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Partie III : Fonctions exécutives, vieillissement et démence

A. Les concepts d’inhibition

L’inhibition normale a une valeur adaptative, et renvoie à la notion de capacité à « attendre », permettant d’établir un délai entre le désir et l’action. Elle correspond à la suppression d’informations ou actions non pertinentes, permettant la sélection d’informations particulières et participe donc aux mécanismes attentionnels (66). L’inhibition peut devenir pathologique, par excès ou par défaut, et il existe des inter-relations avec d’autres symptômes comme anxiété, impulsivité ou agressivité (147). Le concept d’inhibition est devenu un facteur explicatif important pour la compréhension des mécanismes supportant l’attention, mais aussi dans d’autres aspects tels que la mémoire à long terme et de travail, l’action ou la personnalité (106).

L’étude des lésions frontales et de leurs symptômes a très tôt abouti à une association à une atteinte des mécanismes d’inhibition. Depuis le cas de Phineas Gage (décrit par le Dr Harlow en 1868 ; ce patient avait subi de graves lésions frontales par la propulsion d’une barre de fer), une sensibilité accrue à l’interférence a été décrite chez les patients frontaux. D’autres troubles liés à une atteinte frontale tels que persévérations, stéréotypies, désinhibition comportementale suggèrent également un déficit d’inhibition. La réapparition de réflexes archaïques (comme le grasping) lors de lésions préfrontales s’expliquerait par l’atteinte de fonctions plus complexes, élaborées, permettant d’inhiber des fonctions ou comportements plus simples, automatiques. Ainsi selon une vue jacksonienne, une lésion au niveau préfrontal permet aux comportements plus simples de réapparaître, par levée de cette inhibition sur les structures inférieures (153).

Dans les modèles engageant la mémoire de travail, les mécanismes inhibiteurs concernent les processus empêchant l’entrée en mémoire de travail d’informations non pertinentes et qui permettent de supprimer des informations précédemment pertinentes mais devenues inutiles. Sur un plan attentionnel, le concept d’inhibition peut être assimilé à celui d’attention sélective, permettant le traitement d’informations pertinentes en éliminant les stimuli non pertinents ou distracteurs (66). L’inhibition peut être considérée selon les modèles comme une des fonctions de contrôle impliquées dans la mémoire de travail, remplies par le système attentionnel superviseur (SAS de Norman et Shallice, 1980) ou par l’administrateur central de la mémoire de travail (selon Baddeley, 1986) (106). Pour Baddeley (1986) (12), la

mémoire de travail est un système cognitif de capacité limité permettant de stocker provisoirement des informations grâce à deux systèmes esclaves (boucle phonologique et calepin visuo-spatial), contrôlé par l’administrateur central qui permet la coordination des informations et la sélection des stratégies à adapter (cf. fig. 12). Le syndrome dysexécutif est attribué dans ce modèle à un dysfonctionnement de l’administrateur central (78).

Fig. 12 : Modèle de la mémoire de travail proposé par Baddeley (1986) (12)

Siéroff E. (153) propose un autre modèle de l’attention, pour expliquer le rôle des processus inhibiteurs : l’attention serait le produit de l’activité d’un circuit triangulaire impliquant les aires de contrôle de l’attention (cortex frontal), les régions assurant le mécanisme de l’attention (thalamus) et les aires permettant à l’attention de s’exprimer (aires corticales postérieures). A partir de mécanismes inhibiteurs au niveau des ganglions de la base (striatum), des processus frontaux de rehaussement des informations pertinentes (reçues par

Administrateur central

(Contrôle et coordination des opérations et traitements)

Calepin visuo-spatial

Autorépétition subvocale

Buffer phonologique Boucle phonologique

les régions corticales postérieures) et d’inhibitions d’informations non pertinentes sont engagés. Le rehaussement des informations pertinentes serait permis via le thalamus par une levée d’inhibition d’origine frontale sur des neurones relais du thalamus. Dans ce modèle, il existerait donc une inhibition constante, et les informations pertinentes seraient sélectionnées par une diminution de cette inhibition basale.

Comme pour le système exécutif qui intègre des processus multiples, mais découlant de mécanismes communs, il existe une diversité dans les processus d’inhibition, avec des niveaux d’intervention multiples (66). Trois dimensions de l’inhibition peuvent être distinguées :

- l’intentionnalité (inhibition intentionnelle et contrôlée, versus inhibition plus automatique)

- le niveau : comportemental ou cognitif

- la différence entre inhibition (processus de suppression active opérant sur la mémoire de travail) et résistance à l’interférence (mécanisme empêchant l’entrée d’informations non pertinentes ou de stimuli distracteurs)

On retrouve les deux composantes de cette dernière dimension dans le modèle de l’inhibition de Friedman et Miyake (71) qui subdivisent l’inhibition en :

- résistance à l’interférence pro-active, capacité de faire face à l’intrusion en mémoire d’informations précédemment pertinentes mais devenues inutiles pour accomplir la nouvelle tâche,

- et inhibition « réponse-distracteur » correspondant à la capacité de supprimer une réponse dominante et automatique et de pouvoir résister à l’interférence d’une information externe distractrice.

Devant la diversité des définitions du concept d’inhibition, et des différents processus impliqués, Fournet et al. proposent dans le tableau suivant une taxonomie réalisant une synthèse des niveaux d’implication des processus inhibiteurs d’après les travaux de Nigg, Stoltzfus et al., Miyake et al (66)

Taxonomie des processus

inhibiteurs Correspondance en terme

de niveau d’implication dans le cadre du traitement de l’information

Exemples de tâches Conséquences comportementales

d’un déficit de ce type d’inhibition

1. Inhibition cognitive (suppression

des idées non pertinentes pour protéger

les contenus de la mémoire)

Inhibition au niveau

de l’encodage en mémoire Amorçage négatif Oubli dirigé de type items Excès d’information à l’encodage entraînant des intrusions, des interprétations inappropriées

2. Mise à jour et contrôle « on-line »

des informations

Inhibition au niveau du stockage en mémoire

Tâches de mise à jour Tâches n-back

Difficultés pour éliminer les informations activées en mémoire mais devenues non pertinentes pour la tâche en cours : intrusions, persévérations 3. Contrôle de l’interférence (suppression de l’interférence due à une compétition de ressources ou de stimulus) Inhibition au niveau de la réponse ou de la récupération en mémoire Stroop Flanker tasks Amorçage

Propension à laisser les réponses automatiques guider la réponse, sans prise en considération des infos plus pertinentes pour la tâche en cours 4. Inhibition lors de la

récupération en mémoire

Hayling test

Oubli dirigé de type listes 5. Inhibition comportementale

(suppression d’une réponse motrice dominante) Stop signal Go/no go 6. Inhibition oculomotrice (suppression de saccades occulaires réflexes) Tâche antisaccade