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Chapitre 1 : Expression des gènes exlBA : région promotrice et signaux de régulation

2. Etude de l’expression des gènes exlBA

Pour étudier l’expression de gènes, deux techniques sont généralement utilisées : la RT- qPCR (Reverse Transcription-quantitative PCR) et les fusions transcriptionnelles avec un gène rapporteur.

La RT-qPCR permet d’analyser le niveau d’ARNm d’un gène dans un échantillon par comparaison avec un gène de référence. Ce niveau dépend à la fois des activités de synthèse et de dégradation des ARNm. Après purification et transcription inverse des ARN totaux, les ADNc cibles sont amplifiés spécifiquement par qPCR en présence d’un fluorophore marquant l’ADN double brin. La quantification du nombre minimum de cycles de PCR (Cq) nécessaires pour détecter un signal fluorescent exponentiel traduit le niveau en ARNm cibles (Matériel et Méthodes/Chapitre 1.9). Il s’agit d’une technique sensible à la dégradation des ARN, qui nécessite donc une préparation minutieuse des échantillons.

Pour obtenir une fusion transcriptionnelle, un gène rapporteur est fusionné, avec son RBS, à une séquence promotrice. Le niveau d’activité spécifique ou la quantité de protéine rapportrice synthétisée traduit alors l’activité promotrice de la séquence étudiée. Les 3 gènes rapporteurs principalement utilisés pour la construction de ces fusions sont lacZ, qui code pour l’enzyme β- galactosidase, gfp, codant pour la protéine fluorescente GFP, et l’opéron luxCDABE, dont les produits forment l’enzyme luciférase et permettent la synthèse de son substrat. Cette technique a pour avantage de permettre des mesures rapides et en cinétique (pour gfp et lux) mais l’un des inconvénients est le manque de dynamique du système : si la protéine rapportrice est stable, il y aura une accumulation qui ne reflète pas forcément la dynamique réelle d’expression du promoteur cible. Pour pallier à cela, il est possible d’utiliser par exemple un système rapporteur

Figure 29 : Représentation de la région chromosomique d’exlBA.

A) Les gènes sont représentés par des flèches indiquant le sens de transcription et annotés selon la database pseudomonas.com (PAO1 et AZPAE15042). Les quatre promoteurs prédits par bio-informatique sont représentés par de fines flèches oranges et numérotés. Deux triangles noirs localisent l’insertion de l’interposon oméga dans les gènes RS13155 et

RS13160 (Résultats/Chapitre 1.2). B) Schéma représentant les fusions transcriptionnelles portées par les plasmides miniCTX-prom4_exlB-lacZ et miniCTX-prom2_exlBA-gfp. A.

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gfp codant pour une protéine rendue instable (Andersen et al., 1998). De plus, les fusions transcriptionnelles comprenant souvent la séquence 5’-UTR du gène dont le promoteur est étudié, la synthèse de la protéine rapportrice peut être affectée par une potentielle régulation post- transcriptionnelle exercée sur l’ARNm de ce gène et conduisant à sa dégradation. Certains vecteurs, comme le miniCTX-lacZ, contiennent en amont du RBS du gène rapporteur un site de clivage de l’ARN pour ne refléter que l’activité transcriptionnelle de la séquence étudiée (structure tige-boucle reconnue par la RNaseIII pour le miniCTX). Enfin, l’analyse des fusions transcriptionnelles étant généralement réalisée hors du contexte génétique de la séquence étudiée, l’activité promotrice observée peut être biaisée par l’absence de signaux de régulation tels que la structuration locale de l’ADN.

Les deux approches étant complémentaires, elles ont toutes les deux été utilisées pour analyser l’expression d’exlB et exlA. Ainsi ma thèse a débuté par l’étude des niveaux d’ARNm par RT-qPCR chez la souche CLJ1, cultivée en milieu LB. Le nombre minimal de cycles d’amplification nécessaires pour détecter un signal fluorescent exponentiel était beaucoup plus important pour les ADNc d’exlB et exlA (Cq≈29-30) que pour ceux du gène de référence uvrD (Cq≈18-19) et plus proches de ceux des conditions contrôle « non RT » (Cq≈33-34). Ceci indique que les niveaux en ARNm ExlB et ExlA dans les bactéries sont faibles. L’expression relative d’exlB et exlA en phase exponentielle de croissance (DO600=1) est 2,5 à 3 fois plus faible que celle obtenue en début de

phase stationnaire (DO600=2,5 ; Fig. 30.A). Par conséquent, les niveaux en ARNm ExlB et ExlA chez

CLJ1 sont très faibles en LB et augmentent légèrement au cours de la croissance.

Figure 30 : L’expression d’exlBA est faible en milieu riche LB.

A) Analyse de l’expression relative d’exlB et exlA chez CLJ1 par RT-qPCR au cours de la croissance. Le gène uvrD a été utilisé comme référence. L’expérience a été réalisée en triplicat

biologique et les barres d’erreur indiquent l’erreur type sur la moyenne. B) Activités β- galactosidase obtenues avec la souche CLJ1 contenant la fusion miniCTX-prom4_exlB-lacZ intégrée au site attB du génome bactérien. Le vecteur miniCTX-lacZ est utilisé comme contrôle

négatif. Les expériences ont été réalisées en triplicats et les barres d’erreur indiquent l’écart type standard (T test : *** : valeur-p ≤ 0,001 ; * : valeur-p ≤ 0,05).

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La région chromosomique permettant l’expression des gènes exlB et exlA a, par la suite, été analysée à l’aide de fusions transcriptionnelles. Pour cela, nous avons choisi d’utiliser le gène rapporteur lacZ, car le dosage de l’activité β-galactosidase est une technique informative et bien établie chez P. aeruginosa. L’utilisation du gène rapporteur gfp, intéressante car permettant une mesure de fluorescence en cinétique, n’était pas envisageable du fait de la faible expression d’exlBA et de l’auto-fluorescence du milieu de culture LB.

Afin de situer le(s) promoteur(s) permettant la transcription d’exlBA, un fragment contenant les quatre promoteurs putatifs prédits par BPROM a été fusionné au gène lacZ sur un vecteur intégratif miniCTX et intégré au site attB du chromosome de la souche CLJ1 (Fig. 29.B). Le but était de voir si une activité promotrice était obtenue avec ce grand fragment pour ensuite, le cas échéant, affiner la fusion et observer plus spécifiquement l’activité promotrice d’exlBA. La transcription des gènes exlBA a été analysée en comparant l’activité β-galactosidase de la souche CLJ1::miniCTX-prom4_exlB-lacZ avec celle d’une souche contrôle portant le vecteur sans promoteur CLJ1::miniCTX-lacZ, mais aucune activité promotrice n’a été détectée (Fig. 30.B). Il est à noter que l’activité β-galactosidase observée avec le miniCTX-lacZ vide résulte probablement d’une fuite du promoteur du gène de résistance à la tétracycline (ptet) présent dans le plasmide en amont de lacZ. Sur le plasmide contenant la fusion exlBA-lacZ, la transcription dépendante du ptet pourrait être moins importante du fait d’une structuration de l’ADN différente ou de l’éloignement entre le gène lacZ et ce promoteur.

Malheureusement, comme je l’ai déjà signalé, une certaine instabilité phénotypique de la souche CLJ1 a été révélée au cours des études réalisées au laboratoire et il a été décidé de la remplacer par la souche IHMA87, qui est phénotypiquement stable et présente les mêmes niveaux d’expression d’exlBA que CLJ1 (Annexe 2). L’ensemble de mes travaux de thèse ont donc été poursuivis en utilisant cette nouvelle souche, dans laquelle la fusion miniCTX-prom4_exlB-lacZ a été intégrée. L’analyse de l’activité β-galactosidase a conduit au même résultat que celui obtenu avec la fusion chez CLJ1, à savoir une absence d’activité en comparaison avec le contrôle négatif (données non montrées).

Quatre hypothèses ont alors été émises pour expliquer l’absence d’activité de la fusion transcriptionnelle alors que des ARNm avaient été détectés par RTqPCR, démontrant l’expression des gènes :

(1) la séquence utilisée pour cette fusion pouvait ne pas comprendre le promoteur permettant l’expression d’exlBA,

(2) il était possible qu’il y ait une hétérogénéité d’expression d’exlBA au sein de la population, le signal des bactéries exprimant faiblement la fusion aurait ainsi pu ne pas être détecté dans le bruit de fond global de la population,

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(3) l’expression d’exlBA pouvait être influencée par la topologie de l’ADN qui était différente au site attB,

(4) les conditions d’étude en milieu LB pouvaient finalement ne pas correspondre aux conditions optimales permettant l’expression d’exlBA.

(1) Afin de localiser le promoteur d’exlBA et déterminer si des promoteurs en amont des gènes RS13155 et RS13160 contrôlaient cette transcription, un interposon oméga comportant des signaux d’arrêt de transcription a été inséré dans chacun de ces deux gènes (Frey and Krisch, 1985 ; Fig. 29.A). L’impact sur l’expression d’exlBA a été mesuré en analysant la cytotoxicité ExlBA-dépendante et, comme le montre la figure 31, après 4h d’infection de cellules épithéliales, la virulence des souches RS13155Ω et RS13160Ω est similaire à celle de la souche WT. Le promoteur d’exlBA se situe donc en aval du gène RS13160, ce qui invalide les promoteurs putatifs P1 et P2 dans ces conditions (Fig. 29.B).

(2) Des profils d’expression hétérogènes ont déjà été rapportés concernant des facteurs de pathogénicité chez diverses espèces bactériennes, dont P. aeruginosa (Vallet-Gely et al., 2005; Dubnau and Losick, 2006; Turner et al., 2009). Cette diversité d’expression peut être due à des modifications génétiques (variation de phase) ou des modifications épigénétiques liées à des systèmes de régulation impliquant des boucles de rétrocontrôle (bistabilité). Ainsi, l’expression du SST3 de P. aeruginosa est connue pour être bistable, phénomène notamment influencé par le niveau intracellulaire en AMPc et le régulateur transcriptionnel Vfr (Marsden et al., 2016).

Pour savoir si l’expression des gènes exlBA était hétérogène au sein de la population, une fusion entre un fragment comprenant les promoteurs P3 et P4 et le gène rapporteur gfp (miniCTX- prom2_exlBA-gfp ; Fig. 29.B) a été utilisée et le signal fluorescent de chaque bactérie de la population a été mesuré par cytométrie en flux avec l’aide de Véronique Collin-Faure. Pour paramétrer les réglages, la souche IHMA87::miniCTX-pX2-gfp, qui synthétise de façon constitutive un niveau élevé de GFP, a été utilisée. Aucune fluorescence n’a été détectée dans la population

Figure 31 : Les promoteurs des gènes amont d’exlBA

n’influent pas sur la cytotoxicité ExlBA-dépendante dans ces conditions d’infection.

Cytotoxicité des souches IHMA87, IHMA87 RS13155Ω et IHMA87 RS13160Ω après 4h30 d’infection de cellules épithéliales A549 à MOI=10. Le gène exlA est inactivé chez la

souche exlA-mut, qui est utilisée comme contrôle négatif (Matériel et Méthodes/Tableau 4). L’expérience a été réalisée en triplicat et les barres d’erreur indiquent l’écart

type standard. (T-test, *** : valeur-p ≤ 0,001 ; ns : non significatif ; les valeurs-p notées au dessus des barres d’erreur indiquent la différence avec la souche sauvage).

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IHMA87::miniCTX-prom2_exlBA-gfp, indiquant que l’expression d’exlBA ne semble pas hétérogène dans ces conditions de test (Fig. 32).

(3) Les problèmes de détection pouvaient être liés au site d’intégration des fusions transcriptionnelles. Il a donc été décidé d’introduire lacZ directement dans le gène exlA sur le génome d’IHMA87 pour créer une fusion chromosomique exlA-lacZ. Ce travail a été réalisé par Julian Trouillon durant son stage de Master 2 en 2017. Comme le montre la figure 33.A, une activité promotrice a été détectée avec la souche IHMA87 exlA::lacZ. Celle-ci est particulièrement faible et stable au cours de la croissance bactérienne ce qui n’est pas en accord avec l’augmentation du niveau en ARNm observée avec CLJ1 par RT-qPCR. Il est possible que les résultats obtenus par RT-qPCR indiquent une variation de la stabilité, et non de la synthèse, des ARNm au cours de la croissance bactérienne.

La souche contenant cette fusion chromosomique a été utilisée ultérieurement pour diverses études et a permis notamment de confirmer que la présence de l’interposon Ω dans les gènes RS13155 et RS13160 n’affectait pas l’activité β-galactosidase et donc n’inhibait pas l’expression d’exlBA en milieu de culture LB (Fig. 33.B). Il est à noter que l’inhibition de la transcription du gène RS13160 induit une très légère augmentation de l’expression d’exlBA. Ce gène codant pour une topoisomérase putative, la protéine RS13160 pourrait avoir un effet sur la conformation de l’ADN et affecter l’expression de l’opéron exlBA dans ces conditions de croissance. Cela n’a pas été exploré au cours de ma thèse.

Au vu de la très faible activité promotrice obtenue avec cette fusion chromosomique, il est finalement probable que les fusions transcriptionnelles construites avec le miniCTX révélaient bien l’activité promotrice d’exlBA mais l’influence du vecteur intégré (dont l’effet du ptet) empêche leur utilisation.

Figure 32 : La fusion prom2_exlBA-gfp ne montre pas d’hétérogénéité d’expression. Mesure de la fluorescence GFP émise par les souches IHMA87::miniCTX-pX2-gfp (contrôle positif), IHMA87::miniCTX-gfp (contrôle sans promoteur) et IHMA87 ::miniCTX-prom2_exlBA-

Résultats

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(4) Pour identifier des conditions de culture propices à une meilleure expression d’exlBA, deux stimuli fréquents d’activation des systèmes TPS, à savoir la déplétion en fer et en phosphate, ont été analysés. Comme le montre les figures 33.C et D, si la chélation de phosphate du milieu de culture n’a eu aucun effet sur l’expression d’exlBA, la déplétion du fer a induit une activation d’un facteur 1,7. J’ai également observé que la transcription d’exlBA était 2 fois plus importante après culture sur gélose LB-agar qu’en culture en milieu LB liquide (Fig. 33.E). Enfin, j’ai souhaité déterminer si le contact avec des cellules eucaryotes pouvait activer l’expression d’exlBA in vivo au cours de l’infection. En effet, il est admis que le contact cellulaire stimule la synthèse du SST3 (Yahr and Wolfgang, 2006). J’ai tenté de comparer par RT-qPCR les niveaux en ARNm ExlB et ExlA d’IHMA87, après contact de cellules épithéliales ou en absence de contact. Cependant, je n’ai pas réussi à m’affranchir d’une trop forte contamination par les ARN eucaryotes et n’ai pu conclure

Figure 33 : Activité promotrice d’exlBA en fonction des conditions de croissance. A-E) Activités β-galactosidase obtenues avec la souche IHMA87 comprenant la fusion chromosomique exlA-lacZ. A) Les bactéries ont été cultivées en LB jusqu’à DO600=1 et 3. B-E)

Les souches ont été cultivées jusqu’à DO600=1 en milieu LB (B), en milieu minimum M9 supplémenté avec une concentration faible en phosphate (« Faible [Pi] ») ou élevée (« Forte [Pi] ») (C), en milieu LB supplémenté (« - Fe3+ ») ou non (« + Fe3+ ») par le chélateur du fer 2,2’- dipyridyl (D) ou ont été cultivées sur la nuit en LB liquide (« liquide ») ou sur gélose LB-agar

(« solide ») (E). Toutes les expériences ont été réalisées en triplicats et les barres d’erreur indiquent l’écart-type standard (T test ; *** : valeur-p ≤ 0,001 ; ** : valeur-p ≤ 0,01 ; ns : non significatif ; les différences avec la souche WT sont indiquées au-dessus des barres d’erreurs).

B. A.

E.

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sur cette potentielle activation suite au contact avec les cellules eucaryotes. Ce point sera plus amplement discuté dans le Chapitre 3 des Résultats.