• Aucun résultat trouvé

Une exemplarité particulière : l’imitation mythique d’Alonso Quijano

J’ai souvent considéré, non sans grand étonnement, d’où procède une erreur, que l’on peut croire être propre et naturelle aux vieillards, parce qu’elle se voit communément chez ceux-ci : c’est que presque tous louent le passé et blâment le présent.

Baldassar Castiglione, Le courtisan

Pour Marthe Robert, le défaut de lecture de don Quichotte tient à sa pratique imitative :

le monde réel affirme à bon droit son autonomie, et cependant le langage dont [le chevalier] se sert, fût-il le plus prosaïque, dénote une infinité d’emprunts littéraires qui prouvent tout le contraire de sa liberté. Si l’on voit bien ce que la littérature y gagne, on comprend moins ce que la réalité retire d’une soumission aussi peu naturelle à une instance étrangère (1963, p. 45-46).

Ce que la critique littéraire définit comme « donquichottisme » fait les frais d’une dichotomie étanche entre le réel et le « littéraire » (la notion elle-même appelle nuance, à l’époque de l’écrivain espagnol).

L’« imitation donquichottesque » incarne en fait, dans l’optique qui est la sienne, la triade Livre-Idéal-Tradition.

Aborder la problématique de l’imitation chez don Quichotte oblige, pensons-nous, à adopter une perspective plus attentive à la littérature et aux livres dont il est question dans les deux romans, de 1605 et de 1615172. Parler du Livre, c’est méconnaître le fait que Cervantès parle de certains livres et d’une certaine imitation, liés à l’univers de la chevalerie.

172 « Cervantès -affirme Marthe Robert- imite le fade roman d’Amadís alors qu’il veut s’en prendre à Homère ou, plus exactement, au genre épique » (ROBERT, 1963, p. 44).

L’EXEMPLARITÉ MYTHIQUE DU ROMAN DECHEVALERIE

Le héros chevaleresque représenté par Amadís de Gaula est, par définition, à la fois fortement imitable et radicalement inaccessible : c’est là tout son paradoxe. Cette ambivalence tient à sa dimension mythique.

Amadís est à ce point imitable parce qu’il reprend les attributs du héros mythique. Dans les peuples primitifs, l’« être surnaturel » cumule deux caractères saillants qui font de lui une référence absolue pour l’homme. D’une part, il appartient à un temps révolu et, d’autre part, le récit de ses hauts-faits s’intègre dans une pratique rituelle qui oblige l’homme à répéter perpétuellement l’exemple ancien. La conjonction de la dimension originelle et de la ritualisation du récit mythique est ce qui garantit au modèle primordial toute sa portée « exemplaire ». Mircea Eliade parle alors, pour définir ce phénomène, du « prestige des commencements » (1953, p. 35-55) :

Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans un temps primordial, le temps fabuleux des

« commencements ». Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Etres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence […].

Comme nous l’avons montré dans Le mythe de l’éternel retour […], la fonction maîtresse du mythe est de révéler des modèles exemplaires de tous les rites et de toutes les activités humaines significatives : aussi bien l’alimentation ou le mariage, que le travail, l’éducation, l’art ou la sagesse […]. Dans la plupart des [rites initiatiques], il ne suffit pas de connaître le mythe de l’origine, il faut le réciter ; […] en récitant ou en célébrant le mythe de l’origine, on se laisse imprégner de l’atmosphère sacrée dans laquelle se sont déroulé ces événements miraculeux […]. En récitant les mythes on réintègre ce temps fabuleux et, par conséquent, on devient en quelque sorte contemporain des événements évoqués, on partage la présence des Dieux ou des Héros (ibid., p. 16-31).173

On ne peut qu’être sceptique face à l’affirmation que l’homme du rite est créatif en s’inspirant du mythe174 ; il semble plutôt que celui-ci soit contraint de reconduire l’exemple originel, avec toutes les inadéquations

173 Voir également ELIADE (1957), p. 30, on lit également : « On est toujours contemporain d’un mythe, dès lors qu’on le récite ou qu’on imite les gestes des personnages mythiques. »

174 Ibid. (1953), p. 176 : « [grâce au modèle exemplaire du mythe], l’homme devient, à son tour, créateur […]. Le mythe garantit à l’homme que ce qu’il prépare a déjà été fait, il l’aide à chasser les doutes qu’il pourrait concevoir quant au résultat de son entreprise […]. L’existence d’un modèle exemplaire n’entrave point la démarche créatrice. Le modèle mythique est susceptible d’applications illimitées. »

qui découlent de cette pratique. Si les lecteurs peuvent être séduits par Amadís, c’est parce que la chevalerie, du fait même de son ancrage mythique proche des commencements chrétiens175, ne lui propose pas autre chose et que l’habitude de la relecture (voir supra) a tendance à entraîner les lecteurs sur la pente de la répétition.

L’IMITATION LITTÉRALE

Nous ne pouvons donc que souscrire à l’idée avancée par Edward Riley selon laquelle l’erreur principale du lecteur Quijano consiste à restreindre son imitation à la plus pure littéralité : son imagination est reproductive et non, pour le dire tautologiquement, imaginative (Riley, 1990, p. 82). Il vit comme il aurait voulu écrire (DQ I, 1). Il effectue une imitation qui a tout les traits d’une réécriture, gorgée, donc, de stéréotypes. La vie de don Quichotte ressemble à une re-production176. Si les formes de son comportement imitatif trahissent une certaine folie, un repérage des actes les plus fous de don Quichotte peut nous aider à apprécier plus précisément les caractéristiques de sa folie imitative.

Un des moments les plus saisissants se produit lors du passage des deux compères manchègues dans la Sierra Morena177. Le lieu et ses satellites narratifs sont extrêmement significatifs des liens entre lecture, folie et imitation. Le protagoniste affiche clairement la visée imitative de son action :

hallo yo, Sancho amigo, que el caballero andante que más le imitare estará más cerca de alcanzar la perfeción de la caballería. Y una de las cosas en que más este caballero mostró su prudencia,

175 Nous ne pensons pas seulement à la tradition du graal, coupe ayant reçu le sang du Christ, mais aussi, tout simplement, à l’incipit d’Amadís de Gaula : « No muchos años después de la passión de nuestro Redemptor y Salvador Jesuchristo fue un rey christiano en la Pequeña Bretaña por nombre llamado Garínter »… (RODRIGUEZ DE MONTALVO, 2001, p. 227). D’autres vecteurs de la lecture nostalgique (mythique) du roman : p. 243, 413, 469, 660, 1757. Sur le lien entre mythe et épopée : ELIADE (1959), p. 263-266.

176 « El esfuerzo que [don Quijote] pone en ello, aun siendo infantil, es conscientemente artístico. Imitar modelos con objeto de llegar a su altura o de elogiarlos estaba prescrito no sólo como norma de conducta, sino también en el arte, la literatura y la oratoria. Este principio, expuesto antiguamente por Horacio y Quintiliano, fue muy recordado en el Renacimiento » (RILEY, 1990, p.

82). Voir également l’édition d’Avalle-Arce (CERVANTES, 1982b), p. 836-843 (opinion d’Erasme).

177 « Su acto más voluntariamente artístico es su penitencia » (RILEY, 1990, p.

82).

valor, valentía, sufrimiento, firmeza y amor, fue cuando se retiró, desdeñado de la señora Oriana, a hacer penitencia en la Peña Pobre, mudado su nombre en el de Beltenebros, nombre, por cierto, significativo y proprio para la vida que él de su voluntad había escogido. Ansí que, me es a mí más fácil imitarle en esto que no en hender gigantes, descabezar serpientes, matar endriagos, desbaratar ejércitos, fracasar armadas y deshacer encantamentos.

Y, pues estos lugares son tan acomodados para semejantes efectos, no hay para qué se deje pasar la ocasión, que ahora con tanta comodidad me ofrece sus guedejas (DQ I, 25, p. 275).

Le lieu seul, par son analogie avec le roman d’Amadís, motive l’attitude imitative. Mais, on le sait, la retraite du chevalier manchègue ne doit rien à un quelconque dédain de sa dame, mais plutôt à une sage prudence qui cherche à le préserver des hommes de la Santa Hermandad depuis la libération indue des galériens. Le lieu sert en fait de cadre à une représentation presque théâtrale dont Sancho sera l’unique public.

Une distinction de Jean-Marie Schaeffer entre deux formes programme comportemental global (généralement intentionnel) (1999, p. 73).

L’attitude de l’hidalgo relève du premier cas et « vise pour l’essentiel à une adéquation mimétique au niveau perceptif : elle essaie donc de reproduire les détails perceptuellement les plus prégnants du comportement imité, ce que Byrne et Russon appellent son "style" » (ibid., p. 74).

Notre personnage, par conséquent et contrairement à ses dires, ne se contentera pas de l’imitation « sage » d’Amadís ; le chevalier Roland va alors faire son entrée dans une perspective lectorale à la fois burlesque et cognitive (sémantique). Cervantès a besoin de l’analogie avec le héros italien pour mettre en lumière l’aspect le plus marquant de l’imitation quichottesque :

quiero imitar a Amadís, haciendo aquí del desesperado, del sandio y del furioso, por imitar juntamente al valiente don Roldán, cuando halló en una fuente las señales de que Angélica la Bella había cometido vileza con Medoro, de cuya pesadumbre se volvió loco y arrancó los árboles, enturbió las aguas de las claras

fuentes, mató pastores, destruyó ganados, abrasó chozas, derribó casas, arrastró yeguas y hizo otras cien mil insolencias, dignas de eterno nombre y escritura? (DQ I, 25, p. 275-276)

L’intérêt de l’introduction de Roland dans le schéma mimétique tient au qualificatif qui lui est associé : il est « furieux » par définition. Par ce trait de caractère présent dans le titre italien, Cervantès souligne la stricte mimèsis, en deçà de tout recul critique, et lui donne son trait le plus saillant, à savoir la folie.

- Sancho amigo, no gastes tiempo en aconsejarme que deje tan rara, tan felice y tan no vista imitación. Loco soy, loco he de ser hasta que tú vuelvas (DQ I, 25, p. 276).

- Y desnudándose con toda priesa los calzones, quedó en carnes y en pañales y luego sin más ni más dio dos zapatetas en el aire y dos tumbas la cabeza abajo y los pies en alto, descubriendo cosas que, por no verlas otra vez, volvió Sancho la rienda a Rocinante (p. 289-290).

La prétendue originalité confine à l’extravagance folle et au ridicule, comme pour mieux marquer l’ineptie d’une attitude strictement imitative, encore fréquente au début du XVIIe siècle178.

Mais, dans la ligne de mire de Cervantès, on trouvera moins l’imitation exceptionnelle de la chevalerie par telle personne isolée que la question de l’exemplarité telle qu’elle se présente à la fin de la Renaissance.

Rappelons les éléments du dossier. Avec don Quichotte, l’imitation trouve sa finalité en elle-même, se justifie en tant que telle. Le héros en fait même une revendication orgueilleuse, l’originalité de son « œuvre » :

« el toque está en desatinar sin ocasión y dar a entender a mi dama que si en seco hago esto ¿qué hiciera en mojado? » (p. 276).

Le topos de la pénitence amoureuse signale aux lecteurs le type d’imitation du chevalier Quijano. L’absence d’une histoire personnelle justifiant la manifestation de la mélancolie, ainsi que l’explicitation des noms d’Amadís et de Roland, renvoient à une pure répétition. Le modèle actantiel est d’ailleurs celui de l’artiste (« haré el bosquejo, como mejor pudiere, en las que me pareciere ser más esenciales », p. 276). Derrière la prétention créatrice, pointe l’ironie auctoriale et la démystification

178 Voir l’exemple cité par GALLUD JARDIEL (1989).

lectorale : point d’innovation, bien sûr, mais un calque grotesque voire maniériste179, une imitation littérale sans fondement.

Depuis les débuts de l’humanisme et surtout I libri della famiglia de Léon Battista Alberti (1433-1440)180, la réflexion antiscolastique avait d’éducation fondée sur l’esthétique : à la technique rigoureuse de la philosophie, qui s’attachait à offrir des notions déterminées, il opposait la représentation désintéressée de certaines réalités exemplaires, idéales et en même temps susceptibles d’émouvoir et de susciter passion et désir d’imitation. Aux formules arides et abstraites qui analysent une vertu héroïque et malheureuse, se substituent les pages frémissantes de la geste de Brutus et ce Brutus plein de vie et de présence se propose comme un exemple qui suscite admiration passionnée. À une raison qui use de syllogismes pour exposer un pâle savoir, vient s’opposer une puissance capable d’évoquer des hommes, dont les œuvres à nouveau vivantes et vitales créent des sentiments et des passions, mènent à l’action, transforment et modèlent l’humanité. Les héros de Plutarque deviennent des maîtres de vie (ibid., p. 90).

Contrairement à l’opinion de M. Robert, l’effet d’exemplarité personnes bien-nées de ressembler à Amadis ou à Astrée […], la ferveur des dévots qui aspiraient à la pureté des mœurs des premiers chrétiens […] s’enracinaient tous dans cette réforme qui visait à améliorer les hommes en les encourageant à se détacher – symboliquement– d’une réalité jugée insuffisante. L’hétérochronie symbolique –l’effort de chercher au loin, autrefois et ailleurs, le modèle d’un monde unifié et harmonieux, d’un monde évoquant la vertu et la sainteté– était mise au service de la maîtrise de soi et de la politesse. Arrachant les hommes à la dureté et à la sauvagerie de leur milieu historique, cette éducation visait à les

179 Dans sa velléité imitative, don Quichotte tient beaucoup de l’artiste maniériste, tel que Claude-Gilbert Dubois a su le saisir (1995, p. 38-39).

180 Voir BRIOSCHI, DI GIROLAMO (1993), p. 926-930.

mettre en présence d’exemples de civilité et de vertu, dont on espérait qu’ils finiraient par absorber l’énergie symbolique […].

Au cœur du projet civilisateur, on découvre, de la sorte, le besoin d’aménager, en sus de la vie empirique, un ensemble de domaines imaginaires clairement séparés de la réalité quotidienne, mais prêt à fournir à celle-ci la justification exemplaire qui lui fait défaut. Constitués à partir de l’héritage religieux et de souvenirs culturels ou forgés par l’effort de civilité, ces domaines se comportent comme de vastes univers figurés, comme d’immenses emplacements dans lesquels la société cultive ses idéaux et ses fantasmes. Immenses abris remplis d’êtres fictifs qui servent de modèles aux pratiques individuelles, ces mondes renferment les recettes axiologiques de la transformation –éthique et esthétique–

de la vie ordinaire. Sans cette structure à deux pôles (le quotidien et l’idéal) la dynamique de la civilisation demeurerait inconcevable, puisque c’est dans les mondes saillants projetés par l’imagination que les idéaux civilisateurs prennent d’abord racine ; […] l’éloignement classique se trouvait à la source de l’exemplarité, pierre angulaire de l’édifice rhétorique et moral classique (1996, p. 38-41 et 374).

Ce programme d’éducation fondé sur l’exemplarité va néanmoins tomber dans le travers de la pédanterie ; c’est là une « dégénérescence » de l’humanisme. En Espagne, il ne faut pas attendre l’étudiant grotesque de la Seconde partie de Don Quichotte (« respondía que su profesión era ser humanista », DQ II, 22, p. 811) pour trouver une illustration de cet excès lectoral : Alonso Quijano lui-même est un représentant typique de ces humanistes qui, à force de lectures nuit et jour181, ont singé les Anciens182.

En ce sens, la critique cervantine du roman de chevalerie est aussi une critique de la lecture humaniste excessive : une critique, non pas de l’exemplarité, mais d’une forme dévoyée de celle-ci. Comme Michel de Montaigne en France, nombreux sont ceux qui, à l’époque, signalent les égarements de ce type et insistent pour distinguer l’exemplarité de sa déviance grotesque : l’imitation (Garin, 1968, p. 101-102).

L’IMITATION OBSOLÈTE

La « reproduction » quichottesque révèle un autre égarement, non plus lectoral, mais textuel. Si nous reprochions à Marthe Robert d’avoir mis en accusation le livre en général, c’est parce que l’imitation de don

181 GARIN (1968), p. 100 : « Voulez-vous devenir bon latiniste ? lisez jour et nuit les bons auteurs, apprenez leurs tournures, remâchez-les et ruminez-les jusqu’à ce que vous les ayez présents à la mémoire ».

182 Voir le dialogue Ciceronianus d’Erasme (ibid., p. 148-149).

Quichotte ne porte pas sur n’importe quel livre, mais essentiellement sur le roman de chevalerie. Son imitation, on s’en rend compte dans la séquence de la Sierra Morena, reste prisonnière de deux référents mythiques : Amadís de Gaula et Roland furieux. Ce n’est donc pas le genre épique qui est en cause dans la satire cervantine, mais plus précisément le caractère daté de ses représentants chevaleresques ou antiques.

L’épisode précédent nous en donne un parfait exemple, lorsque notre héros décide de communiquer avec sa bien aimée : « sería bueno, ya que no hay papel, que la escribiésemos, como hacían los antiguos, en hojas de árboles o en unas tablitas de cera, aunque tan dificultoso será hallarse eso ahora como el papel » (DQ I, 25, p. 282). Le choix final du papier, puis de l’écriture épistolaire réitèrent l’impression d’anachronisme, notamment sur le plan de l’elocutio (« la más alta cosa que jamás [ha]

oído » Sancho, p. 287). La technique amoureuse de don Quichotte plie sous le poids d’un archaïsme obsolète qui rend l’imitation chevaleresque inadaptée, pire, inadaptable, condamnée à la pure répétitivité.

À l’image d’un chevalier finissant, lui-même renvoyant, par ses armes à ses aïeux183, le « savoir-faire » chevaleresque et livresque s’enlise dans la reconduction de schèmes d’actions qui n’ont plus (ou tout simplement pas) d’efficacité. La différence entre la lecture d’un don Quichotte et celle d’un Juan Palomeque se joue, en effet, sur la notion d’actualité des modèles chevaleresques : « que no seré tan loco que me haga caballero andante, que bien veo que ahora no se usa lo que se usaba en aquel tiempo, cuando se dice que andaban por el mundo estos famosos caballeros » (DQ I, 32, p. 374). Le concept « aquel tiempo » dénonce la frontière désormais infranchissable entre la quotidienneté présente et des comportements chevaleresques reclus dans leur lointain passé.

La surprise du chevalier au manteau vert exprime la même idée, sur le mode interrogatif : « ¿Como y es posible que hay hoy caballeros andantes en el mundo, y que hay historias impresas de verdaderas caballerías ? » (DQ II, 16, p. 753)

183 « Y lo primero que hizo fue limpiar unas armas que habían sido de sus bisabuelos, que, todas de orín y llenas de moho, luengos siglos había que estaban puestas y olvidadas en un rincón » (p. 41).

Don Quichotte porte avec lui la bonne humeur liée à son âge. Son action imitative est sans gravité et fait sourire. Mais il en va tout autrement avec Cardenio, que don Quichotte et Sancho rencontrent entièrement nu, sautant de rocher en rocher (DQ I, 23, p. 255). L’Andalou est jeune et, à la différence d’Alonso Quijano, son désespoir ne semble en rien passager ou esthétisant. Il engage toute son existence, notamment sentimentale. Du chevalier vieillissant au jeune homme, il y a le même écart qu’entre les fesses découvertes du premier et la nudité totale du second. Au mode ludique qu’induit le premier, correspond la gravité du second, car la peine de l’Andalou est extrême, à l’image de son dénuement. Double de don Quichotte, Cardenio reproduit la situation d’Amadís abandonné par Oriane184 ; mais, pour lui, la décision de s’abandonner à la folie est aussi celle de rejoindre la mort (« con intención de acabar aquí la vida », p. 314). Plus qu’une simple expression, la volonté d’en finir rappelle la solution choisie par Grisóstomo, quelques chapitres plus haut.

Le désespoir d’Amadís ou des héros de la pastorale185 ne saurait donc se constituer en exemple pour Cervantès : il s’avère dangereux pour les jeunes gens, toujours portés au bord d’un ravin souvent fictionnel, mais parfois réel et mortel. Platon en était déjà convaincu :

le poète imitateur instaure dans l’âme individuelle de chacun une constitution politique mauvaise : il flatte la partie de l’âme qui est privée de réflexion […]. Ce n’est pourtant pas encore l’accusation la plus grave que nous formulerons contre la poésie. C’est en effet le mal qu’elle est en mesure de causer aux gens de valeur […] qui est pour ainsi dire le plus terrifiant […]. Quand les meilleurs d’entre nous entendent Homère ou quelque autre poète tragique imitant un de ces héros accablés par le malheur qui déclame une longue complainte mêlée de gémissements, ou quand on voit ces héros qui chantent en se frappant la poitrine, tu sais bien que nous éprouvons du plaisir et que nous nous laissons prendre à les suivre et à partager leur souffrance [… La] partie de l’âme que nous cherchions tantôt à contenir par la force, dans les circonstances de nos malheurs personnels […] est justement la

le poète imitateur instaure dans l’âme individuelle de chacun une constitution politique mauvaise : il flatte la partie de l’âme qui est privée de réflexion […]. Ce n’est pourtant pas encore l’accusation la plus grave que nous formulerons contre la poésie. C’est en effet le mal qu’elle est en mesure de causer aux gens de valeur […] qui est pour ainsi dire le plus terrifiant […]. Quand les meilleurs d’entre nous entendent Homère ou quelque autre poète tragique imitant un de ces héros accablés par le malheur qui déclame une longue complainte mêlée de gémissements, ou quand on voit ces héros qui chantent en se frappant la poitrine, tu sais bien que nous éprouvons du plaisir et que nous nous laissons prendre à les suivre et à partager leur souffrance [… La] partie de l’âme que nous cherchions tantôt à contenir par la force, dans les circonstances de nos malheurs personnels […] est justement la