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Estimations et résultats

4.1 Estimation des taux de mariage

Nous analysons dans cette première section, comment la proportion d'individus mariés varie avec la distribution des revenus potentiels des hommes et des femmes. Charbonneau(2016) et

Milan(2013) montrent que les taux de mariage ont connu une baisse importante ces dernières décennies au Canada et au Québec. L'observation de la distribution du revenu relatif des femmes au sein des ménages au chapitre 2 a permis de constater que la proportion de couples dans lesquels la femme a un revenu supérieur à celui de son époux est très faible dans l'ensemble des cohortes étudiées. Tel qu'avancé parBertrand et al.(2015), cette observation pourrait être due au fait que les couples essaieraient d'éviter une situation dans laquelle la femme a un revenu excédant celui de son conjoint.

En nous basant sur la théorie du mariage de Becker (1973), nous regroupons les individus dans des marchés de mariage sous le critère de l'homogamie. Les individus auraient tendance à choisir des partenaires ayant des caractéristiques similaires aux leurs (Becker, 1973) telles que l'éducation, l'âge ou la race (Bertrand et al., 2015). Nous regroupons sur cette base les individus dans nos échantillons selon des groupes d'âge, des niveaux d'éducation, et selon leurs provinces de résidence. Nous dénissons pour cela, trois groupes d'âge : 18-33 ans, 34- 45 ans et 46-65 ans pour les hommes ; 18-31 ans, 32-43 ans et 44-65 ans pour les femmes1.

1. Les individus ont tendance à se marier dans leurs groupes d'âge. On note toutefois qu'en général, les hommes ont tendance à épouser des femmes plus jeunes ; et la diérence d'âge est estimée en moyenne à deux

Trois niveaux d'éducation similaires pour les hommes et les femmes : le niveau primaire et celui en deçà (aucune scolarité), le niveau secondaire et post-secondaire non universitaire, et le niveau universitaire. Nous considérons les dix provinces du Canada2. Des données de

l'EDTR, il ressort que les couples se forment entre des individus ayant généralement les mêmes caractéristiques démographiques. Comme présenté dans la table A1de l'annexe de façon plus détaillée, 56, 95% des hommes dans nos échantillons forment des couples avec des femmes ayant un niveau d'éducation similaire. On observe par exemple que seuls 1, 8% d'hommes dont le niveau d'éducation est inférieur ou égal au niveau primaire ont pour conjointes des femmes ayant atteint le niveau universitaire. Aussi, on observe que 73, 81% des couples se forment entre les individus appartenant à la même tranche d'âge. Seulement 3, 94% d'hommes âgés de 18 à 33 ans sont en couple avec des femmes dont l'âge se situe entre 32-43 ans par exemple. Nous allons ensuite regarder comment la probabilité qu'une femme ait un revenu plus élevé que son conjoint aecte le taux de mariage dans chaque marché. Pour chaque année t, nous construisons M marchés de mariage d'après les variables  âge ,  éducation , et  province de résidence . Nous obtenons pour le Québec 36 marchés de mariage, et en y associant les 10 provinces considérées, 360 marchés pour le Canada. Dans chaque marché de mariage, nous dupliquons chaque individu 10 fois, puis nous tirons aléatoirement des couples ctifs3.

Ces couples ctifs sont donc formés sur la base de ces marchés, indépendamment du statut matrimonial des individus dans les bases de données initiales. La formation de ces couples ctifs nous permet d'évaluer, dans un marché de mariage quelconque, la décision des individus de contracter un mariage selon la probabilité qu'une femme gagne un revenu supérieur à celui d'un homme.

Ensuite, pour chaque marché m et chaque année t, nous calculons la probabilité lorsqu'une femme rencontre un homme, elle ait un revenu qui soit supérieur au sien. En considérant la variable des revenus de travail annuels, nous attribuons 0 comme revenu de travail aux individus (hommes et femmes) qui ne participent pas de façon régulière au marché du travail. Puis, après avoir assigné à chaque individu le marché qui lui correspond, nous dénissons par WomanEarnsMore la variable dichotomique qui prend 1 si une femme a un revenu supérieur à celui d'un homme dans chaque couple ctif. La moyenne de cette variable est donnée par P rW omanEarnsM oremt qui constitue la probabilité qu'une femme en couple ait un revenu supérieur à celui de son conjoint dans chaque marché m pour une année t donnée. Pour la base de donnée agrégée, cette probabilité était de 35, 76% au Canada et de 36, 79% au Québec. Lorsqu'on considère les cohortes individuellement, on note tant au Canada qu'au Québec, une légère augmentation de la probabilité de la femme d'avoir un revenu supérieur à celui de son

ou trois ans (Hajnal,1953).

2. Toutes les provinces sont considérées à l'exception des résidents du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, des pensionnaires d'un établissement institutionnel et des personnes vivant dans des réserves indiennes.

conjoint. L'augmentation de cette probabilité à travers les années est relativement stable. En 2011 au Canada, cette probabilité était de 37, 92% tandis que quinze ans auparavant elle était de 34, 3%. La tendance est similaire pour le cas du Québec où en 2011 la probabilité qu'une femme ait un revenu supérieur à celui de son conjoint était de 39, 3% alors qu'elle était de 35, 97% en 1996. Nous calculons ensuite la part d'hommes mariés dans chaque marché que nous régressons sur la variable P rW omanEarnsMoremt. Il est possible que les marchés où il est probable que la femme gagne un revenu plus élevé qu'un homme soient des marchés dans lesquels les femmes sont plus carriéristes et soient moins intéressées par le mariage. Nous ajoutons donc des contrôles pour les logarithmes des revenus moyens des hommes et des femmes. Pour les quatre spécications que nous avons, nous incluons les eets xes par groupe d'âge, niveau d'éducation, province de résidence et année t donnée. Nous appliquons à nos régressions un cluster pour la variable représentant les provinces de résidence.

Les résultats des diérentes spécications se trouvent dans la table 4.1.Le nombre d'observa- tions représente le nombre de marchés de mariage (360 pour le Canada et 36 pour le Québec). La colonne (1) contient les résultats de la spécication de base. Dans celle-ci, l'eet de la pro- babilité qu'une femme ait un revenu supérieur dans le couple (P rW omanEarnsMoremt) sur la probabilité de mariage est de -19.6 points de pourcentage. Bien qu'il soit négatif, l'impact de cette probabilité sur la part d'hommes mariés n'est pas signicatif. Dans la colonne (2), nous ajoutons la part du revenu relatif moyen de la femme ; qui est le revenu moyen de la femme dans chaque marché de mariage divisé par la somme du revenu moyen de l'ensemble des hommes et des femmes dans les diérents marchés. L'ajout de cette variable de contrôle fait légèrement baisser l'eet estimé à −16, 8%. Cependant, comme dans l'étude deBertrand et al. (2015), l'impact demeure non-signicatif. Dans la colonne (3) ; les niveaux d'éducation des hommes et des femmes, et le nombre d'hommes et de femmes dans les divers marchés sont ajoutés comme variables de contrôle. À l'ajout de ces variables, l'eet estimé demeure faible et n'est toujours pas signicatif. Enn dans la colonne (4), nous ajoutons le sex-ratio. Il s'agit de la proportion d'hommes dans l'ensemble des couples formés dans les marchés de mariage. L'eet estimé de P rW omanEarnsMoremt sur la probabilité de mariage est alors de −24% et devient signicatif au seuil de 5%.

Les mêmes spécications sont eectuées pour la province québécoise. Au Québec, déjà à la première spécication présentée dans la colonne (5), l'impact de la probabilité P rW omanEarnsM oremt sur la probabilité de mariage est plus fort que celui observé au Canada. L'impact est en eet estimé à −59, 5% et est signicatif (p < 0.01). À l'ajout du revenu relatif moyen de la femme dans la colonne (6), l'impact devient moins fort (−35, 9%) et demeure toujours aussi signicatif. À l'ajout des dernières variables de contrôle (niveaux d'éducation des hommes et des femmes, le nombre d'hommes et de femmes dans les divers marchés), l'estimation bien que négative (−6, 44%), faiblit et devient inférieure à celle observée au Canada. Finalement, à l'ajout du sex-ratio dans la colonne (8), l'impact de la probabilité

qu'une femme ait un revenu supérieur à celui d'un homme sur la probabilité de mariage est estimé à −6, 33% et demeure signicatif au seuil de 10%. En testant la robustesse de notre régression par l'ajout de ces variables de contrôle, nous constatons que comparativement au Québec, la proportion d'hommes qui se marient au Canada serait plus faible lorsque la proba- bilité qu'une femme ait un revenu supérieur à celui d'un homme est élevée. On note au Québec une relation positive et signicative entre le niveau d'éducation de la femme, et la proportion d'hommes mariés. L'impact de la variable Niveau d'éducation de la femme est en eet de 7,45 points de pourcentage ( p < 0.01). Ce résultat va dans le sens des recherches deSchirle(2015) qui décrit le Québec comme une société plus progressiste. Les estimations eectuées dans les sections suivantes, ainsi que les résultats du World Values Survey présentés dans les sections précédentes, sont néanmoins en contradiction avec les conclusions de cette première estima- tion présentant le Québec comme moins attaché à certaines  normes  traditionnelles que le Canada.

Au Canada comme au Québec, les résultats de cette première estimation sont conformes à l'étude américaine de Bertrand et al. (2015). Dans l'ensemble du pays, la chute des taux de mariage pourrait donc aussi trouver une explication dans l'aversion à une situation dans laquelle la femme a un revenu supérieur à celui d'un homme. Nous supposons ici qu'aucune autre variable n'inuence à la fois la probabilité de mariage et la probabilité que les femmes gagnent un revenu supérieur à celui de leur époux dans un marché de mariage.

Nos résultats se rapprochent de ceux trouvés parBertrand et al.(2015) bien qu'ils considèrent trois diérentes mesures du revenu ; dont une obtenue à partir d'une modication de l'instru- ment Bartik4. Les auteurs s'appuient sur la composition genrée des industries des diérents

états américains ; et sur les variations des salaires dans ces industries au niveau national. À partir de là, les auteurs isolent la variation dans les salaires locaux spéciques aux genres ; laquelle est uniquement déterminée par la demande globale de travail5.

Les résultats présentés dans le tableau4.1sont conformes à la distribution des parts de revenu illustrés dans le chapitre 3 où on observe que la proportion de couples dans lesquels la femme a un revenu supérieur à celui d'un homme est faible et ce, dans l'ensemble des cohortes étudiées.

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