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PARTIE 1 : LA PHARMACOTECHNIE

A. Exigences de préparations des collyres

La biodisponibilité oculaire des principes actifs reste très faible après instillation (< 5 %). D’une part, l’élimination des principes actifs est très rapide. Le collyre est en effet considéré comme un corps étranger dans l’œil. Afin de s’en débarrasser, les phénomènes mécaniques de clignement des paupières et de larmoiement vont contribuer à une dilution des principes actifs puis à leur écoulement dans le canal lacrymal puis les fosses nasales. Ainsi, deux minutes après l’instillation, 60 % du PA est éliminé de la sphère oculaire. En 15-25 minutes, il a totalement disparu. Il y a donc nécessité de répéter les prises.

D’autre part, le passage transcornéen est relativement faible mais toutefois suffisant pour permettre aux principes actifs d’exercer leur action thérapeutique. D’autant plus qu’en cas d’altération de la cornée – au décours d’une infection oculaire notamment - la pénétration des molécules augmente. En revanche, la conjonctive étant, elle, très vascularisée, les principes actifs y sont facilement résorbés et diffusent dans la circulation générale avec le risque de causer des effets systémiques.

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Pour pallier à cette faible biodisponibilité, ont été développés depuis la fin des années 90 des collyres d’antibiotiques ou d’antifongiques dits « fortifiés » ou « renforcés », dont la concentration est supérieure à celle des collyres commercialisés. Ces collyres sont indispensables à la prise en charge en urgence des infections oculaires sévères puisqu’ils permettent d’obtenir rapidement des concentrations d’anti-infectieux efficaces, supérieures aux concentrations minimales inhibitrices (CMI) au niveau oculaire. Ils sont préparés et délivrés exclusivement en milieu hospitalier, sous le statut de préparation magistrale ou hospitalière.

La préparation de collyres doit être envisagée de façon à pouvoir maîtriser cinq critères essentiels du produit final :

➢ Sa stabilité physico-chimique ➢ Son efficacité thérapeutique

➢ Sa bonne tolérance physiologique auprès du patient

➢ Sa sécurité microbiologique avant et après ouverture du flacon ➢ Son innocuité

La formulation des collyres doit ainsi être optimisée afin de pouvoir maitriser ces points critiques. Le choix des excipients est notamment conditionné par ces critères de qualité.

1. Stabilité physico-chimique

Afin de s’assurer d’obtenir une concentration stable en principe actif au niveau de la cornée, le choix de la molécule est primordial. On privilégiera donc, dans la mesure du possible, les molécules de petite taille ayant une solubilité à la fois dans les milieux lipophiles et hydrophiles pour favoriser la pénétration cornéenne.

Pour augmenter le temps de contact du collyre sur l’œil et donc potentiellement sa biodisponibilité, il est possible de jouer sur la viscosité de la solution préparée pour diminuer sa dilution dans les larmes. L’acide hyaluronique ou les dérivés de cellulose sont des exemples d’agents viscosifiants adaptés aux formes ophtalmiques. Cependant, une élévation trop importante de la viscosité risque de provoquer une gêne à l’instillation pour le patient.

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La stabilité physico-chimique d’une solution s’apprécie également par l’évolution de ses caractères organoleptiques qui doivent rester constants le temps de sa conservation.

2. Efficacité thérapeutique

Utilisés dans des pathologies oculaires graves, les collyres préparés en milieu hospitalier sont souvent concentrés en principes actifs pour réduire leur effet de dilution par les larmes et en amener une quantité suffisante au site d’infection. Un dosage de la teneur en principe actif présent dans chaque lot de préparation est par conséquent requis. Il permet d’éviter d’éventuels sous-dosages, propices au développement de résistances au produit administré, ou de surdosages, voire d’erreur de produit au cours de la production.

3. Tolérance physiologique

Afin d’assurer au patient un confort optimal à l’administration, plusieurs qualités sont requises aux collyres fabriqués, notamment au niveau de la pression osmotique, du pH ou de la contamination particulaire. Les excipients ont donc des rôles fondamentaux dans l’ajustement de ces caractéristiques.

➢ Le pH :

En théorie, l’œil peut supporter un pH allant de 4,5 à 11,5. Toutefois, pour éviter la survenue d’irritations désagréables voire douloureuses immédiatement après l’instillation, le pH des solutions de collyres doit se rapprocher des valeurs usuelles du pH lacrymal, voisines de 7,4. Le pouvoir tampon des larmes permet une variation de pH dans l’intervalle 6,7 à 7,7 sans conséquence pour l’œil. Au-delà de ces limites, outre la sensation désagréable à chaque administration qui risque de nuire à l’observance du traitement, l’œil va sécréter davantage de larmes afin d’accélérer l’élimination du produit qu’il ne tolère pas bien. L’efficacité du traitement est donc réduite.

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L’ajustement du pH ne peut être réalisé que si le principe actif est stable, soluble et actif aux alentours du pH lacrymal. L’utilisation de tampons phosphates est largement répandu de même que celle de l’acide borique qui comporte en plus l’avantage de posséder un certain pouvoir antiseptique.

Lorsque l’ajustement est impossible à réaliser, comme pour la vancomycine qui précipite à pH neutre, un compromis est trouvé entre la stabilité de la molécule et la tolérance de la préparation, sachant que l’œil supportera mieux une légère acidité qu’une basicité.

➢ L’osmolalité :

L’œil est particulièrement sensible aux variations de pression osmotique qui peuvent aussi occasionner une gêne ou une douleur à l’instillation et précipiter l’élimination des substances responsables par des mécanismes réactionnels de larmoiement de l’œil.

Il est donc conseillé d’ajuster la pression osmotique à celle du liquide lacrymal située autour de 280 mOsm/kg. L’œil sain peut néanmoins supporter sans douleur ni dommage cellulaire des concentrations osmolaires s’étalant sur une plage comprise entre 236 et 446 mOsm/kg (26). L’hypotonicité améliore la perméabilité cornéenne des principes actifs mais est plus inconfortable.

Pour un œil pathologique, un collyre isotonique sera bien mieux toléré.  Utilisation d’isotonisants

Les larmes ont une pression osmotique équivalente à celle d’une solution de chlorure de sodium (NaCl) à 0.9%. Le NaCl est donc généralement utilisé pour ajuster la pression osmotique. En cas d’incompatibilité du NaCl avec les autres composants de la préparation, le glucose à 5 % peut également être employé mais il présente l’inconvénient de coller aux paupières. De plus il fournit un milieu de culture propice au développement des micro- organismes présents au niveau oculaire.

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➢ La contamination particulaire :

Selon les exigences de la Pharmacopée européenne, un collyre doit être pratiquement limpide et pratiquement exempt de particules. Les particules peuvent provenir de diverses sources, notamment des récipients ou de la filtration en cours de préparation. Leur présence en quantité ou en taille trop importante peut induire des irritations locales à la surface de l’œil.

Concrètement, la limpidité est constatée par mirage des solutions à l’œil nu, à travers le conditionnement, et sur la totalité des unités du lot fabriquées. La granulométrie des particules invisibles n’est pas obligatoire pour les préparations de collyres.

La recherche des particules visibles s’effectue au microscope optique sur un échantillon de 10 µg de préparation. Le collyre doit contenir au maximum 25 particules de taille supérieure à 25 µm, deux de plus de 50 µm et aucune dépassant les 90 µm, sous peine de refus du lot.

4. Sécurité microbiologique

Au sein d’une préparation de collyre, la présence de microorganismes est proscrite. Cet état stérile est rendu d’autant plus indispensable par l’utilisation de flacons multidoses, qui en plus des risques de contamination lors de leur fabrication, sont confrontés à des risques encore plus grands à chaque manipulation du flacon au cours de son utilisation. De nombreux cas de fontes purulentes de l’œil dus à des préparations ophtalmiques contaminées ou mal conservées ont d’ailleurs fait l’objet de publications (27) (28). La colonisation de préparation de collyres d’anti-infectieux peut en plus faire craindre l’acquisition de résistances par les micro-organismes présents.

Comme vu précédemment, la stérilité initiale des préparations est obtenue par l’application d’un des procédés de fabrication décrit par la pharmacopée. En fin de processus, les lots de collyres doivent satisfaire à l’essai de stérilité afin d’être libérés. Les collyres testés devront être stériles jusqu’à la fin de leur durée de péremption.

Les collyres ne possédant aucune activité antimicrobienne sont conditionnés en récipients unidoses ou multidoses munis d’un système empêchant la contamination microbienne du

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contenu après son ouverture. Hormis ces conditions, l’utilisation de conservateurs est recommandée pour éviter ou limiter la prolifération microbienne. Ces agents doivent se révéler compatibles avec l’ensemble des composants de la préparation, et efficaces, à faibles doses, jusqu’à la fin de la durée d’utilisation du collyre. Le conservateur le plus utilisé actuellement est le chlorure de benzalkonium.

L’agence européenne du médicament recommande toutefois de privilégier l’utilisation de collyres sans conservateur qui démontrent une même efficacité mais surtout une meilleure tolérance. Les conservateurs sont effectivement fréquemment impliqués dans la survenue de réactions allergiques ou inflammatoires essentiellement (29).

La plupart des préparations de collyres réalisées à l’hôpital ne contiennent cependant pas de conservateur puisque leur principe actif présente déjà des propriétés antimicrobiennes. Il a d’ailleurs pu être démontré qu’après quatre semaines de stockage à 4°C, aucune contamination n’est retrouvée dans des collyres antibiotiques sans conservateur (30).

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