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Le chapitre 12 a défini l’essai contrôlé aléatoire en fonction de trois critères : le chercheur contrôle et manipule la valeur du traitement, il assigne différents individus à différents traitements de façon aléatoire et il compare les caractéristiques des différents groupes expérimentaux (p. ex., traitement vs placebo).

Dans certaines situations, la valeur du traitement que chaque in- dividu reçoit est déterminée de façon aléatoire, même si le chercheur n’a pas manipulé le traitement lui-même. Par exemple, une école pour- rait assigner ses élèves à différentes activités parascolaires sur une base aléatoire ; le chercheur pourrait alors exploiter cette décision adminis- trative pour estimer un effet causal. Lorsqu’une expérience aléatoire est produite par un mécanisme hors de son contrôle, on dit qu’il s’agit d’une « expérience naturelle ». En termes d’inférence causale, l’expé- rience naturelle partage les avantages de l’essai contrôlé aléatoire qui sont dus à la nature aléatoire de la variable explicative.

Parfois, le traitement dans une expérience naturelle n’est pas assigné de façon parfaitement aléatoire, mais le chercheur réussit à convaincre son lecteur que le mécanisme d’assignation s’approche suffisamment de l’idéal expérimental pour que les données soient analysées « comme si » elles avaient été produites par un essai contrôlé aléatoire. On par- lera alors de « quasi-expérience naturelle ».

La première section de ce chapitre présente quelques exemples d’ex- périences et de quasi-expériences naturelles et illustre comment ana- lyser ces expériences statistiquement. La section suivante met l’accent sur une forme d’expérience naturelle très répandue : l’analyse de dis- continuité.

Expériences et quasi-expériences naturelles

Dans une expérience naturelle, un phénomène hors du contrôle de l’analyste fait en sorte que certains individus reçoivent un traitement, alors que d’autres n’en reçoivent pas. Lorsque la variable explicative générée par ce phénomène est bel et bien aléatoire, l’analyste bénéficie des avantages du devis expérimental décrits dans le chapitre 12. Dans ce cas, il est légitime d’interpréter les résultats en termes de causalité. Plusieurs phénomènes naturels ou sociaux produisent des traitements aléatoires (ou quasi aléatoires). Pour saisir la diversité des types de re- cherche possibles, il est utile de considérer quelques exemples.

Compétition et performance cognitive

Dans ce premier exemple d’expérience naturelle, le traitement est assigné par un processus strictement aléatoire, mais hors du contrôle de l’analyste.

Plusieurs chercheurs en psychologie et en économie s’intéressent à l’effet de facteurs psychologiques comme la compétitivité sur la per- formance cognitive. Pour étudier cette question, Gonzalez-Diaz et Palacios-Huerta (2016) exploitent une expérience naturelle où les ca- ractéristiques d’une situation compétitive sont manipulées de façon aléatoire.

Dans un match professionnel d’échecs, les joueurs disputent un nombre pair de parties.1Comme il est plus facile de remporter une

partie en jouant avec les pièces blanches qu’avec les noires, les couleurs alternent d’une partie à l’autre, de sorte qu’à l’issue du match, chaque joueur aura joué autant de parties avec les pièces blanches. Suivant les règles de la Fédération internationale des échecs, l’arbitre procède à un tirage public au début du match afin d’identifier la personne qui jouera avec les pièces blanches lors de la première partie.

En principe, ce tirage ne confère aucun avantage, puisque les deux protagonistes joueront éventuellement le même nombre de parties avec les pièces blanches. Par contre, même si gagner le tirage ne donne pas d’avantage formel, il pourrait conférer un avantage psychologique : lorsqu’une personne joue avec les pièces blanches lors de la première partie, elle a plus de chance de prendre l’avance dès le début du match et donc de mettre son opposant sur la défensive.

Pour mesurer l’effet causal de l’environnement compétitif sur la performance cognitive, Gonzalez-Diaz et Palacios-Huerta (2016) étu- dient les résultats de 197 matchs d’échecs professionnels (plus de 1300 parties). Ils estiment que les joueurs qui remportent le tirage et qui dé- butent le match avec les pièces blanches ont 57,4 % de chances de rem- porter le match. Les joueurs qui sont mis sous pression psychologique par un phénomène strictement aléatoire performent moins bien.

La clé de cette expérience naturelle est le mécanisme qui expose les joueurs à différents stimuli. Bien que les chercheurs n’aient pas contrôlé ce mécanisme eux-mêmes, ils ont pu exploiter le tirage aléa- toire pour estimer un effet causal sans biais par variable omise, de sé- lection dans le traitement ou de simultanéité.

Taxes et élections

Dans ce deuxième exemple, le traitement est hors du contrôle de l’analyste et n’est pas strictement aléatoire. Par contre, les auteurs de l’article soutiennent que les circonstances historiques et institution- nelles font en sorte que la variable explicative soit « quasi aléatoire ». Il s’agit donc d’une quasi-expérience naturelle.

La théorie des cycles politico-budgétaires suggère qu’un politicien qui désire rester au pouvoir devrait réduire les taxes et augmenter les dépenses à l’approche d’une élection, afin de s’attirer les faveurs de l’électorat. Pour tester cette théorie, Alesina et Paradisi (2017) ex- ploitent une particularité institutionnelle du système fiscal italien.

En 2011, le gouvernement national italien introduit une nouvelle taxe foncière applicable dans toutes les 8092 municipalités du pays. Environ 50 % des revenus de cette taxe sont transférés au gouverne- mental central ; les fonds restants constituent la principale source de revenus pour les gouvernements municipaux. Le gouvernement na- tional force les municipalités à imposer la taxe, mais leur laisse une certaine autonomie concernant le taux d’imposition : une municipa- lité peut choisir d’imposer la résidence principale de ses citoyens à un taux variant entre 0,2 et 0,6 %. Le conseil municipal, composé d’élus locaux, doit choisir le taux précis qui s’appliquera dans leur municipa- lité. Tous les conseils municipaux doivent choisir le taux d’imposition à une même date, fixée par le gouvernement central.2

2. Cette discussion simplifiée du contexte institutionnel ne rend pas tout à fait justice à la réalité historique. Veuillez consulter l’article original pour plus de détails.