de précédentes études démontrant l'impact des lncRNAs sur la régulation des gènes codants proximaux, tel que le lncRNA ANRIL (antisense non- coding RNA in the INK4 locus) régulant le locus INK4 (Yap et al., 2010).

b.

Expression spécifique au cours du développement

Plusieurs études ont pu montrer un enrichissement de gènes codants impliqués dans le développement localisés à proximité (moins de 10kb) de lncRNAs (Cabili et al., 2011)(Guttman et al., 2009). Ces études ont par ailleurs mis en évidence une régulation de l'expression des lncRNAs par les facteurs de pluripotence et une expression très tissu-spécifique, suggérant ainsi un rôle potentiel de ces lncRNAs dans le développement.

Certains lncRNAs ont été décrits comme intervenant dans la régulation des gènes HOX qui sont des facteurs déterminants dans la spécification de l'axe antéro-postérieur et de l'identité

66 positionnelle des organes chez les animaux. HOTAIR est un lncRNA exprimé à partir du locus HOXC chez les mammifères et régule négativement l'activité du locus HOXD (Rinn et al., 2007a). L'expression de HOTAIR au cours du développement chez la souris s'avère très localisée au niveau du tronc postérieur et du bourgeon distal des membres (Rinn et al., 2007b). Il en est de même pour

HOTTIP (HOXA distal transcript antisense RNA), un lncRNA qui est exprimé au niveau du locus HOXA et qui régule positivement l'expression de ce locus (Wang et al., 2011b). Il apparait donc que

ces lncRNAs sont importants pour la régulation de l'expression de ces gènes homéotiques cruciaux dans le développement. En effet, les souris knock-out pour HOTAIR présentent, d'une part, une perturbation de l'expression des gènes HOX dont le locus HOXD, et d'autre part des anomalies développementales comme des malformations des membres du squelette (Li et al., 2013a) (Figure 26).

Figure 26 : Impact de HOTAIR dans le développement. Malformation des os du poignet dans les modèles de knock-out HOTAIR (Coloration Rouge alizarine et bleu alcian). (II-V) os métacarpiens. (1, 2, 3, 4/5) Carpes. (c) élément central. (r) radial. (ra) radius. (u) ulnaire. (ul) ulna. (c-3) et (1-2-c) fusion des os carpiens. (*) Radius manquant (Adapté de Li et al., 2013a).

Au-delà du développement, plusieurs lncRNAs ont été décrits comme nécessaires et essentiels au maintien de la pluripotence des cellules souches et dans la capacité des cellules souches à se différencier. Ainsi, Ng et al. ont mis en évidence des lncRNAs qui sont impliqués dans le maintien de la pluripotence des cellules souches embryonnaires humaines en interagissant directement avec le facteur de pluripotence SOX2 (Ng et al., 2012). De la même manière, les auteurs ont identifié des lncRNAs nécessaires à la neurogenèse. En effet, les expériences inhibant l'activité de ces lncRNAs conduisent à un blocage de la différenciation neuronale. A l'inverse, Kretz et al. ont démontré que le lncRNA ANCR (anti-differentiation ncRNA) permettait le maintien des cellules souches de l'épiderme dans un état indifférencié (Kretz et al., 2012). On peut observer la baisse d'expression de ce lncRNA au cours de la différenciation des cellules souches, et sa perte d'expression conduit à la différenciation de ces cellules sans l'aide de stimuli externes. Une très belle étude, publiée en 2012 dans la revue

67 souches embryonnaires de souris. La perturbation de l'expression de ces lncRNAs a montré que ces ARNs régulaient l'expression d'un large panel de gènes, similaire d'un point de vue de la quantité à un régulateur transcriptionnel clé dans les cellules souches embryonnaires. Par ailleurs, cette régulation est nécessaire au maintien de l'état de pluripotence des cellules avec notamment une régulation de l'expression des facteurs Nanog et POU5F1. Les auteurs ont mis en évidence la répression exercée par les lncRNAs sur les programmes spécifiques de différenciation, impliqués très tôt dans le développement et dans les 3 feuillets embryonnaires (Guttman et al., 2011).

c.

Expression tissu spécifique

Comme cité précédemment, les lncRNAs présentent régulièrement une expression tissu- spécifique, avec des variations d'expressions entre les tissus bien plus importantes que les ARNm. Cabili et al. ont estimé que 78% des lincRNAs étaient tissus spécifiques alors que seulement 19% des ARNm présentaient ce type d'expression (Cabili et al., 2011). Ce résultat n'est pas dû à la différence d'expression globale entre lncRNAs et ARNm, puisque le même résultat est obtenu pour des transcrits exprimés à des niveaux similaires. Les auteurs de ce travail ont également estimé qu'environ un tiers des lincRNAs était spécifique aux testicules et qu'il existait des clusters de lincRNAs spécifiques à chacun des 24 tissus et lignées testés (Figure 27). De plus, l'expression de ces clusters de lincRNAs tissus spécifiques était significativement corrélée à l'expression des gènes codants impliqués dans des processus spécifiques de chaque tissu ou dans leurs différenciations.

Figure 27 : Expression tissu-spécifique des lncRNAs et des ARNm. Abondance de 4373 lncRNAs (lignes) et 28 802 ARNm (lignes) Dans les différents tissus testés (colonnes) l’intensité de couleur représente le niveau d’expression du gène. Il y a majoritairement plus de lincRNAs exprimés spécifiquement mais leurs expressions sont globalement moins fortes que celles des ARNm. Il y a cependant une forte expression de lncRNAs dans les testicules (Adapté de Cabili et al., 2011).

68 Le lncRNA Evf2 par exemple, est majoritairement exprimé dans le cerveau antérieur en développement et régule l'expression des gènes Dlx5/6 (distal-less homeobox) (Feng, 2006). Son expression et cette régulation s'avèrent nécessaires au développement du cerveau antérieur et à l'établissement des circuits neuronaux GABA-dépendants de l'hippocampe chez la souris (Feng, 2006). Exprimée de manière plus tissu-spécifique encore, la paire de lncRNAs HAR1A et HAR1B (highly accelerated region 1) est uniquement exprimée au niveau des neurones Cajal-Retzius dans le néocortex à la mi-gestation chez les primates. L'expression de ces ARNs s'étend à l'hippocampe, au cortex cérébelleux et au gyrus denté. A l'âge adulte, l'expression n'est plus uniquement cérébrale mais aussi ovarienne et testiculaire (Pollard et al., 2006).

Tout comme dans un contexte normal, l'expression des lncRNAs peut être dépendante d'un contexte pathologique. Il existe des lncRNAs spécifiques du tissu cancéreux comparé au tissu adjacent normal, constituant notamment d'excellents marqueurs néoplasiques. CCAT1 (Colon Cancer Associated Transcript 1) par exemple, est un lncRNA exprimé uniquement dans le tissu cancéreux du côlon et non dans le tissu sain (Kam et al., 2013). Par ailleurs, Iyer et al. ont mis en évidence récemment, par une méta-analyse de 25 études indépendantes, près de 8 000 lncRNAs tissu-spécifique ou tumeur spécifique sur plus de 58 000 lncRNAs identifiés, confirmant plus encore cette caractéristique des lncRNAs (Iyer et al., 2015).

d.

Localisation cellulaire

Plusieurs travaux ont montré que la grande majorité des lncRNAs était nucléaire et associée à la chromatine (Djebali et al., 2012)(Mondal et al., 2010) et cela indépendamment de leurs classes (intronique, intergénique, anti-sens) (Derrien et al., 2012). Bien que ce soit en accord avec plusieurs études présentant les lncRNAs comme majoritairement impliqués dans les régulations épigénétiques et associés à la chromatine, cette localisation peut également être le reflet d'une plus grande dégradation par des mécanismes comme le NMD (Nonsense mediated decay). Ces ARNs non codants peuvent présenter des ORFs "de mauvaise qualité" et ainsi être des cibles de ce mécanisme de dégradation cytoplasmique. Malgré cet enrichissement dans le noyau, une partie des lncRNAs peut être enrichie dans le cytoplasme. C'est le cas par exemple de mascRNA (MALAT1-associated Small Cytoplasmic RNA) (Wilusz et al., 2008), de NRON (non coding RNA, repressor of NFAT) (Willingham et al., 2005) ou du lncRNA GAS5 (growth arrest-specific 5) (Kino et al., 2010). Au vue des grandes différences fonctionnelles qui existent entre un lncRNA nucléaire ou cytoplasmique, la question de la localisation des lncRNAs s'avère donc cruciale dans l'établissement du potentiel fonctionnel d'un lncRNA.

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