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et reconfigurations des institutions villageoises (1934-1980)

Chapitre 7

La réforme agraire cardéniste et la construction d’un nouveau régime

de gouvernementalité rurale (1934-1950)

Le rôle dévolu aux différentes instances de gouvernance territoriale (Etat fédéral, Etats fédérés, municipalités) a constitué un enjeu central dans la mise en œuvre de la réforme agraire mexicaine. Le contrôle des procédures d’expropriation et d’allocation foncière aux communautés paysannes constituait pour ces différents pouvoirs un levier essentiel de légitimation et de reconstruction des rapports politiques dans les espaces ruraux dans le contexte de remise à plat des mécanismes institutionnels de gouvernementalité qui a suivi le conflit révolutionnaire. Cette partie examine la façon dont l’Etat central est parvenu à imposer son autorité aux gouvernements provinciaux et locaux, à travers la construction d’alliances avec certains secteurs sociaux des communautés paysannes et la mise en place de dispositifs qui organisaient la mise en rapport directe de ces secteurs avec l’appareil étatique, en marginalisant les niveaux intermédiaires de gouvernance. Les dynamiques politiques à l’œuvre au cours des années 1920 dans les Tuxtlas ont montré à l’envi combien les formes initiales de mise en œuvre des lois de réforme agraire étaient subordonnées aux stratégies de consolidation des pouvoirs locaux et régionaux surgis de la guerre civile révolutionnaire et enchâssées dans des logiques persistantes de (re)construction de territoires politiques – municipaux, communautaires – autonomes vis-à-vis de l’État central. Au début de la décennie de 1930, ces situations apparaissaient comme un défi à l’institutionnalisation d’un État national légitime et capable d’instaurer ses propres régulations dans la construction des pactes de gouvernance à l’échelle des différentes régions du pays. La crise mondiale de 1929, en affaiblissant les bases des coalitions régionales, dont la structure était marquée par l’influence persistante des élites exportatrices agricoles et minières, a posé les conditions d’une inversion du rapport de forces entre l’État national et les complexes politico-économiques régionaux, en même temps qu’elle établissait la nécessité d’une révision radicale de la structure de répartition des ressources et des richesses au sein de la société mexicaine.

La réforme agraire, dans les formes et l’extension socio-spatiale qu’elle a connues au Mexique à partir de 1934, est dans une très large mesure une conséquence de cette grande crise des échanges internationaux. Mais elle est aussi rapidement devenue le ciment d’un projet de construction étatique et un instrument central de diffusion d’un régime de gouvernementalité dont la mise en place est indissociable du mandat présidentiel du général Lázaro Cárdenas (1934-1940). À l’issue de cette période de gouvernement, le régime politique si particulier du Mexique, qui se prolongera au prix d’aménagements graduels, mais de faible amplitude pendant plus d’un demi-siècle, a acquis ses caractéristiques fondamentales.

L’accès de Cárdenas au pouvoir suprême correspond à la période de reditributions de terre la plus intense dans l’histoire mexicaine. Sous son mandat, entre 1935 et 1940, ces redistributions affectent une surface double de celle qui avait été allouée au cours des vingt années précédentes – 20,1 et 11 millions d’hectares respectivement (Gilly, 1971 : 359 ; Sanderson, 1984 : 164-165). On assiste alors à une reprise en main de la politique agraire par l’Etat fédéral, qui en a fait une prérogative exclusive d’une administration centralisée, dont le fonctionnement laisse un rôle marginal aux gouvernements provinciaux et aux municipalités. La réforme agraire est alors mobilisée comme un instrument d’incorporation des communautés paysannes à un projet unifié d’Etat-Nation, planifié et mis en œuvre de façon centralisée. L’une de ses dimensions les plus significatives à cet égard consiste dans la formation de communautés de taille réduite1, dont la multiplication et la fragmentation correspondent au démantèlement des organisations et des structures communales étendues que les processus antérieurs de réforme agraire avaient revitalisées. Les Tuxtlas ont constitué un champ d’expression particulièrement illustratif de cette dynamique.

Cette troisième partie s’intéresse à la façon dont la réforme agraire a été mobilisée dans le cadre de l’entreprise de construction étatique et de reformulation des rapports entre l’État, les organisations politiques municipales et les différentes composantes sociales des communautés rurales. Son premier volet (chapitre 7) s’attache aux formes particulières que les processus locaux de sa mise en œuvre ont imprimées aux structures politiques, économiques et territoriales dans la région des Tuxtlas. Il examine en particulier les jeux d’alliance et de confrontation que l’offre étatique de changement institutionnel (de changement dans les “règles du jeu” dans l’accès aux ressources naturelles et politiques) a impulsés dans les arènes villageoises et municipale à San Andrés Tuxtla. Au cours des années 1917 à 1930, les lois de réforme agraire avaient été perçues par les dirigeants locaux des mouvements révolutionnaires comme une opportunité de reconstruire une communauté auto-gouvernée, via la restitution de terres communales. Leur mise en œuvre à une échelle large et systématique à partir de 1934 a été l’occasion d’actualiser ces logiques d’autonomisation au niveau de groupes qui se trouvaient eux-mêmes en situation de subordination vis-à-vis des pouvoirs villageois et municipaux issus des luttes révolutionnaires. Les procédures de dotation de terres expropriées ont ouvert un champ d’expression aux stratégies d’émancipation des acteurs villageois qui avaient peu à gagner dans la reconstitution de pouvoirs patriarcaux de type traditionnel. Nous verrons que les processus ultérieurs d’expropriation et de redistribution des terres des grands domaines qui contrôlaient encore une portion prédominante du territoire tuxtlèque à l’orée des années 1930 n’ont que marginalement vérifié l’iconographie officielle d’une réforme agraire au service des travailleurs et métayers de ces domaines. L’analyse classique d’un processus s’appuyant sur les structures de peuplement existantes est d’ailleurs infirmée par des études montrant que la réforme agraire a coïncidé avec un vaste mouvement de recomposition démographique et territoriale (voir en particulier Cambrézy 1992).

Ce chapitre décrit la situation de co-production de la politique foncière dans les Tuxtlas, en prise avec les logiques d’autonomisation des acteurs locaux, qui les conduisent à se positionner sur de nouveaux espaces fonciers et à y entreprendre une démarche de construction politique et territoriale. Plus largement, au-delà de la focale placée sur la production d’une politique publique, il s’agit d’analyser les processus de construction réciproque, symétriques et adossés l’un à l’autre, de l’État national, incarné dans ses dispositifs d’ancrage et de représentation locale, et de la communauté rurale, intégrée à un champ politique national unifié. Cette analyse mobilise la notion de frontière interne développée par Frederick Jackson Turner (1893) en référence au rôle structurant du processus de colonisation de l’Ouest américain dans la formation de la culture nationale et le façonnage des institutions aux États-Unis entre les XVIIe et XIXe siècles. Ce modèle de front de

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Alors que les surfaces redistribuées ont atteint sous l’administration de Cárdenas le double de celles qui avaient été allouées aux communautés paysannes entre 1915 et 1934, le nombre de ces communautés a été multiplié par cinq et le nombre de ménages bénéficiaires s’est accru de 82% seulement (Gilly, 1971 : 359 ; Sanderson, 1984 : 164-165).

La frontière interne en marche

colonisation (tidal frontier), balayant d’Est en Ouest le continent nord-américain, a été adapté par Igor Kopytoff (1987 et 1999) pour analyser les caractères transversaux des cultures politiques africaines associés aux dynamiques systémiques récurrentes de scission des groupes sociopolitiques et d’occupation des frontières “interstitielles” entre ces groupes.

La réforme agraire a revêtu dans les Tuxtlas des formes qui évoquent le processus de frontière interne analysé par Kopytoff en référence aux situations africaines, en dépit des différences de contexte relatives aux densités de population, aux processus historiques d’appropriation de la ressource foncière et au rôle de l’État dans ces processus. Sa mise en œuvre à une large échelle sous le gouvernement de Lázaro Cárdenas a en effet contribué à construire des situations de “lacune institutionnelle” sur certains espaces, légitimant l’éviction d’une partie de leurs occupants et leur colonisation par des acteurs qui trouvaient dans la politique de l’État central les moyens de contourner les pouvoirs opérant dans leur société d’origine. Ces acteurs ont entrepris à leur profit un processus original de construction institutionnelle, où les normes coutumières d’accès aux ressources foncières se combinaient aux règles officielles de représentation et de gestion politique. Comme dans le modèle africain de Kopytoff, deux éléments ont structuré ce processus de frontière interne dans les Tuxtlas : d’une part, l’intervention d’“entrepreneurs politiques” s’insérant dans la conduite de la politique agraire comme dans un marché, dont il s’agit de conquérir des parts et d’y consolider une clientèle, afin de construire de nouveaux territoires et de les gouverner ; et d’autre part, l’absence de rupture marquée avec la société d’origine, où l’entrepreneur mobilise les éléments humains et institutionnels qui lui permettent de légitimer et de pérenniser sa démarche. Le cas mexicain se distingue toutefois des situations africaines par le rôle structurant joué par l’État en construction, à la fois en tant que source principale du changement institutionnel dans les régulations foncières et politiques locales, et comme source fondamentale de légitimation ou de déchéance des dirigeants qui émergent du processus de réforme agraire. Il présente de la sorte de fortes similitudes avec les situations de “colonisation interne” de ses marges rurales par l’État français, entre 1870 et 1914, décrites par Eugen Weber (1983), lorsque l’intégration des sociétés locales à l’espace national, des “terroirs”, a fait l’objet de la mise en place de dispositifs spécifiques d’ancrage des institutions et des administrations de la Troisième République2.

L’exemple des Tuxtlas s’inscrit ainsi dans une perspective d’élargissement du modèle de frontière interstitielle de Kopytoff : l’existence d’un État national, qui s’est consolidé au long du XXe siècle, ainsi que l’insertion des processus considérés dans une économie marchande qui, elle aussi, n’a cessé de se renforcer, ont imposé des conditions d’innovations institutionnelles originales qui ont remodelé la culture politique des sociétés concernées. De ce point de vue, la réforme agraire dans les Tuxtlas peut être lue comme résultant de deux “logiques” superposées de frontière. Pour les acteurs ruraux, en premier lieu, les frontières interstitielles constituent les champs d’expression des stratégies de scission, d’autonomisation sociale et de promotion individuelle travaillant les sociétés indiennes. Pour l’État central ensuite, la construction d’une frontière politique interne lui permet de placer les communautés paysannes dans sa sphère de contrôle, à travers des dispositifs d’intervention et de représentation spécifiques (voir Weber, 1983). Ces deux logiques se sont renforcées mutuellement à travers leurs complémentarités fonctionnelles.

Ce chapitre ne vise pas pour autant à présenter la réforme agraire comme un processus uniforme, conduisant à la mise en place d’un système de gouvernance rurale monolithique. Un ensemble de

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Selon Weber, “l’entrée en politique” de la paysannerie française, son incorportaion à l’espace politique national se seraient produites entre 1880 et la veille de la Grande Guerre. Elles auraient été contingentes de l’expansion spatiale d’un ensemble d’institutions, parmi lesquelles l’Ecole républicaine et laïque, le service militaire universel et obligatoire, l’implantation de l’administration agricole ou le développement du réseau ferré auraient contribué à former un maillage territorial dense, à la fois administratif et institutionnel, qui a revêtu les attributs d’un processus de colonisation interne des régions rurales et d’ancrage local et régional de l’Etat républicain. Le titre original de l’ouvrage d’Eugen Weber (Peasants into Frenchmen. The Modernization of Rural France, 1870-1914, Stanford CA, Stanford University Press, 1976) rend à cet égard davantage justice à son contenu thématique.

travaux empiriques montre à quel point la proposition du régime cardéniste de reconfigurer les institutions foncières et sociopolitiques rurales a fait l’objet dans certaines régions de processus multiples d’évitement ou de confrontation ouverte de la part d’acteurs collectifs qui revendiquaient un projet autonomiste (voir à ce sujet Nugent & Alonso, 1994 ; Velázquez, 2006). D’autres ont montré la diversité de ses processus d’appropriation et de ses expressions, au-delà de son imposition formelle aux sociétés régionales, ainsi que le rôle joué par les intermédiaires politiques issus du milieu paysan dans ces expressions (voir notamment Friedrich, 1981 ; Salmerón, 1989 ; Rus, 1995 ; Zendejas, 1995 et 2003).

La démarche que je développerai dans ce chapitre considère la production de la réforme agraire et ses expressions socio-spatiales comme un processus d’interaction et de négociation entre des acteurs individuels et collectifs, mus chacun par des intérêts et des objectifs propres et relevant de deux champs particuliers d’organisation et d’action. Il s’agit, d’une part, des agences étatiques (administration de la réforme agraire, banque de développement, gouvernement de l’État de Veracruz) et paraétatiques (syndicats paysans incorporés au système de représentation corporative caractéristique du Mexique post-révolutionnaire) mobilisées dans le projet cardéniste de reconfiguration sociopolitique du milieu rural ; et, d’autre part, des organisations sociales (familles et communautés rurales, élites agraires et commerciales régionales) concernées par la mise en œuvre de ce projet dans les espaces locaux. Cette approche conduit à considérer les institutions (de gouvernement politique et foncier, de marché) issues de la politique de réforme agraire non comme le produit d’un transfert de règles officielles, mais comme la résultante de processus contextualisés de superposition et d’hybridation de ces règles officielles, des normes locales et des arrangements pragmatiques mis en œuvre par les opérateurs gouvernementaux et les acteurs des sociétés rurales pour organiser leurs interactions3.

Segmentation des organisations vilageoises et activation d’une frontière interne : la fragmentation politique du territoire municipal

L’ejido comme modèle d’intégration de la communauté rurale à la société nationale Au cours des quinze années qui suivirent la promulgation de la constitution de 1917, la réforme agraire et les distributions de terre effectuées par les premiers gouvernements postrévolutionnaires ont eu pour objectif principal de fournir aux paysans des moyens de (sur)vie, sans remettre radicalement en cause la structure distributive inégalitaire des ressources foncières, ni les grandes structures de production sur lesquelles reposaient à la fois l’approvisionnement des marchés agricoles internes et externes, ainsi que le fonctionnement des systèmes politiques régionaux. Les lopins alloués aux bénéficiaires de la réforme ne dépassaient pas quatre hectares et concernaient majoritairement des terres de moindre qualité agronomique ; ils ne visaient pas à permettre l’émergence d’une agriculture familiale autonome, mais étaient destinés à assurer l’alimentation des ménages paysans sans remettre en cause leur incorporation aux marchés de travail organisés par les grandes structures de production marchande (Gilly, 1971 ; Mackinlay, 1991 ; Warman, 2001).

Au début des années trente, tant la situation économique nationale et internationale que l’évolution des rapports de force entre l’État central et les pouvoirs régionaux représentés dans les gouvernements des États de la fédération conduisent à réviser la position de certaines élites nationales vis-à-vis de la réforme agraire et de son rôle sociétal. La grande crise économique qui se

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Il s’inscrit à cet égard dans la continuité des réflexions proposées par Mallon (1995), Rus (1995), Zendejas (1995 et 2003) ou Nuijten (2003).

La frontière interne en marche

déclenche en 1929 se traduit par un effondrement des recettes d’exportation et un affaiblissement notable des oligarchies foncières. Elle conduit la coalition qui arrive au pouvoir en 1934, derrière la figure de Lázaro Cárdenas, à opérer un revirement de la politique économique nationale, en abandonnant le modèle d’insertion dans les marchés internationaux des matières premières agricoles et minières, qui avait caractérisé la période porfirienne, au profit d’une stratégie d’industrialisation par substitution des importations, qui confère un rôle central au développement des marchés intérieurs. Elle réduit par ailleurs considérablement les marges de manœuvre des pouvoirs régionaux et remet en question les alliances instables qui avaient pu se constituer, sur une base locale ou provinciale, entre les caudillos révolutionnaires, les élites entrepreneuriales commerciales et agraires et les gouvernements municipaux.

Les leviers idéologiques4 de l’action du gouvernement cardéniste sont ceux d’un nationalisme populaire, dans le cadre duquel l’État s’assure la maîtrise de l’accès aux ressources et joue le rôle d’agent principal du développement et de l’intégration économique et sociale (Bizberg, 2004). Ces fonctions passent par la nationalisation de ressources stratégiques pour en organiser la distribution sous une forme centralisée : les terres nécessaires aux familles paysannes ; les ressources minières et pétrolières (qui seront nationalisées en 1938, dans un acte symbolique du “nationalisme révolutionnaire”), ainsi que les sources d’eau ; des secteurs de la banque et de l’assurance. Elles s’appuient en outre sur la mise en place d’une nouvelle élite technocratique, déconnectée des pouvoirs régionaux, et sur la consolidation d’organisations syndicales unifiées, dont la fonction est de canaliser et transmettre au plus haut niveau de l’État les demandes des différents secteurs de la population : paysan, ouvrier, populaire urbain, classes moyennes et employés de l’État.

La réforme agraire devient alors un instrument essentiel de cette politique. En premier lieu, les lois de réforme agraire, qui dans leur formulation initiale limitaient leur champ d’application aux ressortissants des villages dépossédés de leurs terres communales à la faveur des lois libérales du XIXe siècle, sont modifiées dès 1934 et l’élection de Cárdenas, afin de rendre les distributions de terre accessibles aux travailleurs des haciendas. Mais, au-delà de ses fonctions de justice sociale et de ses effets attendus en termes de développement du marché intérieur, la réforme cardéniste va aussi devenir la poutre maîtresse de la politique cardéniste de fragmentation des espaces politiques et de mise sous tutelle des pouvoirs régionaux et locaux. Elle opère comme un levier de reconfiguration des organisations politiques et territoriales qui caractérisaient le Mexique rural depuis l’époque coloniale. Elle affecte en premier lieu les très grandes structures de propriété et conduit à l’élimination des oligarchies foncières dans la quasi-totalité des régions du pays. À partir de 1940, ces dernières ne jouent plus aucun rôle politique notable au niveau national. Les intérêts des bourgeoisies régionales se recentrent majoritairement sur les secteurs commerciaux et industriels urbains, où l’État crée des incitations à l’investissement privé à travers la protection des marchés intérieurs et la mise en place d’un système centralisé de construction et de distribution de rentes, qui trouvera une expression achevée sous la présidence de Miguel Alemán (1946-1952).

En second lieu, le mode de distribution des terres expropriées tend à effacer les traces des structures territoriales qui préexistaient à la formation de l’État postrévolutionnaire, qu’il s’agisse des grandes propriétés ou des communautés indiennes. La stratégie cardéniste de réforme agraire procède de façon à contourner les institutions sociopolitiques existantes, communautés et municipalités, au profit d’une relation directe entre l’administration fédérale et des groupements de paysans dont les représentants locaux de l’État organisent la constitution et formalisent l’existence. Dans une majorité des États du pays, et notamment dans le Veracruz, les procédures de dotations foncières tendent à démembrer et à briser l’autonomie fonctionnelle des structures territoriales en place : les propriétés latifundiaires en premier lieu, mais aussi les anciennes organisations communautaires, dont les terres sont réparties entre plusieurs ejidos de taille réduite, indépendants les uns des autres. Les procédures administratives, désormais centralisées au niveau d’une agence fédérale unique, le

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J’emploie ici la notion d’idéologie au sens que lui attribue Louis Dumont (1977), c’est-à-dire en tant que système de valeurs de référence dans une situation donnée.

Département des Affaires Agraires et de la Colonisation (DAAC), instaurent par ailleurs une relation de subordination entre les groupes de demandeurs de terre, d’une part, l’État, ses différentes administrations et ses organes satellites (les syndicats paysans affiliés au parti officiel, PRM, puis PRI), d’autre part (voir à ce sujet Warman, 1976 et 2001 ; Bartra, 1985 ; Gordillo, 1988 ; Mackinlay, 1991). Cette prise en main du processus de réforme agraire par les bureaucraties administratives et syndicales incorporées à l’État fédéral va de pair avec le renforcement et la formalisation des régulations officielles régissant le fonctionnement des ejidos (Encadré 7.1). Ces régulations attribuent un rôle central à un ensemble d’instances locales dont la constitution et le fonctionnement sont

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