CHAPITRE I : SYNTHÈSE ET RÉACTIVITÉ DES SUPER-NUCLÉOPHILES
II. L’échelle de réactivité de Mayr
3. Evaluation de la réactivité des pyridines par les benzhydryliums
a) Cinétique : la nucléophilicité (N)
Face à l’émergence de nouveaux catalyseurs dérivés de le DMAP (cf précédente partie), la
rationalisation de la relation structure-réactivité de ces bases de Lewis est apparue comme
essentielle afin d’en tirer profit en organocatalyse. Les études cinétiques menées avec les ions
benzhydrylium ont permis d’établir le paramètre N de bon nombre de super-nucléophiles (Figure 13).
Figure 13. Echelle de nucléophilicité d’une sélection de bases de Lewis
Connaissant la nucléophilicité, il est désormais possible de prédire les vitesses relatives
d’attaque de ses catalyseurs sur un substrat. En revanche, quant est-il de la réversibilité de ce
processus ? Bien que Mayr ait également établit les échelles de nucléofugacité (N
f) et
d’électrofugacité (E
f) permettant de calculer la vitesse de dissociation d’un couple groupe
partant/benzhydrylium, la coexistence de ces deux phénomènes n’avait cependant pas été étudiée.
Or, dans le cas d’une activation nucléophile par des bases de Lewis, il est important de pouvoir
prédire la proportion espèces liées (substrat-catalyseur) /espèces libres existante. Cette information
permettrait d’estimer la concentration d’entités « activées », paramètre clé dans l’efficacité d’un
cycle catalytique.
C’est dans ce contexte que d’autres investigations, thermodynamiques cette fois-ci, furent
également conduites afin de caractériser davantage ces composés. En employant la même stratégie
utilisée pour la construction des échelles de nucléophilicité et d’électrophilicité, deux paramètres
thermodynamiques furent introduits : LB quantifiant la basicité de Lewis et LA l’acidité de Lewis
(Équation 2).
Équation 2 Log K (20°C) = LA + LB avec K = (2)
Z
Y
+
N
R (k
a)
(k
d)
Z
Y
N
R
Adduit de Lewis
incolor e
Base de Lewis
(ex : pyridine)
incolor e
Acide de Lewis
(ion benhydrylium)
color é
K
Schéma 20. Réactions entre dérivés pyridines et benzhydryliums
Tirant profit de la large gamme d’électrophiles de référence à sa disposition, Mayr étudia entre
autres le couple benzhydrylium/pyridines (Schéma 20). Comme précédemment, la valeur LA fut fixée
à 0 pour l’ion (4-OMeC
6H
4)
2CH
+permettant ainsi de construire les deux échelles (LA et LB) par
quantification de l’ion benzhydrylium résiduel à l’équilibre. Des pyridines diversement substituées
furent utilisée afin d’observer l’influence que du paramètre de Hammett σ (du substituant R) sur la
basicité de Lewis de la pyridine (Figure 14).
R CF
3PhCO H Ph t-Bu Me OMe NMe
2σ (para) 0.54 0.43 0 -0.01 -0.2 -0.17 -0.27 -0.83
LB 9 10.49 11.82 12.12 12.71 12.8 13.41 17.13
Figure 14. Corrélation entre le paramètre σ des groupements de la pyridine et leur basicité de Lewis
On constate, sans surprise, que plus le groupement est donneur (σ négatif), plus le paramètre LB
augmente. Cela signifie que l’enrichissement du noyau aromatique accroît substantiellement la
stabilité thermodynamique de l’adduit de Lewis (Figure 14).
b) Thermodynamique : Basicité de Lewis (LB et MCA)
Un calcul ab initio a été réalisé afin de non seulement confirmer l’effet observé mais
également, de quantifier l’énergie apportée par cette stabilisation. Cette modélisation met en jeu
l’attaque d’une pyridine sur un électrophile simple : un cation méthyle (Schéma 21).
Schéma 21. Réaction modèle pour le calcul du MCA
Le calcul de l’enthalpie de la réaction donne l’énergie nécessaire pour rompre la liaison N-CH
3du pyridinium formé. Appelée Affinité pour le Cation Méthyle (en anglais : MCA), ces calculs ont
permis de comparer les différentes énergies obtenues pour diverses bases de Lewis (MCA, Tableau
1). De plus, cette méthode permet une évaluation plus rapide des basicités de Lewis que par la
mesure expérimentale du LB.
N N N OMe N Me N t-Bu N Ph N N O Ph N CF3Tableau 1. Paramètres N et LB de différentes bases de Lewis
Bases
de Lewis PPh
3N 14.9 14.99 17.69 11.9 14.33
LB 17.13 17.39 17.75 15.14 14.72
MCA (kcal/mol) 581.2 590.1 636.8 550.0 618.7
Dans la série des pyridines, il est à noter que l’apport électronique du/des groupement(s)
aminé(s) contribue à augmenter à la fois leur nucléophilicité et leur basicité de Lewis. On remarque
également que la présence d’une amine cyclique plutôt qu’aliphatique leur confère de meilleures
propriétés cinétiques (N) et thermodynamiques (LB et MCA). Cherchant à relier ses paramètres entre
eux, nous avons tracé les deux graphes ci-dessous. Il est à noter qu’aucune corrélation ne semble
exister entre la nucléophilicité N et la basicité de Lewis LB (gauche,Figure 15). Le paramètre LB et le
MCA donnent accès à la basicité de Lewis d’un composé : l’un par une valeur relative obtenue
empiriquement (LB) et l’autre par une valeur d’énergie obtenu par le calcul théorique (droite, Figure
15). Lorsque le graphe reliant ces deux outils est tracé, on observe, hormis pour PPh
3, qu’il existe une
corrélation non-linéaire entre eux. Bien que le MCA ne cesse de croître, la valeur de LB semble
tendre vers une valeur limite.
Figure 15.Comparaison N vs LB et LB vs MCA
c) Corrélation structure-réactivité: Cinétique versus
thermodynamique
En première approche, on pourrait relier cet effet à la pyramidalisation de l’atome d’azote
exocyclique ainsi qu’à la distance C-N (distance entre le carbone situé en position 4 de la pyridine et
l’azote auquel il est lié). Dans le cas des pyridines (poly)cycliques, la contrainte apportée par un ou
plusieurs cycles contribuerait à diminuer la pyramidalisation de l’azote ainsi que la distance C-N. Le
meilleur alignement orbitalaire entre le doublet non-liant de l’azote et du système π de la pyridine
induit par cet effet pourrait expliquer les différences existantes entre ces composés. Cependant, des
études réalisées par l’équipe de Zipse ne montrent aucune corrélation entre la distance
C-N/pyramidalisation de l’azote et les propriétés cinétiques et thermodynamiques de ces catalyseurs
(Figure 16, Tableau 2).
Figure 16. Structures des super-pyridines 1.4, 1.30 et 1.10 par diffraction des rayons X
Tableau 2. Comparaison Structure RX / Structures calculées pour les super-pyridines
1.4 1.30 1.10
d
C-N/ppm d
(abcd)d
C-N/ppm d
(abcd)d
C-N/ppm d
(abcd)Structure RX 137.5 12.7° 137.3 1.0° 137.7 11.4°
Meilleur
conformère* 138.8 12.9° 139.4 2.1° 140.4 21.1°
*calculé par une méthode : MP2/6-31+G(2d,p)//B98/6-31G(d) solvatation dans le chloroforme
En revanche, dans le cadre d’études sur l’acylation d’alcools, des calculs effectués par Mayr,
ont montrés le raccourcissement de la liaison C-N de la DMAP lorsque celle-ci forme un adduit avec
un acylium (Figure 17). Il semblerait donc que les caractéristiques structurales du catalyseur
interviennent lors de la formation de l’intermédiaire réactionnel. Cette information nous permet de
conclure quant à la contribution de la distance C-N dans la stabilisation de l’état de transition (LB et
MCA). En revanche, cette étude nous laisse sans explications quant à la hiérarchisation des
nucléophilicités de catalyseurs.
Figure 17. Calculs ab initio modélisant la variation de structure de la DMAP après addition sur un
benzhydrylium
La comparaison avec d’autres bases de Lewis utilisées en catalyse comme le N
-méthylimidazole ou la triphénylphosphine montre une nette différence en termes de réactivité
(Tableau 1). Bien que la phosphine possède une nucléophilicité proche des DMAP et PPY, sa basicité
de Lewis est moindre. L’imidazole, quant à lui, apparait comme une base de Lewis plus faible.
L’ensemble de ces paramètres établis par Mayr et Zipse ont permis de cartographier la réactivité de
nombreux catalyseurs utilisés en synthèse organique (Figure18).
L’étude de la réactivité des super-pyridines a montré l’impact de substituants électrodonneurs sur
les paramètres caractérisant ces composés. Le domaine de l’organocatalyse regorge d’exemples
montrant l’activation de substrats par interactions non-covalentes : liaisons hydrogènes, paires d’ions
ou encore π-stacking. En revanche, aucun groupe ne s’est encore intéressé à l’impact de telles
interactions sur la réactivité d’un catalyseur. Face à cette absence d’information, nous avons décidé
d’étudier l’influence d’un π-stacking sur la nucléophilicité d’une pyridine.
III. Quantification de l’effet d’un π-stacking sur la nucléophilicité des
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Innovation en organocatalyse : réactivité, céthodologie et chimie supramoléculaire
(Page 29-35)