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1 – Un monde en décadence : la démocratie A – À rebours et le naturalisme

Avant de nous intéresser au personnage de Huysmans, des Esseintes, qui deviendra pour la postérité littéraire le décadent type, il convient tout d’abord de nous attarder brièvement sur la place d’À rebours dans l’œuvre littéraire de Huysmans. Les critiques littéraires, induits en erreur par la

« Préface écrite vingt ans après le roman » par l’auteur, ont, le plus souvent, signalé la rupture de Huysmans avec Zola à la parution d’À rebours. Cette préface est, par ailleurs, quasi systématiquement imprimée en tête des différentes éditions du roman, faussant ainsi la lecture. Or, si ce dernier marque un premier jalon dans l’évolution ultérieure de l’auteur avec le mouvement littéraire du maître de Médan, il ne s’agit aucunement d’une rupture brutale. Certes, Huysmans a bien le sentiment, avant même la rédaction de son roman, c’est-à-dire en 1882, que le naturalisme, en ce qui le concerne, risque d’aboutir à « une impasse », de le « heurter contre le mur du fond. »566 En effet, dans À vau-l’eau, qui se veut être une étude abstraite de la figure du célibataire, l’on retrouve, comme il le confie lui-même à Zola, « la répétition de nombreux coins d’En Ménage », poussant ainsi l’auteur a renoncé à « étendre cette nouvelle qu' [i]l voulai[t] d'abord faire bien plus longue » et a « être le plus bref possible. »567 Ce qui devait être un roman, en raison des répétitions, devint juste une nouvelle.

Huysmans, afin de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve après À vau-l’eau, est à la recherche de nouveauté en littérature. Pour cela il suivra le conseil que lui fit Edmond de Goncourt, repris plus tard dans la préface aux Frères Zemganno, dans la lettre du 24 mars 1879 :

« Maintenant, voulez-vous le conseil d’un vieux, eh bien, je croix que Germinie Lacerteux, L’Assommoir, Les Sœurs Vatard ont à l’heure qu’il est épuisé ce que j’appellerai le canaille littéraire, et je vous engage à choisir pour milieu de votre prochain livre, une sphère autre, une sphère supérieure. » Contraint de réorienter sa voie après À vau-l’eau, « le naturalisme s’essoufla[nt] à tourner la meule dans le même cercle »568, Huysmans prendra à la lettre le conseil de Goncourt, de Folantin naîtra des Esseintes :

Il m’était d’abord apparu, tel qu’une fantaisie brève, sous la forme d’une nouvelle bizarre ; j’y voyais un peu un pendant d’À vau-l’eau transféré dans un autre monde : je me figurais un monsieur Folantin, plus lettré, plus raffiné, plus riche et qui a découvert, dans l’artifice, un dérivatif au dégoût que lui inspirent les tracas de la vie et les mœurs américaines de son

566 Joris-Karl Huysmans, « Préface écrite vingt après le roman », À rebours, ibid., p. 564.

567 Lettre à Zola du 1er février 1882, ibid., p. 78.

568 « Préface écrite vingt après le roman », ibid.

temps ; je le profilais fuyant à tire-d’aile dans le rêve, se réfugiant dans l’illusion d’extravagantes féeries, vivant, seul, loin de son siècle, dans le souvenir évoqué d’époques plus cordiales, de milieux moins vils569.

Si, pour À rebours, Huysmans choisit comme milieu pour son personnage « une sphère supérieure », il ne s’ensuit nullement une rupture avec Zola et le naturalisme. En effet, dans la

« Notice », peut-être de façon outrancière pour certains critiques, le dogme zolien du déterminisme est fidèlement respecté, l’hérédité de des Esseintes est élucidée, ainsi que le milieu dans lequel il a été élevé. Mais surtout, pour la rédaction de son nouveau roman, Huysmans suit de près les préceptes d’Émile Zola, concernant le roman contemporain, édictés dans son compte rendu des Sœurs Vatard, puis repris plus tard dans Le Roman expérimental : « On finira par donner de simples études, sans péripéties ni dénouement, l’analyse d’une année d’existence, l’histoire d’une passion, la biographie d’un personnage, les notes prises sur la vie et logiquement classées. »570 À rebours est bien l’étude clinique d’un névrosé, seul personnage du roman, durant une année de sa vie.

Fidèle à la méthode naturaliste, Huysmans a réuni une documentation importante. En se fondant sur le Traité des névroses d’Auguste Axenfeld, et De l’état nerveux aigu et chronique ou nervosisme d’Eugène Brochut, Huysmans suit les différentes étapes de la maladie pour la composition de son roman, comme il le raconte dans une lettre à Zola, au point d’être « gêné, tout au long du livre, à vouloir être parfaitement exact. »571 À l’intrigue traditionnelle, le romancier substitue donc l’évolution de la névrose. Atteint également de cette maladie, Huysmans a ainsi pu enregistrer les faits de sa propre névrose : « Je viens de passer 2 affreux mois dans des névralgies, ces alternatives de printemps et d’hiver me crucifient, la vieille névrose travaille, je suis singulièrement marmiteux – endolori d’esprit et de corps – j’espère que vous n’êtes pas aussi patraque que le vieux père Vatard »572. En véritable décadent, il s’est auto-analysé, car en définitive, derrière des Esseintes, se cache, comme derrière chacun de ses personnages, l’auteur lui-même :

« Cyprien Tibaille et André, Folantin et des Esseintes ne sont, en somme, qu’une seule et même personne, transportés dans les milieux qui diffèrent. Et très évidemment cette personne est M.

Huysmans, cela se sent »573. Derrière l’esthète baudelairien, nous retrouvons donc Huysmans, car, après avoir choisi, au début de sa carrière littéraire, la première partie de l’alternative baudelairienne, à savoir la compassion, avec À rebours, il choisit la seconde, c’est-à-dire la solitude,

569 Ibid.

570 Émile Zola, Le Roman expérimental, Garnier-Flammarion, 1971, p. 243.

571 Lettre à Zola du 25 mai 1884, ibid., p. 103.

572 Lettre à Théodore Hannon, (mars-avril 1883), ibid., p. 271.

573 « Joris-Karl Huysmans », signé A. Meunier, Les Hommes d’aujourd’hui, fascicule n° 263 consacré à Huysmans, Vannier, 1885.

celle du « héros moderne ». La sphère supérieure du naturalisme, serait-ce la décadence ? Car si le naturalisme traite aussi bien de sujets bas que hauts, vils que nobles, la littérature que l'on nomme communément « décadente » est peut-être l'autre nom du naturalisme, celui qui qualifierait la

« sphère supérieure », et qui se veut être l'expression, en ces temps démocratiques, du sentiment de décadence qui anime certains aristocrates de naissance ou de l'esprit.

B – Des Esseintes ou l'aristocrate décadent

Avec À rebours, Huysmans crée le type le plus complet, le plus accompli de l’esthète décadent en littérature, le duc Jean Floressas des Esseintes. Le décadent fait son apparition, sur la scène sociale et littéraire, après les fastes du Second Empire et l’année fatidique de 1870, celle de la guerre contre la Prusse. Paul Bourget, dans son étude sur Baudelaire publiée dans ses Essais de psychologie contemporaine en 1883, mais dont Huysmans a très certainement eu connaissance dès 1881, lorsqu’elle parut dans La Nouvelle Revue, est le premier à l’analyser. À travers la figure du poète des Fleurs du Mal, les caractéristiques essentielles du décadent, que nous retrouvons chez des Esseintes, sont déjà établies. Il est le plus souvent défini comme un aristocrate célibataire, sans descendance, et qui, possédant un important héritage, n’a pas besoin de subvenir à ses besoins. Il est un être asocial qui s’exclut de la société, en voie d’américanisation en cette fin de XIXe siècle, pour échapper à la vulgarité du monde, et qui se réfugie dans l’imagination et le rêve, à la recherche de sensations rares et subtiles. Le décadent se drape dans son mépris, et fait de sa solitude incomprise un lieu qui le mène vers des « au-delà » plus cléments. Et tel est bien le cas de des Esseintes, cet

« orphelin du monde. »574

Le décadent est donc un être dégagé de toute lutte pour la survie. Aristocrate aisé, il n'est tiraillé par aucun désir d’augmenter ses biens, par nul appât du gain, ni par une quelconque ambition ou recherche d’élévation sociale. Il ne peut être question pour lui de courir après l’avoir puisque tout lui est donné d’emblée en tant qu’héritier : « il atteignait sa majorité et devenait maître de sa fortune ».575 Il n’a que faire de la quête du pouvoir et de la gloire, puisque ses ancêtres les ont conquis pour lui. Des Esseintes est duc, le titre le plus élevé dans la hiérarchie aristocratique. À cela se joint un fort patrimoine tant immobilier, le château de Lourps, que génétique, la tare héréditaire.

Le décadent est également un homme de culture, il est même saturé de culture. Il ne peut non plus ici être question de quête puisque des Esseintes eut une excellente éducation chez les Jésuites, qu’il se rappellera notamment dans ses forts accès de névrose. À cette éducation vient se greffer sa culture personnelle, notamment ses connaissances en matière d’art et de littérature.

574 Jérôme Solal, Huysmans et l’homme de la fin, Minard, 2008, p. 41.

575 À rebours, ibid., p. 581.

Des Esseintes est définitivement l’homme du « trop »576, il possède tout en surabondance.

À cela s’ajoute également une trop vive sensibilité qui le rend souvent irritable en présence d’autrui : « il en arrivait à s’écorcher constamment l’épiderme »577 , ainsi qu’une vive conscience de son individualité. Très tôt dans son enfance, au milieu de ses parents, il a connu la solitude. C’est donc à travers toutes ces caractéristiques que des Esseintes se définit comme décadent, en tant qu’homme du « trop ».

Mais c’est justement parce qu’il est l’homme du « trop » que des Esseintes connaît l’ennui. En effet, en échappant à la lutte pour la survie, en ayant tous ses besoins déjà assouvis, il se retrouve confronté à l’existence pure, c’est-à-dire à l’existence dégagée de toutes questions matérielles. Il ne connaît pour ainsi dire aucune distraction véritable, il est non pas un roi mais un duc sans divertissement. Son oisiveté, avant de le mener sur le chemin de l’inquiétude et de la névrose, le mène à l’ennui : « Quoi qu’il tentât, un immense ennui l’opprimait. »578 Ainsi des Esseintes, en se retirant à Fontenay, a bien pour but d’y échapper et de se divertir comme il le souhaite. Et c’est son patrimoine économique qui lui permet de s’exclure de la société. Car, pour reprendre Jean Borie : « Des Esseintes est riche, des Esseintes est donc libre, totalement. »579

En se retirant dans sa « thébaïde », des Esseintes devient un être asocial qui ne veut plus être en contact avec la société de son époque. Indépendant, il compte se réaliser dans la solitude, devenant ainsi le symbole d’une société décadente : « Il [l’organisme social] entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s’est exagérée sous l’influence du bien être acquis et de l’hérédité. »580 Cette définition de la société décadente par Bourget rejoint celle définie par Tocqueville dans sa critique de l’individualisme, d’origine démocratique : « Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer tout entier dans la solitude de son propre cœur. »581

Par ailleurs, le sentiment de solitude éprouvé par des Esseintes, en raison de son acquis et de l’hérédité, se trouve être renforcé lors de son entrée dans le monde. Il commence tout d’abord par côtoyer la famille de « son cousin et tuteur le comte de Montchevrel ». Cette ouverture au monde familial s’avère être catastrophique. Des Esseintes, dans leur compagnie, s’ennuie à mourir.

Il n’est entouré que de vieillards nostalgiques, ressemblants à des « momies ensevelies dans leurs hypogées pompadour et à rocailles »582, qui espèrent, vainement, le retour d’un monde monarchique

576 Jérôme Solal, ibid., p. 98.

577 À rebours, ibid., p. 583.

578 Ibid.

579 Jean Borie, Huysmans, Le diable, le célibataire et Dieu, Grasset, 1991, p. 93.

580 Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Gallimard « Tel », 1985, p. 14.

581 Alexis de Tocqueville, de la Démocratie en Amérique, Garnier-Flammarion, vol. II, 1981, p. 127.

582 Ibid., p. 581.

disparu. Déclassé dans un monde qui n'est plus le sien, l'aristocratie de la Troisième République se caractérise par son attachement à d'anciens privilèges et son insouciance politique. Ce qui se caractérisera par le refus du Comte de Chambord d'adopter le drapeau tricolore, « renonçant ainsi au trône et perdant l'unique chance de restaurer la monarchie et avec elle les prérogatives de la noblesse. »583

Après ce premier échec, le duc décide de fréquenter des jeunes gens de son âge et de son milieu qui se dissocie en deux parties. Les premiers, élevés comme lui dans des établissements religieux, se révèlent être « des bellâtres inintelligents et asservis », quant aux seconds, éduqués dans des collèges et lycées laïques, « ils n’étaient ni plus intéressants, ni moins étroits ». Le résultat de cette relation est le même que celui concernant le milieu familial : « une immense lassitude résulta de cette compagnie »584.

Dans un troisième temps, il s’approche des hommes de lettres, mais sa déception est à la mesure de son attente. Des Esseintes s’attendait à rencontrer des gens avec lesquelles il aurait de véritables affinités en matières d’art et de littérature, mais il n’en est rien. Leur discussion est inintéressante car ils jugent « la valeur d’une œuvre selon le nombre des éditions et le bénéfice des ventes. »585 Des propos qui ne dénoteraient pas dans la bouche de Durtal, comme nous le verrons plus tard, et qui se feront de plus en plus fréquent dans la correspondance de Huysmans, comme dans cette lettre à Arij Prins, écrite pendant la rédaction d’En rade : « Au fond, toutes les Soirées de Médan sont composées de charcutiers, de commerçants. Il n’y en a pas un seul parmi eux – et j’ai honte d’en avoir fait partie – qui soit réellement soulevé par l’art »586 Quoi qu’il en soit, après la fréquentation de ce milieu, des Esseintes se sent encore plus écœuré de l’humanité et, surtout, plus seul. La solitude morale qu’il ressent, au sein de la société, est parfaitement résumée dans ces quelques lignes de Huysmans :

Décidément, il n’avait aucun espoir de découvrir chez autrui les mêmes aspirations et les mêmes haines, aucun espoir de s’accoupler avec une intelligence qui se complût, ainsi que la sienne, dans une studieuse décrépitude, aucun espoir d’adjoindre un esprit pointu et chantourné tel que le sien, à celui d’un écrivain ou d’un lettré587.

583 Fernande Zayed, ibid., p. 394.

584 Ibid., p. 582.

585 Ibid.

586 J.-K. Huysmans, Lettres inédites à Arij Prins, lettre du 23 février 1888, Droz, 1977, p. 112.

587 Ibid.

La fréquentation par des Esseintes des différents milieux sociaux met à jour son unicité.

Cette singularité est en partie due à sa vive sensibilité et à la supériorité de son esprit. Il n’est pas seulement aristocrate de naissance, mais également de l’esprit. Constamment irrité par la stupidité de son époque, des Esseintes songe déjà à quitter la société pour « une thébaïde raffinée »588. Avant que la débauche, la fréquentation des femmes et la névrose ne le poussent véritablement à se retirer du monde.

Ce qui ressort en définitive de la « Notice », à travers les différents milieux que côtoie des Esseintes, c’est une fragmentation de la société. En effet, elle ne représente pas un tout homogène, elle est constituée de différents groupes autonomes, indépendants les uns des autres. Ainsi, le duc fréquente tout d’abord sa famille, puis des jeunes gens de son monde, des hommes de lettres, et enfin les femmes. Il n’y a aucun lien marqué entre les différents groupes, des Esseintes passe de l’un à l’autre, dans des choix qui sont, au fur et à mesure, plus personnels et sélectifs. Tocqueville a considéré cette fragmentation, cette atomisation de la société comme symptomatique de la démocratie589. La société que nous décrit Huysmans nous rappelle également la société décadente vue par Paul Bourget :

Pour que l’organisme social fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindres fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée, et, pour que ces organismes moindres fonctionnent eux-mêmes avec énergie, il est nécessaire que leurs cellules fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l’énergie des cellules devient indépendante, les organismes qui composent l’organisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l’énergie totale, et l’anarchie qui s’établit constitue la décadence de l’ensemble590.

Dans cette société fragmentée, démocratique, dont nous retrouvons, au dernier chapitre les différents groupes sociaux, mais cette fois-ci tous gangrenés par l’argent, des Esseintes se sent seul, il n’a d’affinité avec aucun groupe social. L’homme du « trop » devient, en définitive, l’homme de

« trop », comme Tchoulkatourine de Tourgueniev, et fait l’expérience de la contingence dans une société décadente. L’esthète dilettante se sent exclu, étranger, dans une société qui prône le travail et l’argent comme valeurs suprêmes. En raison même de son bien être acquis et de son hérédité, des Esseintes ne saurait se reconnaître dans cette société démocratique qui prône de nouvelles valeurs.

Le progrès définit, en cette fin de siècle, par le terme d’« américanisme », qui se caractérise par

588 Ibid., p. 583.

589 Alexis de Tocqueville, de la Démocratie en Amérique, ibid., p. 126.

590 Paul Bourget, p. 14.

l'admiration des mœurs, des idées et des valeurs des États-Unis, ne peut combler cet assoiffé de spiritualité et d’absolu que se trouve être le décadent.

C – Critique de l'américanisme

Leitmotiv récurrent dans l’œuvre de Huysmans, l’ « américanisme » trouve dans le personnage de des Esseintes l’un de ses plus virulents opposants. À l’œuvre dans tout le roman, la critique atteindra son acmé au dernier chapitre, lorsque notre cher duc devra retourner vivre au cœur de son époque abhorrée. L’auteur d’À rebours, dans sa haine du nouveau monde et de ce qu’il représente, s’érige là encore en véritable héritier de Baudelaire. Pour le poète, comme nous avons pu le voir, l’Amérique représentait la terre du progrès, de l’esprit mercantile et utilitaire, de l’uniformisation des masses, mais également, et surtout, de l’ignorance et de l’insensibilité à l’art.

Ce mépris pour ce pays, et ses valeurs transportées sur le vieux continent, et en particulier en France, deviendra un cliché chez les auteurs décadents.

Cette détestation de l’américanisation est la réaction d’individus face à un monde en pleine mutation, profondément hostile à la création et aux artistes. Ce qu’ils considèrent comme la décadence n’a donc rien d’objectif, la France est alors en plein essor économique. Il s’agit plutôt de « la fin d’un monde et non pas du monde »591, pour reprendre Christian Berg dans sa préface au Crépuscule des dieux. Ce regard subjectif sur le monde traduit bien un mal être singulier, une solitude morale de l’artiste devant la dépoétisation complète de l’existence. Dès lors, à l’œuvre dans de multiples domaines, cette américanisation de la France, ou ce qui est perçu comme tel, se voit rejetée dans ses différentes manifestations, qu’elles soient philosophiques, économiques et, bien évidemment, politiques.

Au début du XIXe siècle, le « mal du siècle » est né, pour Chateaubriand, d’une crise de valeurs, dont les Lumières sont jugées responsables, notamment pour avoir sapé le christianisme.

Plus tardivement dans le siècle, le courant positiviste, prend le relais en promulguant la notion de progrès. En érigeant la raison comme valeur, il tourne le dos à l’Église et récuse « une vision statique de l’humanité »592. Au positivisme viendront s’ajouter les philosophes matérialistes, qui nient l’existence de l’âme et, en conséquence, la vie éternelle et Dieu. De René à des Esseintes, des romantiques aux décadents, les philosophes sont toujours considérés comme responsables du désenchantement du monde : « Il faudrait pouvoir s’empêcher de discuter avec soi-même, se dit-il douloureusement ; il faudrait pouvoir fermer les yeux, se laisser emporter par ce courant, oublier

Plus tardivement dans le siècle, le courant positiviste, prend le relais en promulguant la notion de progrès. En érigeant la raison comme valeur, il tourne le dos à l’Église et récuse « une vision statique de l’humanité »592. Au positivisme viendront s’ajouter les philosophes matérialistes, qui nient l’existence de l’âme et, en conséquence, la vie éternelle et Dieu. De René à des Esseintes, des romantiques aux décadents, les philosophes sont toujours considérés comme responsables du désenchantement du monde : « Il faudrait pouvoir s’empêcher de discuter avec soi-même, se dit-il douloureusement ; il faudrait pouvoir fermer les yeux, se laisser emporter par ce courant, oublier

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