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Partie II : Approche neurocognitive de l'état de stress post-traumatique

B. Etudes en imagerie fonctionnelle

Les études d’imagerie fonctionnelle sur l’hippocampe ont montré ses implications dans l’évaluation de nouveaux stimuli, la mémoire épisodique et l’intégration de l’expérience au niveau temporo-spatial.

Lors du rappel d’un souvenir traumatique, les études par TEP montrent une augmentation de la circulation cérébrale dans les structures limbiques et paralimbiques de

l’hémisphère droit, comprenant le cortex orbito-frontal médial, le gyrus cingulaire antérieur, l’insula et le cortex antérieur et médial temporal, ainsi que l’amygdale. Une augmentation de la vascularisation est également notée dans le cortex visuel secondaire, possiblement en lien avec la revisualisation du traumatisme (177). Au contraire, il existe une diminution de la perfusion cérébrale au niveau du cortex frontal inférieur gauche (au niveau de l’aire du langage de Broca) et du cortex temporal moyen gauche, suggérant une diminution des capacités cognitives liées au langage et des difficultés à mettre des mots sur le traumatisme lors des reviviscences (34; 177).

D’autres études retrouvent lors de la provocation de symptômes chez des patients présentant un ESPT une activité cérébrale globalement diminuée, avec une hypoactivité des cortex préfrontal dorsal, occipital et temporal, du gyrus cingulaire antérieur et de l’hippocampe ; au contraire, l’amygdale et le noyau accumbens sont hyperactivés (167). L’activation supérieure de l’amygdale chez des patients présentant un ESPT a également été montrée grâce à l’IRM fonctionnelle lors d’une stimulation par des images de visages apeurés. Parallèlement à cette réponse augmentée dans l’amygdale, une diminution de l’activation du cortex préfrontal médian a été retrouvée chez des patients ESPT auxquels on présentait des images effrayantes mais non reliées au trauma (152).

Les patients souffrant d’un ESPT seraient incapables de traiter les informations ayant une forte charge émotionnelle. Ils tenteraient d’utiliser la cognition pour traiter ces informations, avec en quelque sorte une « cognitivisation des informations émotionnelles » (167). Shin et coll.(151) , en utilisant l’emotional counting Stroop (version du test de Stroop utilisant des mots à tonalité émotionnelle) auprès de vétérans du Viêt-Nam avec et sans ESPT, retrouvent un défaut d’activation du cortex cingulaire ventral chez les patients présentant un ESPT, alors que la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur était plus activée chez ces patients. Or comme nous l’avons vu, la partie ventrale du cortex cingulaire antérieur est impliquée dans le traitement « automatique » de l’information émotionnelle, et la partie dorsale dans la régulation de l’état affectif, soit l’aspect cognitif.

IV. Neuroendocrinologie et neurotoxicité

Les troubles de l’axe corticotrope, axe de la réponse au stress impliqué dans les phénomènes de mémorisation émotionnelle, sont les plus décrits dans l’ESPT (182). En situation de stress, le CRH (Corticotropin Releasing Hormone) est secrété par l’hypothalamus et stimule la sécrétion d’ACTH (hormone adrénocorticotrope) par l’hypophyse. L’ACTH stimule par voie sanguine la libération de cortisol par la glande surrénale. La région CA3 de l’hippocampe est impliquée dans la régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, un niveau élevé de glucocorticoïdes provoquant un mécanisme de rétrocontrôle négatif par inhibition de l’hippocampe sur l’axe du stress. Or un taux élevé et chronique de glucocorticoïdes (stress chronique) entraîne une atrophie hippocampique par toxicité cellulaire (177).

Les cortisolémies et cortisoluries de 24 heures ont pourtant souvent été retrouvées diminuées dans l’ESPT (182) et il existe également un rétrocontrôle négatif très puissant lors du test à la dexaméthasone (tests de freinage) chez les patients atteints d’ESPT, avec hypersensibilité de l’axe corticotrope. Ceci est expliqué par une hypersensibilité des récepteurs centraux aux corticoïdes, potentialisant le rétrocontrôle négatif du cortisol.

La neurotoxicité dans l’ESPT est un champ d’intérêt croissant ces dernières années, les recherches dans cette voie ayant pour but une meilleure compréhension étiopathogénique du trouble et le développement de traitements chimiothérapiques. Deux voies sont particulièrement explorées, la piste catécholaminergique et la piste glutamatergique (166).

Le locus coeruleus impliqué dans les réactions d’alerte, la vigilance, déclenche lorsqu’il est activé une hypersécrétion noradrénergique dans de nombreuses régions corticales et sous corticales (cf. fig.9). Lors d’un traumatisme et dans ses suites immédiates, il existe un climat d’hyperadrénergie centrale, secondaire à l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien que nous avons décrit, favorisant l’encodage et la consolidation mnésique, notamment au niveau amygdalien. L’efficacité du propranolol, bêtabloquant parfois utilisé rapidement après un traumatisme dans le but de prévenir le développement d’un ESPT en diminuant la consolidation mnésique des souvenirs émotionnels repose sur ces données. Ces mécanismes de réponse à la peur seraient trop intenses ou débordés dans l’ESPT, avec un excès de stimulation noradrénergique responsable d’une neurotoxicité. Une étude récente

réalisée en Chine a mis en évidence les phénomènes d’apoptose dans l’amygdale de rats conditionnés dans un modèle de stress traumatique (50).

La surstimulation des récepteurs NMDA est également étudiée dans la pathogénie de l’ESPT. Les systèmes glutamatergiques sont fortement impliqués dans les réactions de stress comme dans le fonctionnement de la mémoire. Le glutamate, principal neurotransmetteur excitateur dans le cerveau, permet en se fixant sur les récepteurs NMDA l’entrée de calcium dans la cellule. Selon Nutt (123), l’ESPT pourrait résulter d’une surstimulation des récepteurs au NMDA, qui renforcerait l’inscription des souvenirs traumatiques et pourrait provoquer des lésions neurotoxiques cérébrales, par entrée massive de calcium dans les cellules.

Le système gabaergique, système inhibiteur et complémentaire du glutamate, est lui aussi impliqué dans les réactions de stress. Les récepteurs aux benzodiazépines sont d’ailleurs des récepteurs au GABA. Vaiva et al (169) ont montré qu’un taux plasmatique bas de GABA peu de temps après un accident de la route représentait un facteur prédictif d’ESPT deux mois plus tard. Ainsi la faiblesse du frein gabaergique est également incriminée dans l’étiopathogenèse de l’ESPT.

Fig. 9 : Biologie du trauma dans un modèle de peur (52)

Amygdale

Mémoire émotionnelle

Ajustement de la

réponse au stress

Trauma PEUR

CRH+

HPA+

Hyperadrénergie

GABA

Opiacés Cortisol

--

-+

V. Les théories neurocognitives de l’ESPT

Il est difficile de resituer chronologiquement les troubles neurobiologiques observés dans l’ESPT : sont-ils antérieurs au traumatisme, constituant alors des facteurs de risque, avec un aspect développemental de la genèse des troubles, ou sont-ils consécutifs au trauma ? On peut supposer que ces deux possibilités sont complémentaires chez les sujets souffrant d’ESPT (167).

Si on s’intéresse à l’hypothèse de survenue postérieure des anomalies, c’est le modèle de la peur conditionnée qui est le plus souvent proposé pour rendre compte de la psychobiologie de l’ESPT. L’amygdale joue un rôle majeur dans la mémoire affective, régissant la production des réponses émotionnelles. La visualisation traumatique peut induire une stimulation du système adrénergique, augmentant la consolidation du souvenir par l’intermédiaire de l’amygdale. On oppose parfois à cette « mémoire chaude » (implicite et non verbale), la « mémoire froide » (explicite, déclarative) de l’hippocampe qui ne fonctionne qu’en situation de stress faible ou modéré. Les études d’imagerie cérébrale montrent une hyperactivité de l’amygdale lors des épreuves de provocation, alors que l’hippocampe, de volume diminué, apparaît hypoactif (167). Le stress chronique induit une atrophie avec diminution des cellules et de la synthèse de facteurs neurotrophiques au sein de l’hippocampe et une perturbation du système glutamatergique (166).

Le contexte dans lequel se produit l’évènement traumatique est important dans le conditionnement de peur. Or, l’hippocampe permet l’extinction de réponses conditionnées, par sa capacité à replacer les indices reliés au trauma dans leur contexte. En association avec l’hippocampe, ce sont surtout les cortex préfrontal et cingulaire antérieur qui ont pour rôle d’ « éteindre » l’amygdale (85). Le cortex préfrontal est donc impliqué dans le processus d’extinction. Ce processus actif, nécessitant un nouvel apprentissage, correspond à la diminution progressive de la réaction émotionnelle face à la présentation de stimuli en rapport avec le trauma. Lorsque l’ESPT devient chronique, les individus auraient davantage de difficultés à inhiber le conditionnement de peur dans l’amygdale.

Certaines données neurobiologiques seraient pourtant en faveur de troubles développementaux constituant des vulnérabilités lors de l’exposition du sujet à un évènement traumatique. Ces troubles développementaux seraient la conséquence de traumatismes

psychiques survenus dans la petite enfance (49). Des aspects héréditaires peuvent également être évoqués, des études de jumeaux monozygotes réalisées chez d’anciens combattants allant dans ce sens (76; 101).

En résumé, en adoptant le postulat qu’un conditionnement de peur se produit dans l’amygdale au moment du traumatisme, et en se référant à la théorie des deux facteurs de Mowrer abordée en première partie, le modèle suivant peut être proposé (85) : le conditionnement qui fait suite au traumatisme sera à l’origine des symptômes d’ESPT que sont les symptômes intrusifs et l’hypervigilance. Si l’hippocampe n’encode pas de manière adéquate l’information contextuelle au moment du trauma, le souvenir de l’évènement sera fragmenté (notion de dissociation péri-traumatique). Ce souvenir fragmenté produira des « fausses alarmes » itératives, majorant les symptômes d’ESPT. Le cortex préfrontal qui agit en synergie avec l’hippocampe, s’il est « débordé ou dysfonctionnel », ne pourra assumer sa tâche d’inhibition sur l’amygdale. L’amygdale perturbe alors les capacités de régulation affective, les processus attentionnels et la mémoire de travail du cortex orbito-frontal. Cette perturbation d’origine amygdalienne, aversive, mène à des conduites d’évitement vis-à-vis des stimuli rappelant le trauma, renforcées par un mécanisme de conditionnement opérant. L’ESPT se chronicise alors.

Partie III : Fonctions exécutives,