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Estimations publiées des stocks actuels de carbone dans les sols agricoles français

Partie 2. Usages du sol, stockage de carbone et effets connexes : état de l’art

2.1.5. Estimations publiées des stocks actuels de carbone dans les sols agricoles français

(D. Arrouays)

Les stocks de carbone dans les sols sont en constante évolution sous l’effet de facteurs naturels (climat, végétation, teneur en argile et caractéristiques hydriques du sol...) et anthropiques (impacts locaux des usages des sols...). De cette combinaison de facteurs résulte une forte variabilité spatiale de ces stocks. Ainsi, toute tentative de bilan global, ou de suivi de leur évolution, doit nécessairement prendre en compte cette dimension spatiale.

La nécessité de développer des outils d’estimation adéquats est d’autant plus forte que la population de sols, au sens statistique, est très faiblement échantillonnée. Les estimations des stocks sont classiquement fondées sur des calculs statistiques réalisés par unités cartographiques. Ces unités cartographiques peuvent concerner uniquement le sol, ou bien faire appel à des combinaisons sol/végétation.

2.1.5.1. Méthodologie d’estimation des stocks

Pour réaliser une telle estimation sur la France, nous avons réuni dans une base de données géoréférencées l’ensemble des données ponctuelles concernant les stocks de carbone des sols du territoire. Nous produisons des estimations spatialisées des stocks de C des sols de France et nous réalisons leur évaluation globale sur le territoire.

Nous avons réalisé une extraction et une mise en forme de toutes les données ponctuelles (environ 19 000 mesures) géoréférencées sur le carbone des sols disponibles dans des bases de données : - la base de données DONESOL développée dans le cadre du programme Inventaire, Gestion et Conservation des Sols. Nous avons retenu les profils qui comprennent au moins les données de carbone de l’horizon superficiel et la variable argile ;

- la base du réseau RENECOFOR. Nous avons récupéré les coordonnées et les données pédologiques des 102 placettes forestières ;

- la base du Réseau Européen de suivi des Dommages Forestiers. La base de données géoréférencées et les calculs de stocks de C ont été intégrés dans notre base. Cette base présente l’avantage d’être géographiquement "non biaisée" du fait de sa constitution à partir d’une grille régulière (16x16 km, 540 points) ;

- la base de données d’analyses d’horizons de surface (labour) de sols agricoles (ANADEME) en cours de constitution à l’INRA d’Orléans, dans le cadre d’une convention avec l’ADEME portant sur les teneurs en métaux lourds des sols agricoles de France ;

- la base de données géoréférencées d’analyses de terre de l’ISA de Lille.

Au total, nous utilisons ici plus de 19 000 données géoréférencées sur le carbone des sols de France.

Profondeur prise en compte

Pour calculer les stocks de C sur une base comparable dans toutes les situations, nous avons intégré ces derniers sur une profondeur de 30 cm., et sur les horizons organo-minéraux, à l’exclusion de la litière sous forêt. Les raisons de ce choix sont les suivantes :

- nous avons privilégié les stocks susceptibles d’être significativement influencés par un changement d’usage. Il a en effet été montré que ces variations de stocks s’exprimaient essentiellement dans les couches de surface ;

- nous avons voulu adopter une base de comparaison commune aux diverses situations. Compte tenu du nombre relativement faible d’analyses de C pour les horizons profonds, des calculs comparatifs sur de plus grandes profondeurs auraient eu une faible signification ;

- nous n’avons pas pris en compte les stocks contenus dans la litière humique de surface. Ces stocks, composés essentiellement de matière organique peu évoluée, sont en effet relativement peu stables et susceptibles d’évoluer rapidement sous l’effet de pratiques sylvicoles (par exemple, éclaircie, coupe- rase) ou lors d’un changement d’usage. Une estimation des stocks contenus dans les humus forestiers est par ailleurs disponible dans le rapport de Belkacem et al. (1998), ainsi que dans des articles de Dupouey et al. (1999) et Pignard et al. (2000).

Estimations des densités apparentes

Pour calculer un stock, il est nécessaire de rapporter les teneurs pondérales en C à un volume donné en utilisant la densité apparente.

- Lorsque cette dernière était estimée dans les bases de données fournies (i.e. certains profils de la base "Réseau Européen de suivi des dommages forestiers"), nous avons retenu cette estimation établie à partir de régressions (Belkacem et Nys, 1998).

- Lorsque les données n’étaient ni disponibles, ni estimées :

. pour les sols forestiers, nous avons utilisé des estimations fondées sur les régressions développées par Belkacem et al. (1998),

. pour les terres cultivées, les prairies et les vignes et vergers, nous avons tenté – sans résultat significatif – d’établir des régressions selon un principe similaire. De fait, les horizons supérieurs de ces sols ayant le plus souvent subi l’action des outils et/ou du piétinement, il n’existe plus de relation stable entre les paramètres constitutifs de ces horizons et leur densité apparente. Aussi avons-nous affecté à ces horizons la valeur moyenne de densité apparente calculée dans chacune de ces trois situations (terre arable, prairie, verger).

Les calculs ont été réalisés couche par couche, en tenant compte d’une correction relative aux éléments grossiers, puis intégrés sur la profondeur 0-30 cm. Lorsque l’une des couches analysées (zA à

zD) présentait des profondeurs d’apparition (zA) et de disparition (zD) respectivement inférieure et

supérieure à 30 cm, nous avons estimé le stock de la couche zA par simple règle de trois :

stock (zA-30) = stock( zA - zD )* (30 - zA ) / ( zD - zA )

2.1.5.2. Premières estimations statistiques des stocks

Compte tenu des observations formulées plus haut, nous avons calculé pour chacune des combinaisons sol/occupation, et lorsque le nombre d’observations le permettait, les paramètres statistiques classiques (moyenne, médiane, écart-type, coefficient de variation, quartiles, minimum, maximum). Toutes les distributions se caractérisent par les propriétés suivantes :

- des coefficients de variation très élevés, le plus souvent compris entre 30 et 80%, mais pouvant dépasser 80% dans certains cas. Ces coefficients de variation montrent qu’en première approximation, en utilisant la loi de Snedecor et Cochran (1967), il faudrait en moyenne plus d’une centaine de mesures pour estimer la valeur moyenne d’une combinaison avec une précision de 10%. Ainsi, même si l’ordonnancement des stocks des différentes combinaisons sol/occupation apparaît logique, il convient de relativiser la valeur absolue des chiffres produits pour les postes ayant peu d’échantillons ; - des distributions dissymétriques de type Log-normales, légèrement étirées vers les valeurs fortes. Nous avons réalisé des regroupements par type de sol, ou par type d’occupation, afin de mieux visualiser séparément les effets respectifs de ces deux déterminants.

Stocks de C selon les modes d’occupation

Pour chaque occupation, une moyenne pondérée a été réalisée, en tenant compte de la surface relative de chaque type de sol, et réciproquement.

On constate sur la figure 2-11 l’effet majeur des types d’occupation.

Vignes et vergers se distinguent nettement par des stocks plus faibles : ces cultures se caractérisent par des restitutions organiques très faibles, et parfois par un désherbage généralisé ; il faut aussi garder à l’esprit que les vignes ne sont généralement pas établies sur n’importe quel type de sol et sous n’importe quel climat. Comme on pouvait s’y attendre, les terres arables sont caractérisées par des stocks relativement faibles également. Toutefois, ceci représente la première estimation statistique des stocks moyens en situation cultivée (43 tC.ha-1). Il est remarquable de noter que notre estimation

moyenne est très voisine de celle (40 tC.ha-1) de Balesdent et al. (1996). Les prairies et les forêts présentent des stocks extrêmement voisins, proches de 70 tC.ha-1. Ce chiffre est également celui donné par Balesdent et al (1996) pour les forêts, mais est légèrement supérieur pour les prairies (67,5 tC.ha-1 ici, contre 60 dans le rapport de Balesdent et al.). Quoi qu’il en soit, ces chiffres montrent que si l’on exclut la litière, le potentiel de stockage des sols pour ces deux utilisations (prairies et forêt) est extrêmement voisin.

Par ailleurs, la distinction feuillus/résineux ne permet pas de séparation nette en ce qui concerne le stockage dans la couche 0-30 cm. Ce dernier point avait été déjà noté par Belkacem et al (1998), qui montrent des différences importantes selon les espèces au sein des groupes feuillus et résineux.

Enfin, les stocks les plus importants sont présents dans les pelouses d’altitude et les zones humides, ce qui conforte la théorie générale sur l’effet de la température et de l’anoxie sur la minéralisation du carbone.

Occupations et stocks de carbone organique des sols (0-30 cm)

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

vigne/verger terre arable

lande

résineux feuillus occup.

complexe prairie forêt mélangée pelouse zone humide Stock (T/ha)

Figure 2-11. Stocks de carbone des sols et occupations du sol. Les stocks de carbone déterminés ne sont pas à

l'équilibre avec l'occupation du sol, mais correspondent à des moyennes mesurées.

Stocks de C selon les types de sol

Les évaluations de stock par type de sol sont présentées figure 2-12.

Les stocks les plus importants sont observés pour les situations les plus argileuses (vertisols, Solonchaks), hydromorphes (Gleysols, histosols), à allophanes (Andosols, Phaeozems), à climat froid (Rankers, et une partie des Andosols). A l’opposé, les stocks les plus faibles se rencontrent dans les situations où les teneurs en argile sont faibles (Arenosols, Podzoluvisols, Luvisols), ou dans le cas de sols squelettiques (Lithosols, Regosols).

Deux exceptions notables à ces règles liées aux teneurs en argile et à la profondeur sont observées : - Les Rendzines, malgré leur faible profondeur et leur forte charge en éléments grossiers, présentent des stocks moyens. Il faut y voir un effet des fortes teneurs en calcaire sur la protection du carbone vis-à-vis de la minéralisation et/ou de l’érosion.

- A l’inverse, les Podzols, malgré leur teneur très faible en argile, sont également caractérisés par des teneurs moyennes. Il faut y voir probablement un effet de la proportion en forêt, ainsi que l’influence de l’acidité sur la limitation de l’activité microbienne, et celle d’une stabilisation chimique liée aux fortes quantités d’aluminium échangeable. Jolivet et al. (1997) ont ainsi montré dans les Landes de

Gascogne que les composés organiques des podzols présentaient une stabilité élevée en regard de la composition granulométrique des sols.

Types de sol et stocks de carbone organique (T/ha, couche 0-30 cm)

0 20 40 60 80 100 120 arenosol s podzol uvi sol s lu vi sol s lit hosol s regosol s pl anosol s fl uvi sol s rendzi nas podzol s bruni sol s gl eysol s verti sol s rankers andosol s sol onchak hi st osol s phaeozems

Figure 2-12. Stocks de carbone des sols et types de sol selon la classification des sols de la FAO

Premières estimations spatialisées

Pour réaliser cette première estimation, nous avons affecté à chaque combinaison sol/occupation la valeur médiane calculée dans la base de données. Nous avons ensuite maillé le territoire sur la base d’une grille de pas 8x8 km. Sur chaque maille, nous avons calculé le stock par hectare en réalisant une règle de trois en fonction du pourcentage des occurrences concernées. Lorsque plus de la moitié de la maille n’était pas renseignée (zones artificialisées, mer, lacs, cours d’eau, et absence de données statistiques), nous avons affecté la valeur "données indisponibles" à cette maille. Dans le cas inverse, nous avons fait le calcul sur les zones renseignées uniquement.

Cette première approximation fait ressortir de grandes zones du territoire français ainsi que l’influence de quelques déterminants majeurs (Figure 2-13). Les stocks les plus faibles (< 40 t.ha-1) sont observés en Languedoc-Roussillon, région fortement viticole et caractérisée par des climats chauds et des sols peu épais. On en observe également dans quelques zones de culture très intensive (Nord, Beauce Chartraine). Les stocks faibles (40-50 t.ha-1) sont caractéristiques des grandes plaines de culture intensive de France ainsi que des sols limoneux plus ou moins dégradés (Luvisols et Podzoluvisols). On les observe dans tout le grand Bassin Parisien, une partie du Bassin Aquitain, la Chalosse et le Tursan, le Toulousain, le Languedoc et le Sillon Rhodanien. Les stocks moyennement élevés (50-70 t.ha-1) sont caractéristiques des grandes régions forestières et/ou fourragères de France (Est, Bretagne et Normandie, Massif Central).

Les stocks les plus élevés correspondent à des situations climatiques (Alpes, Jura, Massif Central ; Pyrénées), et/ou pédologiques extrêmes (marais de l’Ouest, Andosols du Massif Central, delta du Rhône).

Figure 2-13. Distribution géographique du carbone organique dans les sols de France

Stock global du territoire métropolitain

Les résultats de nos calculs ont été intégrés sur l’ensemble du territoire métropolitain, afin de fournir une première estimation du stock global des sols de France. Le stock global estimé est de 3,1 PgC (soit 3,1 milliards de tonnes de carbone) pour l’ensemble du territoire métropolitain, et pour la couche 0-30 cm. Ce chiffre est à comparer aux évaluations mondiales et aux évaluations des émissions en France.

Par rapport aux évaluations mondiales (1 500 à 2 000 Pg), le territoire français métropolitain représente 1/500 des stocks mondiaux. Remarquons que la densité de carbone moyenne en France (62 tC.ha-1) serait selon cette première estimation inférieure à la moyenne de la surface des continents, glace et désert exclus, de 115 tC.ha-1. Il faut souligner que les estimations mondiales sont fondées sur un mètre de profondeur. Sur la même base, les stocks de France seraient sûrement augmentés (i.e. identiques pour les sols minces, mais pouvant être doublés pour les sols profonds). Les émissions de gaz carbonique en C (CO2) en France sont estimées à environ 100 millions de tonnes (Tableau 1-2), soit 3,2% du stock dans les sols (PNLCCC, 2000). Une augmentation de ces stocks de 1,3 pour

mille/an permettrait de compenser 4% des émissions annuelles, soit l’équivalent des émissions de CO2 d’origine agricole ou un quart environ de l’ensemble des émissions de GES du secteur agricole français. Ce dernier point justifie pleinement que l’on cherche à quantifier et à spatialiser les effets des changements d’usage ou de pratique sur ce stockage.

Estimations des stocks de carbone dans les sols d’Europe

Smith et al. (1997, 1998, 2000) ont réalisé une estimation des stocks de carbone organique des sols d’Europe. Ils évaluent le stock sur la couche 0-30 cm à environ 35 milliards de tonnes (34,64 PgC), dont 7,18 PgC seraient contenus dans les terres arables. Il existe toutefois un manque certain de données fiables et comparables pour réaliser ce type d’évaluation. Rusco et al. (2001) montrent des différences d’estimation notables selon les sources de données utilisées, les estimations pouvant varier du simple au double pour un pays. Une tentative d’harmonisation des données et des méthodes de calcul est actuellement réalisée par un groupe de travail du Bureau Européen des Sols (JRC, Ispra). La tendance globale actuelle serait une augmentation de ces stocks, en particulier à cause de l’afforestation des terres agricoles. En revanche, de nombreuses terres arables seraient encore en phase de décroissance, en raison d’une dynamique liée à leur passé (anciennes prairies, terres déforestées…). Loveland (cité par Rusco et al., 2001) montre en Angleterre une décroissance globale des stocks de carbone des sols, à la fois en terres arables et en prairies, en se fondant sur des mesures répétitives issues d’un réseau systématique suivi à 15 ans d’intervalle.

2.2. Surfaces agricoles, bilan de gaz à effet de serre