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Etat des lieux de la « santé génétique » des races canines

La gestion des espèces domestiques en races plus ou moins fermées a contribué à l’efficacité des programmes de sélection des espèces de ferme, notamment en permettant de délimiter les objectifs de sélection, voire de fortement spécialiser les populations. Pour le chien aussi, une telle gestion a eu pour conséquence une accélération de l’évolution morphologique, voire comportementale (Figure 1.4). Au sein d’une population donnée, si la sélection est intense et qu’elle conduit à faire reposer l’avenir sur une élite de reproducteurs réduite sur le plan numérique, alors la consanguinité s’accroît et, de façon concomitante, la variabilité génétique diminue au cours du temps. Ce phénomène est bien étayé par une abondante littérature théorique et est illustré par des bilans a posteriori effectués sur des populations d’élevage (voir, par exemple, Verrier et al., 2005). Dans ce qui suit, nous allons étudier ce phénomène et en analyser les conséquences pratiques dans le cas du chien.

Figure 1.4 -Crânes de chiens de races datant de différentes années (de haut en bas) : A : Saint-bernard (1850, 1921, 1967), B : Bull terrier (1931, 1950, 1976), C : Terre-Neuve

1) Phénomènes susceptibles de faire évoluer la variabilité génétique des populations canines

Dans les conditions actuelles d’élevage des races canines, plusieurs mécanismes peuvent avoir des répercussions sur la variabilité génétique :

- Indépendamment de toute sélection, la dérive génétique tend à faire disparaître certains allèles du fait du hasard. Les effets de la dérive génétique ont d’autant plus d’ampleur que les effectifs de reproducteurs utilisés à chaque génération sont petits. Dans le cas des races canines élevées en France, ces effectifs peuvent varier d’une poignée d’individus (Barbet, Braque de l’Ariège) à près d’une dizaine de milliers (Berger allemand), avec des fluctuations au cours du temps. La dérive génétique se traduit par l’instauration d’un apparentement au sein de la population, une augmentation de la consanguinité et une diminution concomitante de la variabilité génétique.

- La sélection et l’utilisation qui s’en suit des reproducteurs sélectionnés, en limitant le nombre de reproducteurs au sein d’une cohorte, et en privilégiant la descendance de certains individus, accentue généralement le phénomène de dérive génétique. Ceci est particulièrement important dans le cas de la sélection artificielle. En France, certains étalons ont eu plus d’un millier de descendants directs, alors que la moyenne de descendants par mâle se situe autour de 10 à 20 chiots.

- Les unions entre apparentés, conduisant à la naissance de produits consanguins, ont été et sont encore employées volontairement par les éleveurs de chiens. Une première idée sous-jacente est la perspective de « concentrer » les caractères positifs d’un ancêtre, en multipliant sa présence au sein de l’ascendance d’un individu. Notons que cette pratique peut tout autant conduire à une « concentration » des caractères négatifs. Un second motif est la recherche d’une relative homogénéité des produits pour certains caractères, comme la morphologie (Denis, 1997). Les éleveurs distinguent au moins deux modalités d’une telle pratique : le close-breeding, qui consiste à faire se reproduire entre eux des proches apparentés, tels que des demi ou pleins frères-sœurs, et le line-

breeding, qui consiste à rechercher dans le pedigree du mâle et de la femelle la présence

simultanée, parfois sur plusieurs générations, d’un ancêtre donné. Cette recherche de l’homogénéité conduit bien évidemment à une perte de variabilité génétique.

- Au sein d’une race donnée, il est fait parfois appel à des reproducteurs issus d’un noyau étranger de la même race, voire à des reproducteurs appartenant à une autre race. Ces phénomènes de migration, ou de croisement (retrempe), ont tendance à accroître la

variabilité génétique, dès lors que la structure génétique de la population extérieure est sensiblement différente de celle de la population d’accueil.

Ces différents phénomènes jouent selon une ampleur variable d’une race à l’autre, en fonction de la situation démographique, des usages et de l’organisation de la sélection.

2) Effets de la perte de variabilité génétique au sein des populations canines

En dehors de la migration, les phénomènes vus plus haut ont pour effets une modification de la structure familiale d’une population et, à terme, la disparition de certains allèles et la fixation d’autres, ainsi que l’accroissement de la fréquence des individus homozygotes. Ce dernier point induit, d’une part, la hausse de l’incidence des affections à déterminisme génétique simple et, d’autre part, la dépression de consanguinité.

Dans toutes les espèces, un grand nombre d’anomalies, souvent létales, à déterminisme variable, sont connues. Chez le chien, en 1993, ce sont près de 400 anomalies héréditaires qui étaient répertoriées (Patterson, in Nielen et al., 2001). Dans le cas le plus simple, un seul gène, biallélique, est en cause, l’allèle induisant l’anomalie étant récessif, et les conditions de milieu n’intervenant pas, ou à la marge, sur la manifestation de l’anomalie. Au sein d’une population, la hausse de la fréquence des homozygotes, sous l’effet de l’élévation de la consanguinité par exemple, entraîne « mécaniquement » un accroissement de l’incidence de ces anomalies. L’utilisation à grande échelle de certains étalons, dès lors qu’ils sont porteurs sains (hétérozygotes) d’un allèle délétère, entraîne un accroissement de la fréquence de cet allèle dans la population. Les affections héréditaires sont en conséquence devenues une préoccupation de plus en plus importante pour les éleveurs et les propriétaires de chiens (Meyers-Wallen, 2003). A l’heure actuelle, les grilles de sélection de la plupart des clubs prennent en compte le statut des chiens vis-à-vis des affections importantes connues au sein de la race.

La dépression de consanguinité relève d’un phénomène similaire, mais touche des caractères à déterminisme complexe, dont la moyenne tend à décroître lorsque la consanguinité s’élève. Chez les animaux, elle est particulièrement marquée pour les aptitudes de « fitness » (survie des jeunes après la naissance, …) et de reproduction (fertilité, taille de portée, …) (Falconer, 1974). En ce qui concerne l’espèce canine, Ubbink et al. (1992) ont pu mettre en évidence une relation significative entre la consanguinité et les risques d’apparitions de certaines maladies, héréditaires ou non (ostéochondrose, allergies auto-immunes, allergies

allimentaires) chez le Bouvier des Flandres. Une autre étude (Mäki et al., 2001) a aussi permis de démontrer chez les Bergers allemands et Labrador Retrievers une corrélation entre le coefficient de consanguinité et le degré d’atteinte de la dysplasie de la hanche. Enfin il semble que la consanguinité ait un effet significatif négatif sur la taille des portées (Oliehoek

et al., 2004) ainsi que sur la mortalité au sein de ces dernières (Van der Beek et al., 1999).

La diminution de la variabilité génétique a aussi pour conséquence de réduire la capacité d’une population à évoluer, et notamment à répondre à une réorientation des objectifs de sélection.

V. Conclusion

Les circonstances ayant présidés à la domestication et à la différenciation des populations canines sont finalement peu connues et encore discutées. Encore actuellement, les mécanismes impliqués dans la sélection et la gestion des races canines sont assez mal définis, ces derniers n’ayant jusqu’à présent été que peu étudiés. En revanche, il est difficile de ne pas constater à quel point la mise en place d’une sélection, basée sur des races isolées, a accéleré cette différenciation, et paradoxalement a fragilisé les populations raciales. Dans le cas des races canines, la situation pourrait avoir pour conséquence d’ici quelques années la fixation d’affections héréditaires au sein de certaines races. Ceci est d’autant plus inquiétant dans un contexte legislatif de prise en compte du bien-être animal, qui pourrait amener à l’interdiction de certaines races dont les caractéristiques pourraient être considérées comme en contradiction avec le bien-être. Le fait qu’une affection héréditaire soit prédominante au sein d’une population pourrait constituer une raison pour interdire l’élevage de la race en question. Si nous voulons continuer à élever ces races, sans sacrifier des populations devenues trop vulnérables génétiquement pour survivre sans des retrempes massives, il convient de sélectionner en prenant en compte cette diversité, ainsi que la nécessité de son maintien.