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JUSTIFICATIONS ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE

Le nombre de voyageurs sous traitement immunosuppresseurs et/ou immunomodulateur ne cessent d’augmenter et leur qualité de vie de s’améliorer. Ainsi, ils s’exposent de plus en plus à des maladies comme la fièvre jaune pour lesquelles la vaccination est l’axe prioritaire de prévention et de contrôle.

Toutefois, les vaccins vivants ont un risque plus élevé d’entrainer une maladie vaccinale chez les voyageurs dont l’immunité est altérée. De ce fait, la plupart des guidelines contre-indiquent l’administration d’un tel vaccin chez les patients sous traitement immunosuppresseurs et/ou immunomodulateur. Ces recommandations se basent sur des avis d’expert car les études robustes sont rares dans ce domaine. En Suisse, un comité de spécialistes s’est réuni en 2014 et a jugé que l’administration de vaccins vivants atténués était possible chez les patients sous traitement de MTX à faible dose.1

Afin de contribuer aux recherches en cours sur ce sujet complexe, nous avons mené une étude rétrospective dans trois centres de médecine des voyages en Suisse (Bâle, Genève et Zurich). Nous avons souhaité évaluer le nombre de personnes ayant reçu un vaccin vivant sous traitement immunosuppresseur/immunomodulateur, ainsi que la survenue de réaction vaccinale afin d’évaluer la sécurité vaccinale. Nous avons également comparé les patients sous traitement immunosuppresseur et/ou immunomodulateur à un groupe de personnes sans changement d’immunité ayant les mêmes caractéristiques d’âge et de genre. Notre recherche s’est déroulée sur une période de cinq (Zürich et Bâle) et huit ans (Genève).

MÉTHODE

Notre étude a été conduite dans trois cliniques pour voyageurs en Suisse : 1. Zentrum für Reisemedizin à l’université de Zürich

2. Clinique des voyageurs au Swiss Tropical and Public Health Institute (Swiss TPH) à Bâle 3. Clinique des voyageurs aux Hôpitaux universitaires de Genève

Nous avons récolté les données de manières rétrospectives couvrant les périodes 2008-2015 à Genève et 2010-2015 à Bâle et Zürich.

De routine et avant chaque consultation, le voyageur doit remplir un formulaire contenant des données démographiques, du voyage envisagé, de l’histoire médicale ainsi que des traitements en cours ou passés. Ces informations sont récoltées électroniquement à Zürich et sur papier à Bâle et Genève. Elles sont ensuite vérifiées par un professionnel de la santé qui complète les données médicales et les traitements en cours avant de prescrire les vaccins nécessaires selon le carnet de vaccination et la destination envisagée.

Dans un premier temps, nous avons recherché dans l’ensemble des formulaires ceux qui faisaient mention d’un médicament immunosuppresseur ou immunomodulateur. À Bâle et Genève, cette recherche a été faite à la main puisque les formulaires ne sont pas informatisés. À Zürich, la recherche a pu se faire de manière électronique.

Dans l’ensemble des formulaires récoltés, nous avons ensuite sélectionné ceux qui avaient reçu un vaccin ou plusieurs vaccins vivants : ROR (Rougeole-Oreillon-Rubéole), varicelle, Fièvre jaune (FJ) et/ou vaccin oral contre la fièvre typhoïde (OTV).

Les patients identifiés ont alors été contactés par téléphone pour répondre à un questionnaire. S’ils ne pouvaient être contactés par téléphone, nous avons essayé de les contacter par e-mail et/ou courrier selon les informations disponibles. Le questionnaire utilisé a été développé par des experts en médecine des voyages et en médecine tropicale lors de rencontres du réseau européen de médecine tropicale et des voyages (European Network for Tropical Medicine and Travel Health, TropNet).

Les informations demandées aux patients portaient sur l’âge, le genre, la date de visite à la clinique des voyageurs, les vaccins reçus, les antécédents médicaux, les traitements immunosuppresseurs et/ou immunomodulateurs avec leur posologie complète et le temps entre la dernière dose et la vaccination.

Les réactions après la vaccination ont été notées de légères (pas d’impact sur les activités de la vie quotidienne) à sévères (incapable de pratiquer les activités de la vie quotidienne). Nous leur avons également demandé quelles actions avaient été prises à la suite de la vaccination (prise de médicaments, consultations médicales, hospitalisation, etc.).

Nous avons recherché activement les événements indésirables graves comme la mort, la mise en danger de la vie, un handicap prolongé ou une perte de capacité, une hospitalisation ou un séjour prolongé imprévu, une anomalie congénitale ou maladie congénitale, ou tout autre événement médical ou réaction suite à la vaccination.

Comme l’utilisation de vaccins vivants est généralement contre-indiquée chez les patients sous traitement immunosuppresseur, un intervalle entre la dernière dose de médicaments et l’administration d’un vaccin vivant a été établi. Cet intervalle est déterminé, entre autres, par les propriétés pharmacocinétique et pharmacodynamique du médicament. Si cet intervalle est respecté, la vaccination est dite sûre et l’intervalle est dit « adéquat ». Toutefois, si l’intervalle minimal n’a pas été respecté, alors il est dit « critique ». Nous nous sommes basés sur la publication de LG Visser, The immunosuppressed traveler20 pour définir si les intervalles étaient adéquats ou critiques. Pour les médicaments qui ne sont pas mentionnés dans cet article, nous nous sommes référés aux intervalles recommandés par l’Office Fédérale de la Santé Publique1.

Pour les patients enrôlés à Bâle et Zürich, un groupe témoin (ou contrôle) correspondant au genre, à l’âge et au niveau de santé a été recruté. Pour des raisons logistiques, ce groupe témoin n’a pas pu être fait à Genève.

Le groupe témoin sain devait remplir les conditions suivantes : pas de traitement immunosuppresseur ou immunomodulateur, correspondre à l’âge et au genre, recevoir la même vaccination et à la même période (+/- 6 mois). Les témoins ont été contactés de la même façon que les patients. Une analyse comparative entre les patients sous traitement immunosuppresseur et le groupe témoin a été pratiquée pour les patients recrutés à Bâle et Zürich.

Les analyses statistiques ont été pratiquées de manière anonyme sur le logiciel Stata 13.1 (Stata Corp.

LP, TX, USA).

RESULTATS

Dans l’ensemble des trois cliniques, nous avons recruté 197 voyageurs sous traitement immunosuppresseur/immunomodulateur ayant reçu un vaccin vivant atténué. De ces 197 voyageurs,

116 ont pu être interviewés à propos des réactions post-vaccination. Les cliniques de Bâle et Zürich ont recruté un total de 60 patients et 60 patients témoins correspondants.

DÉMOGRAPHIE

Les patients immunosupprimés avaient une moyenne d’âge de 45.3 ans (DS : 15.9) et 57% étaient des hommes. Le groupe témoin a une moyenne d’âge similaire (46.2 ans, DS : 15.4) et une distribution de genre similaire (50.8%) aux patients recrutés dans les cliniques de Bâle et Zürich (moyenne d’âge : 45.7 ans, DS 15.31 ; 51.7% d’homme).

Les maladies rhumatismales (n=40, 34.5%) et les maladies inflammatoires de l’intestin (n=33, 28.4%) représentent les conditions médicales les plus fréquemment rencontrées.

Au total, 92 vaccins contre la fièvre jaune, 21 vaccins contre le ROR, 4 contre la varicelle et 6 vaccins oraux contre la typhoïde ont été prescrits à des patients sous traitement immunosuppresseur ou immunomodulateur. Dans le groupe contrôle, 48 vaccins contre la fièvre jaune, 14 contre le ROR, 4 vaccins oraux contre la typhoïde et 3 contre la varicelle ont été effectués.

Dans les deux groupes (témoins et patients immunosupprimés), le pourcentage de personnes ayant reçu une primo-vaccination lors de la consultation était similaire. Toutefois, 90% des patients du groupe témoin avaient déjà reçu une vaccination contre la rougeole, alors que dans le groupe immunosupprimé, seulement 41.7% des patients avaient reçu une vaccination contre la rougeole précédemment au cours de leur vie.

La médication la plus fréquemment rencontrée était les corticostéroïdes (n=45). Pour toute la population étudiée, la dose moyenne administrée était de 7.5mg par jour d’équivalent de prednisone (interquartile : 5 à 20 mg). Lorsque la durée de traitement dépassait les 2 semaines, la moyenne était de 7.5mg par jour, allant de 1.25mg à 80mg par jour. Dans les utilisations de courtes durées (moins de 2 semaines) la moyenne était de 45mg par jour, mais pouvait varier de 5 à 840mg par jour. Quatre patients avaient un traitement au long terme qui dépassait le maximum recommandé (deux avec 20mg/j, un à 50mg/j et un à 80mg/j) par les recommandations suisses sur la vaccination.1

La mesalazine (n=28) était la deuxième médication la plus fréquente, suivie par le méthotrexate (n=19 ; dose hebdomadaire médiane à 12.5mg, IQR : 10-20mg). Deux patients recevaient des doses plus grandes que 20mg par semaine : un recevait 22.5mg et l’autre 100mg. Chez ce dernier patient, l’injection du vaccin contre la fièvre jaune a eu lieu 4 jours après la dernière dose de MTX. L’autre patient a été vacciné contre la fièvre jaune après un intervalle de temps adéquat.

Tous les patients, sauf cinq, étaient sous traitement immunosuppresseur ou dans l’intervalle critique après l’arrêt du traitement lors de l’administration d’un vaccin vivant. Chez les cinq patients avec un intervalle adéquat, un a reçu le ROR 42 jours après sa dernière dose de MTX de 20mg, 2 ont reçu le vaccin contre la fièvre jaune 91 et 106 jours après leur dernière dose de MTX (20-25mg et 5mg par semaine), un autre a été vacciné contre la fièvre jaune 143 jours après sa dernière injection d’ustekinumab, et le dernier a pris sa dernière dose de 6-mercatopurine 135 jours avant sa vaccination contre la fièvre jaune.

EVALUATION DE LA SÉCURITÉ

Sur les 116 patients sous traitement immunosuppresseur ou immunomodulateur, 22 (19%) ont rapporté une réaction après la vaccination.

Neuf (7.8%) patients se souviennent de réactions locales comme une douleur musculaire ou une tension musculaire. Sept ont estimé que leurs symptômes étaient légers ; un patient avec sclérose en plaque sous IFN-β a reporté une réaction locale sévère après une primo-vaccination avec le ROR.

Quatorze des 116 (12.1%) patients ont décrit des réactions systémiques : 6 ont eu des douleurs articulaires et musculaires d’intensité légère ; 4 ont eu des symptômes similaires à la grippe et 1 d’entre eux a rapporté des ganglions lymphatiques tendus et douloureux associés à des nausées ; 2 se souviennent de fatigue et 1 rapporte avoir eu de la fièvre. De ces réactions systémiques, 11 étaient légères, 2 modérées et 1 patient avec une polyarthrite rhumatoïde sous traitement de sulfasalazine se souvenait de douleurs musculaires et articulaires sévères après une primo-vaccination contre la fièvre jaune.

Dans le groupe contrôle, 15 patients sur 60 (25%) se souvenaient avoir eu une réaction suivant la vaccination. Sept sur 60 (12%) ont rapporté des réactions locales telles que douleurs musculaires, hématome ou point d’injection sensible. Toutes les réactions locales étaient considérées comme légères. Treize pour cent (8/60) des patients témoins ont rapporté des réactions systémiques : fatigue (n=3), fièvre (n=1), syndrome grippal (n=2) et douleurs articulaires et musculaires (n=4). Cinq réactions ont été considérées comme légères et 2 comme modérées.

Lors de la comparaison des groupes témoins versus patients, aucune différence n’a été mise en évidence concernant les réactions locales ou systémiques. De même, la sévérité des symptômes locaux et systémiques était comparable dans les deux groupes. Toutefois, il faut mentionner qu’aucun patient contrôle n’a mentionné de réaction sévère. Il est à noter également qu’aucun effet indésirable grave n’a été mentionné.

Sur les 5 patients ayant été vaccinés dans l’intervalle adéquat d’arrêt du traitement immunosuppresseur, seul 1 a rapporté de légères douleurs articulaires et musculaires. Aucun patient ayant reçu des hautes doses de corticoïdes (>= 20mg/jour de prednisone ou équivalent) pour plus de deux semaines ou des hautes doses de MTX n’a rapporté d’effets indésirables.41

DISCUSSION

Le nombre de personnes sous traitement immunosuppresseur ou immunodulateur augmente, d’une part car les indications s’élargissent et d’autres part car ces thérapeutiques sont de plus en plus nombreuses. Ces traitements permettent à des patients atteints d’une maladie débilitante de vivre comme des personnes saines. L’amélioration de leur qualité de vie leur permet de voyager, y compris dans des lieux où la vaccination pour la fièvre jaune, par exemple, est recommandée. Ces personnes dont l’immunité est changée ont un risque augmenté de développer ces maladies pouvant être prévenues. De plus, leur risque de développer une complication grave de la maladie est également augmenté42. Toutefois, les données concernant le risque de développer une maladie vaccinale dans les conditions d’immunosuppressions sont rares et l’évaluation risques-bénéfices de la vaccination reste difficile à établir, même pour les spécialistes du sujet. Dans ce contexte, nous avons réuni les données rétrospectives de trois centres suisses de médecine des voyages et recruté ainsi 197 patients sous traitement immunosuppresseur ou immunomodulateur et ayant reçu un vaccin vivant. Aucun patient n’a rapporté d’événements indésirables graves. De plus, les réactions locales et systémiques ne sont pas plus fréquentes que dans le groupe témoin.

Il faut noter que les réactions graves dues à la vaccination par un vaccin vivant sont extrêmement rares.

Pour la fièvre jaune, les complications viscérotropiques sont estimées à moins de 0.4 pour 100'000 vaccins pour les personnes de moins de 60 ans, à 1 pour 100'000 chez les personnes de plus de 60 ans et à 2.3 sur 100'000 pour les patients de plus de 70 ans.

Les complications neurotropiques du vaccin contre la fièvre jaune sont estimés à moins de 0.8 pour 100'000 pour les personnes de moins de 60 ans et, comme les complications viscérales, augmentent après 60 ans.7 De fait, il est évident que notre échantillon était trop petit pour détecter un cas de complication grave de la vaccination contre la fièvre jaune et qu’il nous était impossible de comparer les différents traitements.

Les recommandations suisses concernant la vaccination chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde autorisent l’utilisation de vaccin vivant lors de traitement de corticostéroïdes au long court (>2 semaines) à faible dose (<20mg/jour de prednisone ou équivalent), ou lors de traitement topique à base de corticostéroïdes ou de MTX à des doses de moins de 20mg/sem.1

Lors de traitement de corticostéroïdes à courte durée, mais des doses élevées (>= 20mg/jour de prednisone ou équivalent) certains prônent la prudence et recommandent l’arrêt du traitement au minimum 2 semaines à 1 mois avant l’administration de vaccin vivant.25 Comme vu précédemment, les recommandations sur l’utilisation des vaccins vivants lors de traitement immunosuppresseur sont principalement basées sur des avis d’experts dont le dosage seuil diffère selon les recommandations.

C’est pour cette raison que nous avons inclus dans notre étude les patients avec un traitement de corticostéroïdes à faible dose.

Au total, 65.5% des patients de notre étude reçoivent un traitement faiblement immunosuppresseur comme le budésonide, l’acétate de glatiramer, l’interféron, la mesalazine, la sulfasalazine, ou un traitement de corticostéroïdes à long terme, mais de faibles doses ou à court terme, mais à dose élevée.

Nous n’avons pas mis en évidence de différences entre les patients sous traitement fortement immunosuppresseur et les autres en termes d’effets secondaires, de réactions locales, de réactions systémiques ou de sévérité.

L’augmentation récente du nombre de traitements immunosuppresseurs avec de nouveaux mécanismes d’action fait partie des limitations de notre étude. En effet, la généralisation aux nouveaux

survenir plus fréquemment chez les patients immunosupprimés, nous pensons que cette étude, bien que le nombre de participants soit limité, doit être connue des praticiens.

Dans le cadre d’une étude rétrospective, il y a toujours un biais de rappel, en particulier dans notre étude puisque les participants ont dû se souvenir d’événements ayant eu lieu entre 14 jours et 8 ans auparavant. Toutefois, nous pensons que les réactions sévères n’auraient pas été oubliées même plusieurs années après. Afin de limiter ce biais, nous avons inclus un groupe témoin dont la vaccination a eu lieu en même temps que les personnes immunosupprimées. Les résultats ne diffèrent pas de manière probante. De plus, nous pensons que les patients avec une maladie nécessitant la prise d’immunosuppresseurs pourraient être plus attentifs sur des complications possibles et se seraient mieux souvenus d’un événement grave.

Il n’est pas rigoureusement exclu que certaines réactions sévères aient entrainé la mort et de ce fait que nous n’ayons pu contacter les personnes pour les inclure dans l’étude. Toutefois, il est à noter qu’aucun décès en rapport avec une souche vaccinale de virus n’a été rapporté à Swissmedic durant la période entre 2001 et mai 2016. De plus, aucun cas de fièvre jaune n’a été rapporté dans la population suisse durant la période de notre étude. Malgré tout, nous ne savons pas si les cas de rougeole ayant eu lieu durant cette période peuvent être attribués à la vaccination de personnes immunosupprimées.

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