• Aucun résultat trouvé

Chapitre V Les Saltésiens expriment-ils une provençalité à travers leur

5.2 L’espace du mangeable

5.2.1 Exclusion : ce qui n’est pas mangeable

Avant de savoir quels sont les aliments inclus dans l’espace du mangeable, j’examinerai les aliments qui en sont exclus.

À ma très grande surprise, les objets d’exclusion ne sont pas des ingrédients, des plats, des mélanges ou des textures. En effet, bien qu’une famille se dise « pas tentée », les cuisines considérées « exotiques » ne sont pas mises à l’index. Plutôt, on considéra peu les produits non saisonniers, provenant de loin, le manque de variété ainsi qu’une répugnance envers les plats pré-préparés.

L’exclusion la plus souvent nommée concerne les aliments qui ne sont « pas de saison. » À part les considérations écologiques mentionnées par une informatrice particulièrement sensibilisée, la raison invoquée pour une préférence saisonnière est gustative. Par contre, de l’aveu des informateurs, cette consommation saisonnière n’est pas systématique.

Anne, 43 ans, agricultrice : « En été je vais acheter des légumes de

saison. Tu vois par exemple en hiver, on va ne pas acheter des tomates. Parce que de toute façon, on sait très bien qu'en hiver, les tomates, elles vont venir d'où? Des pays chauds, ça sert à rien, c'est débile, ça va polluer. Il va y avoir du transport pour rien et plus en plus elles sont pas bonnes! »

Pauline, 56 ans, agricultrice :« Maintenant, on mange de tout, malgré

ce qu'on dise… moi je dis il faut pas manger des fruits et légumes hors saison, mais j'avoue qu'il m'arrive quelques fois dans l'année de voir des fruits et légumes hors saison et de dire "ha ben tiens" tu t'en payes une fois [...] comme les tomates que tu achètes au mois de février... en coupant les tomates tu as du regret de les avoir achetées! Parce qu’elles sont dures. Elles sont faites pour être voyagées et pour être vendues, mais elles ne sont pas faites pour être mangées. »

Le prochain extrait est issu d’une conversation entre Pauline originaire de la région et Nathalie, sa fille qui a été vivre dans le Sud-ouest. Il montre trois réalités : premièrement que le discours saisonnier est entretenu chez toutes les générations. Il semble, deuxièmement, que ce soit aussi un discours entretenu ailleurs en France, peut-être particulièrement chez les agriculteurs. Enfin, les fruits et légumes achetés hors-saison selon ces informatrices sont plutôt ceux d’origine « exotique ».

Pauline 56 ans et Nathalie, 37 ans, mère et fille :

«I : Dans le Sud-ouest, vous mangez pas mal de saisons?

N : Que de la saison, parce que moi j'achète rien à part les oranges P : Moi non plus je n’achète pas de légumes hors-saison.

N : Moi de toute façon, je n'achète presque rien. Mais je ne vais pas à Inter... moi j'ai mon boucher, et pour les légumes, pour ce qu'il me manque, je vais au marché.

I : Qu'est-ce que tu achètes quand tu achètes des légumes? N : Du céleri rave, de l'avocat, des pamplemousses, du citron.

P : Moi l'hiver, j'achète des oranges, des bananes, des citrons, des pamplemousses, des avocats. »

Les autres aliments ou plats peu considérés divergent ensuite d’une personne à l’autre. Une répondante me dira par exemple que lors d’un voyage en Angleterre ses hôtes avaient voulu lui faire plaisir en lui servant du café au lait le matin, car étant Française, il était pris pour acquis que c’était une de ces habitudes. Il est vrai que seuls deux journaux alimentaires font mention de café au lait le matin. Tous les autres ne mélangent jamais les deux boissons.

Cette même informatrice m’a fait mention du peu de variété alimentaire lors d’un passage en Hollande où elle dit avoir mangé du poulet plusieurs jours d’affilée. Ce désir de variation est aussi traduit dans les journaux où l’on voit une très grande variété de consommation des catégories fruits- légumes et viandes-œuf-poissons.

Deux informateurs ont manifesté leur appréhension face aux plats pré- préparés. Cette appréhension semble assez partagée car les informateurs me disent apporter au moins un minimum leur touche personnelle, lorsqu’ils mangent des plats en conserves (lentilles, petits pois, etc.) De plus même les informatrices qui mangent au travail ne mangent jamais de sandwich. Une autre anecdote de terrain me montre à quel point les gaffes de l’ethnologue sont révélatrices. Lors de ce repas de remerciement, le filtre du café que j’avais servi avait été parfumé malencontreusement d’essence de lavande. J’ai dû refaire du café, car, l’odeur de la lavande dans le café a, à coup de grands éclats de rire, répugné tous les invités, pour la majorité, des lavandiculteurs.

Il est à noter qu’à part deux familles ne buvant pas de lait de vache pour des questions médicales, aucun des informateurs n’a invoqué d’argument ni

diététique, ni nutritionnel, sauf pour un élément : les gras de cuisine dont le choix ainsi que l’utilisation des gras sont des sujets très discutés où règnent peu de consensus.

À part une famille utilisant un argument régionaliste qui explique aimer plutôt la cuisine « de chez eux », l’argument principal d'exclusion est le dégoût. D’autres arguments tels que la saisonnalité, la provenance, le manque de variété et la préparation industrielle des plats sont aussi mis de l’avant lorsqu’il s’agit d’exclure un aliment. Voyons maintenant ce que les informateurs et informatrices considèrent comme étant de l’ordre du mangeable.