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2. LE CONTEXTE BÉRINGIEN ET LES DISPERSIONS VERS LE NOUVEAU MONDE

2.4. Les extinctions de la mégafaune

2.4.1. Etat de la question en Amérique du Nord

Un premier argument notable qui vient à l’encontre de la théorie de Martin (1984) est la rareté des sites paléoindiens en Amérique du Nord contenant les restes squelettiques de chacune des espèces disparues en association avec des vestiges culturels. La présence de tels sites archéologiques pourrait soutenir l’idée que les extinctions continentales de ces grands mammifères pléistocènes sont le résultat d’une chasse intensive causée par les premiers américains. Il s’avère cependant que les sites

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d’abattage et de boucherie de la mégafaune sont rares. Après une évaluation systématique et méticuleuse, la liste dressée par Grayson et Meltzer en 2002 ne décomptait qu’une dizaine de sites d’abattage en Amérique du Nord, suffisamment documentés et dont l’association entre chasseurs Clovis et proboscidiens (i.e., mammouth et mastodonte) ne faisait aucun doute. La liste de ces sites archéologiques récemment mise à jour s’élève à 15 sites seulement (Grayson et Meltzer 2015), incluant les sites Wally’s Beach en Alberta (Waters et al. 2015) et El Fin del Mundo au Mexique (Sanchez et al. 2014) (Tableau II). Ce dernier, daté à 13 390 cal BP, constitue la première association découverte à ce jour entre l’outillage lithique de la culture Clovis et les restes squelettiques de deux gomphothères (Sanchez et al. 2014). Au Canada, le site Wally’s Beach, situé au sud des masses glaciaires, juste à l’embouchure du corridor interglaciaire, est le seul site archéologique nord- américain témoignant d’une prédation humaine tournée vers les équidés et les camélidés : sept chevaux et un chameau ont été retrouvés en association avec un matériel lithique (toutefois non diagnostique) et de multiples traces de découpes ont été identifiées sur les restes osseux. Vingt-sept datations radiocarbones ont permis d’estimer l’âge de ce site d’abattage à 13 300 cal BP (Waters et al. 2015).

Au total donc, cinq genres de mammifères pléistocènes aujourd’hui éteints furent victimes de prédation par les chasseurs humains : le mammouth (Mammuthus), le mastodonte (Mammut), le gomphothère (Cuvieronius), le cheval (Equus) et le chameau (Camelops). Bien que ne paraissant pas dans la liste de Grayzon et Meltzer (2015), le paresseux terrestre de Jefferson (Megalonyx jeffersonii) pourrait constituer un sixième genre si l’on décidait d’accepter l’attribution culturelle des traces observées sur un fémur isolé récolté sur le site Firelands (Ohio), et ce, malgré l’absence d’outils lithiques (Waters et al. 2015). Finalement, seulement 5 à 6 genres de mammifères, sur les 37 comptabilisés ayant disparu de l’Amérique à la fin du Pléistocène, sont répertoriés sur des sites d’abattage et de boucherie.

De plus, sur cette trentaine de taxons aujourd’hui éteints, seulement 15 auraient perduré jusque vers 14 000 cal BP, soit aux alentours de l’apparition de la culture Clovis. En d’autres termes, plus de la moitié de ces taxons auraient disparu bien avant l’arrivée des humains, ce qui laisse penser que les extinctions eurent lieu sur une longue période de temps et s’opérèrent avec ou sans la présence humaine (Grayson et Meltzer 2003; Grayson et Meltzer 2015). En outre, le cheval et le chameau étaient bien plus abondants en Amérique du Nord que ne l’étaient le mammouth ou le mastodonte

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(Grayson et Meltzer 2003) et il n’y a pourtant à ce jour qu’un seul site d’abattage prouvant le lien entre chasseurs humains et équidés et camélidés (i.e., Wally’s Beach, AB) contre une douzaine de sites illustrant une association entre humains et proboscidiens (Grayson et Meltzer 2002; Grayson et Meltzer 2015; Guthrie 2006; Waters et al. 2015). La rareté des sites archéologiques témoignant d’une telle prédation humaine ainsi que la faible diversité des taxons victimes de cette prédation continuent de laisser croire que les premiers américains ne furent pas responsables des extinctions massives de la mégafaune à la fin du Pléistocène.

Tableau II : Liste des sites archéologiques nord-américains attestant d’une prédation humaine à la fin du Pléistocène.

Un désaccord s’observe entre Grayson et Meltzer (2015) et Waters et al. (2015) quant à la certitude d’une association culturelle avec le matériel osseux. Au total 15 à 21 sites sont comptabilisés et seulement 5 à 6 genres ont été identifiés sur les 37 éteints au cours du Pléistocène.

Sites approuvés par Grayson et Meltzer (2015)

Wally's Beach, AB Canada Equus, Camelops

El Fin del Mundo, SON Mexique Cuvieronius

Kimmswick, MO Etats-Unis Mammut

Pleasant Lake, MI Etats-Unis Mammut

Blackwater Loc 1, NM Etats-Unis Mammuthus

Colby, WY Etats-Unis Mammuthus

Dent, CO Etats-Unis Mammuthus

Domebo, OK Etats-Unis Mammuthus

Escapule, AZ Etats-Unis Mammuthus

Lange-Ferguson, SD Etats-Unis Mammuthus

Lehner, AZ Etats-Unis Mammuthus

Lubbock Lake, TX Etats-Unis Mammuthus

Miami, TX Etats-Unis Mammuthus

Murray Springs, AZ Etats-Unis Mammuthus

Naco, AZ Etats-Unis Mammuthus

Sites également considérés par Waters et al. (2015)

Manis, WA Etats-Unis Mammut

Lindsay, MT Etats-Unis Mammuthus

Firelands, OH Etats-Unis Megalonyx

Page-Ladson, FL Etats-Unis Mammut

Hebior, WI Etats-Unis Mammuthus

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Toutefois, le répertoire pourrait être enrichi par l’introduction de sites archéologiques dont l’activité de chasse par des humains reste malheureusement non approuvée par l’ensemble de la communauté scientifique, faute de preuves matérielles évidentes ou de documentation descriptive convaincante (Grayson et Meltzer 2015; Waters et al. 2015). Des sites, tels que Manis dans l’Etat de Washington, sont alors sujets à controverse : une côte de mastodonte y a été récoltée et présente un objet figé que les auteurs caractérisent comme une pointe de projectile (Waters et al. 2011b). Le site Manis apporterait alors une preuve supplémentaire de la chasse aux mastodontes par les détenteurs d’une culture pré-Clovis (Waters et al. 2015; Waters et al. 2011b). Considéré comme seul « artefact » du site, Grayson et Meltzer (2015) réfutent cette hypothèse en l’attente de preuves plus convaincantes sur l’identification de l’objet ; selon eux, il pourrait simplement s’agir d’un fragment d’os du mastodonte lui-même ou d’un autre individu suite à un combat agressif en période de must. Les auteurs insistent alors sur l’importance de la rigueur des méthodes analytiques et descriptives.