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Etudier les communautés virtuelles : le point de vue des sciences sociales

CHAPITRE 3 – MÉTHODES

2. Etudier les communautés virtuelles : le point de vue des sciences sociales

Pour étudier les communautés virtuelles, les chercheurs en sciences humaines ont recours à différentes méthodes quantitatives ou qualitatives. Très souvent, après avoir délimité les questions de recherche et construit une grille d’analyse, ils s’attachent à détecter, dans les conversations textuelles, des indices manifestes ou latents qui leur permettraient de répondre à leurs questions.

Cependant, la recherche sur la Communication Médiatisée par Ordinateur (CMO), qui intéresse de nombreuses disciplines, est confrontée à plusieurs défis, comme en témoignent Rourke, Anderson, Garrison et Archer (2000) ainsi que Henri et Pudelko (2002). Selon ces dernières, l’histoire de la recherche sur la CMO en éducation montre que beaucoup de chercheurs se sont focalisés

davantage sur les outils techniques utilisés plutôt que sur les « considérations théoriques pouvant justifier l’utilisation de ces outils » (p. 13), ce qui a eu pour conséquence que les recherches ont été fort peu capitalisées et que les chercheurs

« redécouvraient » la CMO à chaque fois que l’outil changeait. Actuellement, Henri et Pudelko (2002) considèrent que trois types de questionnements s’interpénètrent dans la recherche dans ce domaine : les outils ou moyens de communication, les usages de ces outils et les usagers. En ce qui concerne les méthodes utilisées, les recherches en éducation s’inspirent très largement des sciences sociales, notamment la sociologie et les sciences de la communication.

C’est pourquoi je propose de réaliser un détour par ces sciences.

En sociologie et en sciences de la communication, un large courant de recherches porte sur l’étude des réseaux sociaux, définis par Garton, Haythornthwaite et Wellman (1997, p. 2) comme « un groupe de personnes (ou d’organisations ou d’autres entités sociales) connectées par des relations sociales telles que l’amitié, les relations de travail ou l’échange d’informations ». Ce courant s’attache à observer les patterns d’interactions entre les membres de réseaux sociaux pour essayer de déterminer les flux d’informations, l’acquisition d’informations par les individus ou les coalitions et clivages qui s’opèrent entre des groupes de personnes. Deux approches différentes animent ce mouvement : l’une centrée sur l’individu (ego-centric ou personal networks) et l’autre centrée sur le réseau (whole network). La première approche s’intéresse à l’individu en tant que membre d’un ou de plusieurs réseau(x) en décrivant le nombre, la diversité et la nature de ses relations. Garton, Haythornthwaite et Wellman (1997, p. 7) citent en exemple des recherches portant sur le sentiment d’appartenance à une communauté chez des citoyens de grandes villes, sur la façon dont des demandeurs d’emploi récoltent dans leur entourage des informations à propos de postes vacants ou sur les stratégies de recherche d’informations de femmes désirant interrompre volontairement leur grossesse.

La seconde approche s’intéresse au réseau dans son ensemble et étudie, à travers l’analyse des sociogrammes, la façon dont les ressources échangées circulent à l’intérieur du réseau, comment les interactions positionnent les individus dans le réseau, quels sont leurs rôles dans le réseau (par exemple, rôle central ou participation périphérique). Cette approche est surtout utilisée pour étudier les petits groupes et les liens qui unissent leurs membres.

Selon que le chercheur adopte l’une ou l’autre de ces approches, la méthodologie utilisée sera différente, que ce soit pour constituer un échantillon, pour collecter les données ou pour analyser celles-ci.

Dans l’approche centrée sur l’individu, l’échantillon de départ peut être relativement restreint. Cela se résume parfois à une seule personne dont on essaye d’analyser l’ensemble des relations sociales parmi différents réseaux auxquels elle appartient. On a parfois recours aussi à l’échantillonnage raisonné ou à l’échantillonnage en cascade contrastée (Van der Maren, 1995, p. 324) dont le principe est de choisir plusieurs personnes selon certains critères préétablis.

Ces personnes sont invitées ensuite à désigner elles-mêmes d’autres personnes de leur entourage qui correspondent à ces critères (par exemple pour étudier le

réseau formé par les habitués d’un lieu public comme un musée ou un dancing).

Dans l’approche centrée sur le réseau, l’échantillon comprend souvent l’ensemble des membres d’un groupe restreint (par exemple une équipe d’ouvriers travaillant sur une même chaîne de montage ou les enseignants d’une école).

Dans chacun de ces deux courants, les techniques de collecte de données privilégiées sont les questionnaires, les interviews, les carnets de bord ou les observations (Garton, Haythornthwaite et Wellman, 1997), essentiellement pour évaluer la quantité et la nature des liens qu’un individu entretient avec d’autres personnes. Souvent, une combinaison de plusieurs de ces techniques est requise pour améliorer la validité et la précision de l’étude : les représentations personnelles d’individus collectées par interview sont par exemple mises en relation avec des observations sur le terrain. De même, dans le cas des communautés virtuelles, des données textuelles parfois très conséquentes peuvent être facilement collectées et même analysées systématiquement avec un logiciel d’analyse de contenu. Cependant, la fiabilité de ces grandes quantités de données est parfois mise en doute dans la mesure où des problèmes de collecte (origine des textes), de gestion ou d’interprétation peuvent se poser, sans parler des questions éthiques liées au traitement de données personnelles. Les chercheurs croisent alors souvent leurs analyses avec des réponses à des questionnaires individuels.

En ce qui concerne l’analyse des données, puisqu’il s’agit le plus souvent de quantifier les liens existant entre des personnes, les méthodes statistiques sont largement utilisées. Dans l’approche centrée sur l’individu, cela permet de constater avec une certaine précision quelles sont les personnes situées « au centre » de réseaux sociaux ou par exemple les origines des informations reçues et échangées par les individus. Dans l’approche centrée sur le réseau, le nombre restreint de sujets permet de construire des sociogrammes précis ou des matrices d’interactions pour déterminer les nœuds de communication au sein d’un groupe.

Plusieurs sociogrammes successifs peuvent être établis au fil du temps pour un même groupe et donner ainsi une vision globale de l’évolution du fonctionnement de ce groupe.

En ce qui concerne plus spécifiquement l’étude des communautés virtuelles, deux concepts clés structurent et focalisent autour d’eux la plupart des questions de recherche : l’utilisabilité et la sociabilité (Preece, 2001 ; Lazar et Preece, 2002). L’utilisabilité concerne les technologies utilisées par la communauté : leur ergonomie, leur facilité d’utilisation, leur contrôlabilité, leur productivité… La sociabilité concerne le fonctionnement de la communauté : les règles organisant les interactions sociales, la convivialité, l’engagement des participants, la régulation par un modérateur, la sécurité des membres…

Utilisabilité et sociabilité constituent les deux pôles sur lesquels se fondent les communautés virtuelles. En étudiant ces deux concepts et les relations qu’ils entretiennent ensemble, il est possible de déterminer des conditions d’efficacité des communautés ainsi que des enseignements pour leur conception. Pour en mesurer l’impact sur les usagers des communautés virtuelles, Preece (2001) propose plusieurs méthodes complémentaires : les enquêtes par questionnaire électronique, l’analyse quantitative des messages échangés et la méthode

ethnographique. Preece et Maloney-Krichmar (2003) citent en exemple la participation de personnes souffrant d’une maladie (diabète, cancer…) à des communautés virtuelles de patients où ceux-ci peuvent discuter de leurs souffrances et trouver des informations pour vivre avec leur maladie au quotidien. Des enquêtes par questionnaire peuvent être menées auprès de ces patients pour connaître de façon générale les raisons qui les poussent à participer, ce qu’ils en retirent, la façon dont ils traitent les informations reçues, la façon dont ils perçoivent les autres à distance… L’analyse des contenus des messages peut permettre parallèlement de catégoriser les types d’échanges et de déterminer par exemple la part d’informations médicales échangées des messages d’encouragement et d’empathie. La méthode ethnographique, quant à elle, permet de décrire l’évolution de la communauté au cours du temps : ses règles implicites, la façon dont les échanges sont régulés…

3. Approches quantitatives pour l’étude des communautés virtuelles en