• Aucun résultat trouvé

32

bien allier Etat policier et Etat social34, en prônant un monde associatif à cheval entre le socio-caritatif et le politique35. La deuxième tendance associative concernait des positions plus critiques envers l’Etat répressif de Ben Ali, en portant leurs intérêts sur les droits de l’homme (droits des minorités, de l’enfance, des femmes etc)... Enfin, notons également la présence d’associations qui mêlaient discours politique et religieux. Désormais, il existe un contrôle étatique fort en Tunisie, qui ne permet plus aux associations de mêler par exemple la dimension caritative à la dimension religieuse.

Depuis 2011, la Tunisie connaît donc un essor associatif sans précédent : la plateforme d’associations tunisiennes Jamaity36 a recensé à ce jour près de 22 000 associations, alors qu’entre 7 000 et 9 000 étaient recensées à la veille de la chute de Ben Ali. Parmi ce foison- nement d’associations, il s’avère qu’une partie seulement serait active (selon Jamaity, 6 000 à 7 000 associations seraient actives, soit seulement 30% des 22 000 associations décla- rées37).

Cet essor associatif est à mettre en lien avec les préceptes de la révolution tunisienne : la vo- lonté d’un peuple de se soulever, de se mobiliser pour mettre en place une démocratie dans laquelle la voix populaire peut compter. En plus de l’explosion du nombre d’associations, les champs d’actions sont donc de plus en plus larges : on compte de nombreuses nouvelles structures qui agissent sur les questions des Droits de l’Homme, d’égalité hommes-femmes, sans que cela soit dans une posture anti-gouvernement, puisque désormais ces thématiques peuvent être plus librement évoquées.

Le déséquilibre d’investissement public entre les territoires (Nord/Sud, Intérieur/Littoral), est peu à peu contrebalancé par la création de projets qui prônent une gouvernance locale ou autogérée. Ainsi s’exprime une forte volonté locale de prouver que chaque territoire a son importance, fort de son histoire et de ses caractéristiques sociales qui lui permet d’être à l’initiative de projets à son image.

Cependant , la lenteur de la mise en place des promesses de décentralisation du gouver- nement tunisien et son manque d’investissement en matière de soutien aux initiatives de la

34 LAGARDE Dominique, Le système Ben Ali, l'Express, 2007, disponible en ligne sur : https://www.lex- press.fr/actualite/monde/afrique/le-systeme-ben-ali_474688.html

35 BEN NEFISSA Sarah, Le secteur associatif dans le monde arabe : entre les contraintes des systèmes politiques et les demandes sociétales, Institut de Recherche et Débat sur la Gouvernance, 1998, en ligne sur http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-analyse-190.html

36 Plateforme de la société civile, http://jamaity.org/

37 MATTEUDI Emmanuel, PERICARD Martin et al., L’apport des actions de développement menées par les sociétés civiles au Maghreb dans le contexte post-printemps arabe, Comptes rendus de missions réalisées au Maroc et en Tunisie, 2018, Laboratoire de Recherche LIEU, Aix-Marseille Université.

33

société civile pose une nouvelle problématique. En effet il est difficile de ne pas établir une corrélation avec l’apparition de nouvelles formes de soutien financiers, de la part d’organi- sations internationales, qui semblent tenter de pallier à ce manque. Ces soutiens, parfois teintés d’ambiguïté, ne sont pas sans soulever un certain nombre de questions.

En 2015, le prix Nobel de la Paix a été décerné au dialogue national tunisien, représenté par un quartet regroupant plusieurs acteurs de la société civile à savoir l’Union Générale Tuni- sienne du Travail (l’UGTT), l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA, syndicat patronal), la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) et l’Ordre des Avocats pour sa « contribution à la transition démocratique en Tunisie depuis la révolution de 2011».

Il s’avère que ce prix s’adresse plus à toute la société civile tunisienne pour l’exemplarité de ses combats avant, pendant et depuis la révolution de 2011. Or, comme vu précédemment, malgré toutes les formes d’engagements présentes dans tout le pays, le triste constat d’une difficulté à répondre aux revendications sociales et économiques est toujours de mise. L’at- tribution de ce prix Nobel à la société civile tunisienne est une manière de souligner son pouvoir grandissant au sein même du pays, faisant d’elle un acteur important du champ politique.

En 2015, la création d’un poste de ministre38 chargé des relations avec les institutions consti- tutionnelles, la société civile et les droits de l’homme, vient également appuyer la dimension politique qu’elle a pu acquérir au cours des dernières années. Etant donné l’histoire et l’évo- lution du rôle de la société civile en Tunisie, force est de constater qu’elle ne s’instaure plus dans une position de contre-pouvoir, mais qu’elle vient désormais s’implanter dans les prises de décision politique. Or, de plus en plus de critiques s’adressent à sa nouvelle place au sein d’un champ politique en pleine mutation, considérant son rôle comme « une priorité exclusive accordée aux libertés individuelles, la confiscation des mouvements sociaux et le manque de représentativité des nouvelles dynamiques sociales et économiques dans la société civile organisée39 ».

38 Le ministre nommé en 2015 était Kamel Jendoubi. Le dernier ministre en charge de ces relations est Mehdi Ben Garbia, qui vient de démissionner en juillet 2018…

39 YOUSFI Hèla, Faut-il encenser la société civile en Tunisie ?, dans l’Orient XXI, 2016, disponible en ligne sur : https://orientxxi.info/magazine/faut-il-encenser-la-societe-civile-en-tunisie,1673

Documents relatifs