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Etude 4 (projet Adéno)

IV.4.1 Discussion

Les principaux résultats de cette étude sont :

Les concentrations plasmatiques en adénosine (CPA) de repos et de fin d’apnée sont plus élevées chez les apnéistes ayant déjà eu une PCB par rapport aux apnéistes n’en ayant jamais eu.

Les CPA sont inversement corrélées aux Fc et aux SpO2 enregistrées en fin d’apnée chez les apnéistes.

Cette étude est la première à évaluer les effets de l’apnée sous-maximale sur la CPA chez des apnéistes (Joulia et coll. 2013). Pendant l’apnée, nos résultats montrent que l’adénosine aurait un rôle important sur la survenue d’une PCB. En effet, nous avons retrouvé une CPA plus importante chez les apnéistes « syncopeurs » que chez les apnéistes « non-syncopeurs ». Ces observations couplées à l’amélioration des connaissances du système adénosinergique de ces dernières années permettent d’émettre des hypothèses sur les mécanismes physiopathologiques de la syncope en apnée.

En fin d’apnée, il est intéressant de souligner que la CPA dosée chez les « syncopeurs » est deux fois plus élevées (+ 100%) que celle des apnéistes « non-syncopeurs », alors que la différence de CPA de repos entre ces deux groupes n’est que de 34 %. Ainsi, il est peu probable que l’hyper adénosinémie de fin d’apnée chez les apnéistes « syncopeurs » soit le seul reflet d’une CPA de repos élevée. Étant donné que les SaO2 enregistrées en fin d’apnée sont similaires entre les deux groupes, il est possible d’envisager que les apnéistes « syncopeurs » aient une susceptibilité à métaboliser davantage d’adénosine que les apnéistes « non-syncopeurs » pour une même « dose hypoxémique ». Cette interprétation ouvre des perspectives sur de possibles défaillances (e.g sous-régulation) du système enzymatique (e.g. adénosine kinase) à re-phosphoryler l’adénosine en AMP chez les apnéistes susceptibles de déclencher une syncope en fin d’apnée (figure 80b).

Il est désormais admis que le système adénosinergique possède des propriétés chronotropiques négatives via la liaison de l’adénosine sur ses récepteurs A1 (Yang et coll. 2007). Ainsi, et compte tenu de la corrélation négative entre la bradycardie de fin d’apnée et la CPA de fin d’apnée (figure 65b), l’adénosine interviendrait, au même titre que l’acétylcholine, dans la bradycardie de fin d’apnée en se fixant sur ses récepteurs A1 (figure 80). Chez les apnéistes susceptibles de développer une syncope, la bradycardie est accentuée

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en fin d’apnée en raison d’une plus forte CPA. Dans le cadre de l’étude 1, nous avons montré que la fin d’une apnée statique s’accompagnait d’une augmentation du VES dont l’objectif premier était d’augmenter la perfusion cérébrale (figure 55b) (Costalat et coll. 2013). Dans le groupe d’apnéistes « syncopeurs », il est possible d’envisager que l’augmentation du VES en fin d’apnée ne puisse pas compenser l’exagération de la bradycardie induite par l’adénosine, ce qui provoquerait des troubles de la circulation cérébrale en parallèle de la baisse de l’oxygénation cérébrale (figure 80b). Cette hypothèse s’appuie sur les récents de travaux de Cross et coll., qui ont observé que le caractère intermittent des contractions diaphragmatiques entraînaient des fluctuations de la pression artérielle se répercutant sur le débit sanguin cérébral (Cross et coll. 2013). Ces réponses seraient associées à une altération de l’autorégulation du débit sanguin cérébral générant une succession de légères hypoperfusions cérébrales intermittentes en fin d’apnée (Cross et coll. 2013; Cross et coll. 2014). La possibilité qu’une importante CPA favorise une altération de la transmission de l’influx électrique (ralentissement ou interruption) entre les ventricules et les oreillettes du cœur n’est également pas à exclure (Brignole et coll. 2015). Appelé bloc atrio-ventriculaire, ce mécanisme pourrait aussi augmenter le risque de survenue d’une syncope car il favoriserait, en sus d’une chute de l’oxygénation cérébrale, la baisse de la pression de perfusion cérébrale dont le seuil « critique » (pour développer une syncope) est estimé à 40 mmHg (Hainsworth 2004) (figure 80b).

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Figure 80 : Mécanismes impliqués dans la syncope au cours d’une apnée. AK, adénosine kinase ; Ach, acétylcholine ; Adé, adénosine ; M2R, récepteurs muscariniques ; A1R, récepteurs adénosinergiques ; CID, contractions involontaires du diaphragme ; VES, volume d’éjection systolique ; Fc, fréquence cardiaque ; BAV, bloc atrio-ventriculaire.

Enfin, les CPA mesurées au repos (avant l’apnée) étaient plus élevées pour l’ensemble des apnéistes que pour les sujets témoins. Nous avons retrouvé que cette différence de CPA par rapport au groupe témoin concernait uniquement le groupe d’apnéiste « syncopeurs ». Récemment, une équipe de recherche française a démontré que l’adénosinémie de repos comptait parmi les facteurs prédictifs de la syncope d’origine vasovagale17, la cause la plus fréquente de PCB (figure 81) (Saadjian et coll. 2002; Deharo et coll. 2012; Deharo et coll. 2013).

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Le réflexe vasovagale déclenche une bradycardie et/ou une hypotension pouvant aboutir à une hypoperfusion cérébrale.

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Figure 81 : Comparaison des concentrations plasmatiques en adénosine (CPA) chez 18 sujets « syncopeurs » (non-apnéistes) et 81 sujets témoins [d’après Brignole et coll. 2015 (chapitre d’ouvrage) ; tiré du livre Vasovagal Syncope édité par Alboni, 2015].

Les résultats présentés dans la figure 81 sont très proches des CPA que nous avons dosées chez les apnéistes « syncopeurs » (médiane : 0,9 μM). De ce constat, l’hypothèse d’un profil purinergique commun entre les apnéistes « syncopeurs » et les patients « syncopeurs » a été proposée (Joulia et coll. 2013). Cependant, celle-ci a rapidement été réfutée puisque l’analyse du gène codant pour les récepteurs A2AR des apnéistes « syncopeurs » s’est finalement révélée différente du profil génétique de patients souffrant de syncopes vasovagales (Joulia et coll. 2014). En effet, un polymorphisme nucléotidique CC localisé sur le second exon18 du gène codant pour les récepteurs A2AR est prédominant chez les patients « syncopeurs » (Saadjian et coll. 2009), ce qui n’est pas le cas des apnéistes « syncopeurs » (polymorphisme TC) (Joulia et coll. 2014). La mesure au repos de la CPA pourrait toutefois servir à prévoir et anticiper les apnéistes susceptibles de faire une syncope en fin d’apnée (Joulia et coll. 2013).

Dans la littérature, l’adénosine est souvent considérée comme ayant des effets cytotoxiques sur les cellules de l’organisme (Grenz et coll. 2011). Pourtant, des travaux ont récemment montré que ce dérivé purique activait des voies signalétiques pouvant avoir de nombreux effets cytoprotecteurs en réponse à l’ischémie-reperfusion19

(Grenz et coll. 2011; Layland et coll. 2014). Le mécanisme d’ischémie-reperfusion peut par exemple être observé après la survenue de certaines pathologies cardiaques ou d’un accident vasculaire cérébral. L’augmentation des concentrations en adénosine après une apnée est un phénomène qu’il est

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Partie codante d’un gène.

19 Interruption plus ou moins prolongée de l’apport sanguin à un tissu ou un organe (ischémie) suivie d’une restauration de l’apport sanguin vers ce même tissu ou organe (reperfusion). Le passage de l’ischémie à la reperfusion augmente la réponse pro-inflammatoire et il peut aboutir à des dommages irréversibles sur le tissu (nécrose cellulaire).

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aussi possible d’observer après un pré-conditionnement hypoxique20

, une méthode à visée préventive diminuant et/ou retardant les effets délétères de l’ischémie-reperfusion (Maslov et coll. 2012). L’action bénéfique du pré-conditionnement hypoxique (ischémique) repose en grande partie sur une augmentation de la concentration en adénosine et de ses récepteurs spécifiques qui sont aujourd’hui reconnus pour leurs propriétés inflammatoires, anti-nécrotiques et anti-apoptotiques sur les cellules de l’organisme (Grenz et coll. 2011; Headrick et coll. 2013; Layland et coll. 2014). Il est donc possible d’imaginer que les apnéistes, en raison de leur entraînement comprenant de courtes périodes d’hypoxémie-réoxygénation, puissent développer des mécanismes assez proches d’un pré-conditionnement hypoxique (Joulia et coll. 2009), rendant probablement cette population moins vulnérable aux effets néfastes de l’ischémie-reperfusion. Cette perspective « thérapeutique » reste bien évidemment une hypothèse et demande à être confirmée.

IV.4.2 Limites

L’interprétation des résultats de cette étude s’appuie en grande partie sur une analyse corrélative. Cet outil statistique quantifie l’intensité de la relation entre deux variables aléatoires, mais l’existence d’une corrélation significative n’implique pas nécessairement une relation de causalité entre ces variables. Toutefois, il existerait bien un lien entre la CPA, la bradycardie et l’occurrence d’une PCB au cours d’une apnée et ces résultats, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles du système adénosinergique, nous ont tout de même permis d’émettre de nouvelles hypothèses sur la physiopathologie de la syncope en apnée.

IV.4.3 Conclusion et perspectives

Cette étude a permis d’éclaircir les mécanismes physiopathologiques intervenant dans la syncope en apnée, notamment grâce au dosage de la CPA avant, pendant et après une apnée sous-maximale. Par ailleurs, les résultats montrent que la mesure de ce bio-marqueur de l’hypoxie au repos peut constituer un facteur prédictif de survenue d’une perte de connaissance brève. Il serait ainsi possible de détecter les sujets susceptibles de développer une syncope au cours de l’apnée grâce au dosage de la CPA. Enfin, compte tenu des effets cytoprotecteurs de l’adénosine, ces résultats ouvrent aussi de nouvelles perspectives sur les effets potentiellement bénéfiques d’une utilisation de l’apnée dans un cadre préventif et/ou thérapeutique.

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