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PARTIE 2 : à la mise en scène de la marionnette

C) Une première séance particulière : la présentation des marionnettes

II- Quand Jeanne et Régis deviennent marionnettistes

3- Evolution dans le jeu

Pour sa première scène, la rencontre, Jeanne a choisi de jouer avec moi. C’est elle qui a imaginé le contexte de la rencontre : nous ne nous connaissons pas et nous nous croisons au marché.

Nous nous dirigeons toutes les deux dans les coulisses. Dans le silence, Jeanne prend avec soin sa marionnette, glisse ses doigts de la main droite dans le cou, la recoiffe un peu et dit haut et fort qu’elle est prête. Le triangle raisonne. Nos marionnettes entrent sur scène, se placent côte à côte, les visages orientées vers les spectateurs. C’est mon personnage qui commence à parler ; Jeanne oriente alors le regard de sa marionnette vers la mienne : « Bonjour Madame, vous avez acheté ces tomates ?

- Non, je les regarde seulement et je les trouve très belles ! Il y a beaucoup de couleurs ici. C’est pour ça que j’aime venir. Et vous, qu’allez-vous acheter ?

[...]

- J’aime beaucoup ce pantalon ! Je vais l’essayer, dit Nina. - Vous voulez que je vous accompagne ?

- Oh oui merci, c’est très gentil ! »

Derrière le Castelet, nous nous échangeons un regard et nous baissons lentement nos marionnettes, simultanément, jusqu’à ce qu’elles disparaissent de la vue des spectateurs. Nous retournons dans les coulisses. Jeanne repose sa marionnette et me regarde en souriant.

Pendant tout ce temps de jeu, son hoquet et ses tremblements ont disparu. La voix est faible au niveau du volume mais elle est posée. Jeanne module correctement son intonation en fonction des phrases exclamatives, affirmatives ou interrogatives qu’elle prononce.

38 Alors que je commence le dialogue par une question fermée pour ne pas la mettre en difficulté, elle enrichit la conversation en donnant des détails tout à fait adaptés et en me questionnant. Elle prend des initiatives pour relancer et diversifier la situation.

Alors que derrière le castelet elle fixe tout le long de la scène sa marionnette et jette de temps en temps un regard sur la mienne, au moment où la fin approche, elle me regarde afin que nous nous ajustions ensemble pour faire disparaître les marionnettes.

Elle dira après ce premier passage que c’était un peu difficile pour elle au début, qu’elle avait « le trac » mais qu’elle s’est ensuite très rapidement sentie à l’aise et prise au jeu.

Au thème de la dispute, Jeanne a choisi de jouer avec Louise et elles ont construit ensemble le scénario : alors que les deux personnages sont au supermarché, Caroline accuse Nina d’avoir volé des pommes, ce qui déclenche une dispute. Les deux personnages se défendent beaucoup, Nina parle très fort, nie et insulte l’accusatrice de « petite garce » et de « menteuse ». Les deux personnages restent sur leur position jusqu’à ce que le triangle sonne. On entend rire Louise et Jeanne dans les coulisses.

Au thème des retrouvailles, que les patients avaient décidé de jouer à trois, Jeanne a été en difficulté: son personnage Nina s’est fait bien plus discret. Nous n’avons quasiment pas entendu le son de sa voix. Elle a expliqué ensuite très justement que ça avait été « impossible de trouver sa place », d’autant plus que les autres personnages étaient « excentriques ».

Pour le thème de la séduction, Jeanne a joué avec Jean. Comme il avait déjà été séducteur, il devait maintenant jouer le séduit. Jeanne, un petit sourire aux lèvres, semble amusée de la situation mais quand même un peu sceptique. Jeanne a proposé le scénario que Jean a confirmé : alors que Nina se promène, elle croise Gustave à côté de son taxi qui attend des clients. Elle l’accoste…Bien que Gustave dise qu’il n’est pas intéressé, travaille et ne veut pas mélanger vie privée et vie professionnelle, Jeanne persévère, de façon très amusante. Ils ont tous les deux très bien joué leur rôle respectif.

Dès la deuxième séance de jeu, Jeanne rejoignait l’ensemble du groupe à l’approche de l’heure du début de séance. Nous n’avions plus besoin d’aller la chercher. C’est elle qui me tendait la main pour me dire bonjour et serrait la mienne bien plus fermement.

Jeanne a su bien s’adapter à quasiment chaque thème, à chaque situation et à tous ses partenaires de jeu (elle n’a joué qu’une seule fois avec moi). Elle a su transmettre par la voix de nombreuses émotions : la tristesse, la colère, l’incompréhension ou encore l’encouragement.

39 En tant que spectatrice, elle a su reconnaître les émotions chez autrui en les citant et en expliquant comment elle les avait perçues, de façon très juste et très précise : « Il avait l’air désespéré, sa voix tremblait, il s’est mis à genoux pour la supplier de ne pas partir. Ça m’a rendu triste », « il avait peur, il parlait vite et sa voix était plus aiguë que d’habitude ! ».

Lorsqu’on lui a fait remarquer que souvent on ne voyait presque pas sa marionnette, elle a répondu « c’est parce que j’oublie la présence des spectateurs, il y a trop de choses à penser ».

Jeanne n’a jamais été volontaire pour jouer et a toujours montré de l’angoisse en attendant son tour, angoisse qui disparaissait dès qu’elle jouait Nina.

Le jour du visionnage des vidéos, elle dit être « contente » de savoir qu’elle va voir les scènes et réagit et commente lorsqu’elle se reconnaît : « C’est moi ! », « On ne voit pas

Nina, mais on l’entend ! ». Elle ne détourne pas le regard de l’écran.

B) Régis