5. Economie internationale: surveiller la compétitivité externe, faire face aux chocs
5.1 Evaluation du taux de change d'équilibre: le Paraguay doit-il freiner l'appréciation du
Le niveau du taux de change est une variable économique importante pour la politique
économique même si souvent au delà du contrôle direct des autorités. Une appréciation
du taux de change joue ainsi un rôle récessif sur l'économie, en pénalisant le secteur
exportateur et en favorisant les importations et peut ainsi annuler l'impact d'une politique
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monétaire ou budgétaire expansionniste. Si la banque centrale essaie de ralentir une
appréciation qu'elle juge injustifiée, sa politique d'intervention sur le marché des changes
a aussi un coût quasi-budgétaire important en raison du coût de stérilisation des réserves
de change.
En 2007, le Paraguay était confronté à une situation de ce type, avec une appréciation du
taux de change effectif réel de 35% par rapport au niveau quatre ans auparavant. Dans un
article avec Bergljot Barkbu
28, nous explorons si l'appréciation du taux de change
s'explique par ses déterminants économiques fondamentaux ou non. L'article est une
application pour le Paraguay d'une méthodologie développée par le FMI (2006) qui
propose une suite de modèles pour diagnostiquer la sur-évaluation ou la sous-évaluation
d'un niveau de taux de change. L'objectif du diagnostic ne concerne pas uniquement
l'impact du taux de change sur une économie donné, mais aussi, dans un contexte de
coordination internationale, vise à déterminer si ce pays pratique une manipulation des
changes au détriment de ses partenaires et compétiteurs en matière de commerce
international
29.
L'originalité de l'article consiste principalement dans la discussion de la pertinence de
l'application d'une méthodologie à un cas spécifique. L'article présente plusieurs points
communs avec certains des articles présentés précédemment, notamment avec un effort
pour construire plusieurs indicateurs du taux de change réel (comme précédemment avec
les travaux sur l'inflation ou sur la politique budgétaire) et une discussion de la
28
B. Barkbu et B. Monfort, "Is the exchange rate in paraguay overvalued?", 2009, publié comme chapitre du livre Paraguay: Addressing the Stagnation and Instability Trap, Alejandro Santos (éditeur), Fonds Monétaire International. Travail présenté lors d'un séminaire interne à la Banque centrale du Paraguay (BCP).
29
Le mandat du FMI en matière de surveillance des taux de change est une des fonctions historiques du FMI. Dans le contexte qui a suivi la fin du système de Bretton Woods, le FMI par une décision de 1977, amendée en 2007, est amené à faire un suivi des manipulations de change (pour déprécier artificiellement une monnaie), des interventions de change (pour réduire la volatilité du change), de la coordination entre pays et de la soutenabilité du taux de change. La méthodologie mise en oeuvre dans l'article est celle appelée CGER (Consultative Group on Exchange Rate Issues). Elle a été depuis amendée en 2013 par une nouvelle méthodologie appelée EBA (External Balance Assessment) cf. FMI (2006) et FMI (2013).
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persistance de certains phénomènes, en l'occurrence le faible niveau du change pendant
une période de cinq ans au début des années 2000 (comme précédemment pour la
discussion de la décennie perdue japonaise).
L'étude porte sur la période 1991-2007, une période caractérisée par un système de
change dit de "parité à crémaillère" avec des ajustements périodiques du change par
rapport à un panier de monnaies, par opposition aux périodes de change libre ou de
"chute libre", selon l'expression de Reinhart et Rogoff (2002), sur la période 1981-1991.
Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour apprécier le niveau d'un taux de change.
Les deux méthodes statistiques s'intéressent à l'évolution du taux de change réel par
rapport à un niveau historique, censé refléter à long-terme la loi du prix unique ou
indirectement, aux résultats du secteur exportateur et aux parts de marché d'un pays sur
les marchés mondiaux. Les deux méthodes économétriques cherchent à déterminer les
déviations du taux de change réel et du solde courant de la balance des paiements par
rapport à des normes déterminées par des modèles estimés.
Le taux de change effectif réel (TCER) est une somme pondérée de taux de changes réels
par rapport aux principaux partenaires et compétiteurs commerciaux: les indicateurs
peuvent varier selon la pondération des pays partenaires ou selon l'indicateur de prix
utilisé (inflation, inflation sous-jacente, coût salarial unitaire, déflateur du PIB). Les
différents indicateurs disponibles pour le Paraguay donnent des TCER relativement
proches. Le TCER en 2007 était proche de son niveau moyen historique tandis que la
performance du secteur exportateur était relativement bonne, en dépit de l'appréciation du
change. Le solde courant enregistre aussi des excédent sur la seconde moitié de la période
d'étude, malgré l'appréciation du change (graphique 25).
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Graphique 25: Paraguay - Taux de change effectif réel et solde extérieur courant
Un premier modèle économétrique cherche à estimer un taux de change d'équilibre,
calculé comme le taux de change déterminé par les déterminants fondamentaux du taux
de change. Plusieurs variables ont tendance à conduire à une appréciation du taux de
change réel: les termes de l'échange conduisent à une augmentation des réserves en
devises ou des dépenses nationales plus élevés; les gains relatifs de productivité, qui
capturent l'effet Balassa-Samuelson. conduisent à une augmentation du prix des produits
non-échangeables; enfin les actifs étrangers nets conduisent aussi à une appréciation via
un effet richesse. Par contre, une plus grande ouverture commerciale conduit à une plus
grande compétition des biens échangeables et donc une baisse des prix, tandis qu'une
réduction des flux de capitaux, qui se traduit par une amélioration du solde courant,
conduisent à une baisse de la demande pour les biens non-échangeables. Le signe du
déficit public est incertain, selon que les dépenses publiques soient dirigées
majoritairement vers des postes non-échangeables (masse salariale) ou échangeables
(certaines dépenses d'investissement par exemple). La faiblesse du coefficient de la
relation de long-terme suggère aussi que les déviations sont durables.
L'article discute deux difficultés principales de l'estimation. L'une est liée à la fragilité
courante des modèles de change d'équilibre, les variables n'étant pas significatives ou
avec le signe prédit par la théorie, même si le modèle capture généralement correctement
l'impact des termes de l'échange, l'effet Balassa-Samuelson et l'impact du compte courant.
L'autre difficulté est liée au choix de la période d'estimation: par construction, un modèle
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VAR cointégré comme étudié dans l'étude interprète la valeur de long-terme comme la
variable moyenne estimée
30. Pour la période 2002-2005, la sous-évaluation du taux de
change est liée en partie au sentiment pessimiste des marchés, capturé par exemple par le
spread sur les obligations publiques dans les pays émergents, ou la tendance presque
systématique à sous-estimer les perspectives de croissance au Paraguay ou en Argentine.
Le modèle estimé sur la période complète suggère qu'en 2007 le taux de change était
sur-évalué de près de 15%. Le modèle estimé sur une période plus courte, qui exclut la
persistance d'un sentiment négatif sur ces pays, prédit par contre une sur-évaluation de
seulement 4%, dans la marge d'erreur du modèle (tableau 3).
Un deuxième modèle applique une méthodologie similaire au solde courant, déterminé à
la fois comme équilibre externe mesuré par le compte courant et équilibre interne mesuré
par l'écart entre l'investissement et l'épargne. Le modèle prend en compte spécifiquement
les flux de ressources liés aux deux barrages d'Itaipú
31et de Yacyretá ("binacionales").
Selon le choix de l'estimation, le taux de change réel est soit proche du nouveau
d'équilibre, soit surévalué.
30
Une estimation sur données de panel avec plusieurs pays, comme fait par le CGER (IMF, 2006), permettrait d'éliminer certains de ces biais, mais au prix d'une perte d'information sur le pays (poids spécifique des échanges extérieurs ou composition de la demande publique).
31
Au moment de la rédaction de l'article, le barrage d'Itaipú était le premier barrage hydroélectrique du monde en terme de capacité de génération électrique. Il est depuis 2013 dépassé par le Barrage des trois gorges en Chine. Il produit 15% de la consommation électrique du Brésil et 75% de celle du Paraguay. Les flux de revenus liés au barrage (paiements en devise par le Brésil) sont de l'ordre de 3 à 7% du PIB.