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1 – Là-bas ou le procès du monde moderne A – Critique du naturalisme matérialiste

Si, comme nous l’avons précédemment dit, À rebours marque un premier jalon dans l’évolution ultérieure de Huysmans par rapport au mouvement littéraire du maître de Médan, Là-bas est, pour reprendre Richard Griffiths, « un des plus importants clous dans le cercueil du naturalisme. »702 En effet, si le nouveau roman de Huysmans peut apparaître comme l’un des plus violents coups portés à l’école de Médan, c’est que l’auteur est, aux yeux des adversaires virulents de Zola, l’un de ses disciples les plus représentatifs. Toutefois, la prise de distance de Huysmans avec le naturalisme zolien s’est effectuée sur une période de plusieurs années. De 1882, année de la rédaction d’À vau l’eau où le romancier a le sentiment d’aboutir à « une impasse », à 1891, année de la parution de Là-bas, où l’on peut véritablement dater la rupture définitive avec le naturalisme dogmatique prôné par Zola :

Vu, ces temps-ci, Zola – nous sommes un peu froids – Il sent mon livre dans l’air et n’en inaugure [sic] point un grand bien fait pour le naturalisme. La vérité, c’est que nous n’avons plus rien à nous dire. – Il croit au positivisme, au matérialisme, au moderne, et j’ai de tout cela par-dessus la tête703.

Il convient de signaler, à nouveau, la différence essentielle qui démarque Huysmans de l’auteur de La Bête humaine. Alors que le naturalisme zolien est progressiste et nourrit de valeurs positivistes, le naturalisme Huysmansien est, quant à lui, pessimiste, empreint de désespoir, aux accents schopenhaueriens, et animé d’une conscience aiguë de la décadence. Ce sont ces fortes divergences, existentielles et philosophiques, avant d’être religieuses, qui rapprochent Huysmans de Baudelaire, plus sûrement que de Zola, et qui nous ont notamment permis de qualifier le naturalisme de Huysmans de « baudelairien ». Car si Zola aime son époque, Huysmans, quant à lui, la hait. C’est ce qui ressort également très clairement d’une lettre inédite de Huysmans à Péladan, citée par Jean de Palacio dans Figures et formes de la décadence : « je suis un naturaliste un peu particulier, qui au rebours des autres, exècre son temps et le peint par dégoût et par haine »704. De telles divergences devaient bien mener à une véritable rupture entre Huysmans et Zola. C’est ainsi que dès le premier chapitre de Là-bas, l’auteur des Sœurs Vatard fait le procès du naturalisme, comme il en avait prévenu Arij Prins, lors de la rédaction du roman :

702 Richard Griffiths, « Huysmans et le mythe d’À Rebours », in Joris-Karl Huysmans, A rebours, « une goutte succulente », SEDES, 1992, p. 51.

703 Lettre à Arij Prins du 19 février 1890, J.-K. Huysmans, Lettres inédites à Arij Prins, ibid., p. 184.

704 Jean de Palacio, « Poétique du naturalisme », in Figures et formes de la décadence, ibid., p. 229.

Quel abominable mufle [Zola] ! il est vraiment temps que je fasse mon livre sur le satanisme au Moyen-Age et dans les temps modernes, car je vomis dans le premier chapitre sur le naturalisme, tel qu’il est devenu : scientifique et matérialiste et amoureux de son temps705.

Avant d’en venir à la critique du naturalisme dans Là-bas, il faut tout de même dire que si Huysmans qualifie Zola d’ « abominable mufle », à plusieurs reprises, dans différentes lettres qu’il destine à Arij Prins, c’est tout d’abord en raison de son style qu’il considère digne du « roman feuilleton »706, ou de son œuvre qu’il qualifie d’ « art industriel »707, notamment au sujet de La Bête humaine, cette fois-ci dans une lettre à Jules Destrée. Mais s’il le traite d’ « abominable mufle » c’est aussi principalement dû au fait que Zola s’apprête à écrire un ouvrage intitulé L’Argent, dans lequel il fera l’éloge de la richesse708. Comme nous avons pu le voir précédemment, le mercantilisme de Zola et des naturalistes fut l’une des premières critiques que leur fit Huysmans.

L’appât du gain de ses anciens maîtres et congénères le répugne au plus haut point, et cela dès 1887, comme il l’avoue au même Arij Prins, confident privilégié des critiques de Huysmans à l’égard du naturalisme :

Voici venir l’hiver, et avec lui, les raseurs de retour à Paris. Il va falloir perdre son temps – aller au diable, chez Zola où l’on ne parle que d’argent et de théâtre – chez Goncourt où la conversation est à peu près la même. Qu’est-ce que dira la bourgeoisie affreuse de ces artistes ? le terre à terre des négociants comme la plupart ? tous ne songent plus qu’au théâtre qui rapporte709 !

Là-bas se fait bien évidemment l’écho de cette critique de l’appât du gain des naturalistes.

Sans être explicitement nommés par Durtal, ils sont comparés à de « cupides bourgeois » qui « singeaient le haut négoce, se délectaient aux dîners de gala, donnaient des soirées en habit noir, ne parlaient que du droit d’auteurs et d’éditions, s’entretenaient de pièces de théâtre, faisaient sonner l’argent. »710 Le théâtre devient pour Huysmans le symbole même du mercantilisme tant honni des écrivains, en particulier des naturalistes. À ce titre, il n’est donc pas étonnant que Huysmans, à la

705 Lettre à Arij Prins du 7 avril 1890, ibid., p. 190.

706 Lettre à Arij Prins du 17 mars 1890, ibid., p. 188.

707 Lettre à Jules Destrée du 12 décembre 1890, J.-K. Huysmans, Lettres inédites à Jules Destrée, Droz, 1967, p. 173.

708 Lettre à Arij Prins du 17 mars 1890, ibid.

709 Lettre à Arij Prins du 11 novembre 1887, ibid., p. 99.

710 Huysmans, Là-bas, Folio classique, Gallimard, 1985, p. 42.

fin de la première section des Trois Primitifs, soit déçu par la présence d’un théâtre711, synonyme d’appât du gain, près du musée d’Unterlinden de Colmar où sont exposées des œuvres de Mathias Grünewald. Car depuis Là-bas, il considère, à la suite de Baudelaire pour qui le commerce est satanique, l’argent comme « diabolique ».712

Mais la véritable critique que Huysmans profère, dans le premier chapitre du roman, par l’intermédiaire du médecin des Hermies, double de Durtal, à l’encontre du naturalisme, bien plus vaste et englobant la critique du mercantilisme, est celle que nous avons soulignée plus haut, à savoir d’être « amoureux de son temps ». En effet, pour Huysmans, à la base contestataire et anti-bourgeois, le mouvement mené par Zola s’est avéré finalement être un allié objectif du progrès et de l’idéologie bourgeoise. Les mots ne sont pas assez forts dans la bouche de des Hermies pour crier son indignation :

[...] il a prôné cette vie moderne atroce, vanté l’américanisme nouveau des mœurs, abouti à l’éloge de la force brutale, à l’apothéose du coffre-fort. Par un prodige d’humilité, il a réservé le goût nauséeux des foules, et, par cela même, il a répudié le style, rejeté toute pensée altière, tout élan vers le surnaturel et l’au-delà. Il a si bien représenté les idées bourgeoises qu’il semble, ma parole, issu de l’accouplement de Lisa, la charcutière du Ventre de Paris, et de Homais713 !

Huysmans réussit le tour de force, dans ce petit paragraphe, de faire un résumé de toutes les haines des décadents, héritées de Baudelaire comme nous avons pu le voir. En effet, de l’américanisme au matérialisme, en passant par le mercantilisme et la médiocratie propre à la démocratie, toutes les cibles des attaques virulentes pleines de fiel de la part de Huysmans sont ici rassemblées en une seule critique, qui a pour but de discréditer le naturalisme.

Car pour ce quêteur d’absolu, cet assoiffé de spiritualité, qu’est dorénavant Huysmans, et son double littéraire depuis des Esseintes, a fortiori Durtal, la critique se cristallise principalement sur le matérialisme et le positivisme du mouvement littéraire de Zola. En outre, la névrose personnelle du romancier tient, même s’il ne l’a jamais souligné, une place importante dans cette remise en cause. Car le naturalisme zolien est incapable de répondre aux questions que se pose l'écrivain sur sa maladie : « Il faut bien le confesser, personne ne comprenait moins l'âme que les naturalistes qui se proposaient de l'observer. »714 Ce que lui reproche donc Huysmans, à travers le

711 Huysmans, « Trois Primitifs », Écrits sur l’art, ibid., p. 415.

712 Là-bas, ibid., p. 40.

713 Ibid., p. 28.

714 « Préface écrite vingt après le roman », À rebours, ibid., p. 573.

personnage de des Hermies, « c’est d’avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d’avoir glorifié la démocratie de l’art ! » avant de continuer :

Tu lèves les épaules, mais voyons, qu’a-t-il donc vu, ton naturalisme, dans tous ces décourageants mystères qui nous entourent ? Rien. – Quand il s’est agi d’expliquer une passion quelconque, quand il a fallu sonder une plaie, déterger même le plus bénin des bobos de l’âme, il a tout mis sur le compte des appétits et des instincts715.

Le naturalisme zolien, matérialiste, nie l’existence de l’âme et, en conséquence, explique les maux de manière physiologique. Il ne porte donc « aucun intérêt pour le rêve ou pour les zones obscures de l’âme »716, pour reprendre Marc Smeets. Il ne saurait comprendre le « besoin de surnaturel »717 de certains écrivains qui savent que « l’art commence là où les sens cessent de servir ! »718 Pour Huysmans, le naturalisme nie donc toute la part spirituelle de l’art. Toutefois, l'auteur d'À rebours semble ici quelque peu de mauvaise foi, car l'œuvre de Zola comporte de nombreux romans qui font une large place aux questions spirituelles, comme Le Rêve ou encore La Faute de l'abbé Mouret qui, par ailleurs, a une place de choix dans la bibliothèque de des Esseintes !

En plus d’être matérialiste, le naturalisme se veut également positiviste, c’est-à-dire scientiste, car ce mouvement progressiste, qui a pour valeur première la raison, voit la science comme le moteur de la marche en avant qu’ils souhaitent impulser à l’humanité. C’est ainsi que la science se trouve être épinglée également tout au long du roman, car elle est incapable d’expliquer, à l’aide de la raison, les différents mystères qui constituent l’existence :

Non, quand on y réfléchit, l’aplomb des positivistes déconcerte ! Ils décrètent que le Satanisme n’existe point ; ils mettent tout sur le compte de la grande hystérie et ils ne savent même pas ce qu’est cet affreux mal et qu’elles en sont les causes ! [...] car il y a de l’âme là-dedans, de l’âme en conflit avec le corps, de l’âme renversée dans la folie des nerfs !

Tout ça, vois-tu, mon vieux, c’est la bouteille à l’encre ; le mystère est partout et la raison bute dans les ténèbres, dès qu’elle veut se mettre en marche719.

715 Ibid., p. 27.

716 Marc Smeets, Huysmans l’inchangé, Histoire d’une conversion, Rodopi, Faux titre, 2003, p. 141.

717 Là-bas, ibid., p. 32.

718 Ibid., p. 27.

719 Ibid., p. 178.

À ce courant littéraire avec lequel Huysmans est en train de rompre, à ce naturalisme matérialiste qui fait fi des questions de l’âme et des interrogations spirituelles, il oppose le

« naturalisme spiritualiste ». Si les différentes attaques à l’encontre du naturalisme sortent de la bouche de des Hermies, - Huysmans voulait-il ainsi préserver ses arrières ? – les réponses à cette critique d’un mouvement littéraire qui ne saurait répondre aux aspirations d’un écrivain qui a un

« besoin de surnaturel », vont être apportées par Durtal, le dernier double de Huysmans. Durtal, contrairement à des Hermies, ne rejette pas en bloc le naturalisme, car Huysmans fut naturaliste durant toute sa carrière d’écrivain dans la mesure où ce qui importait le plus dans la confection de ses romans fut la recherche de documents afin d’être absolument exact. Même si plus il avance dans sa carrière plus le document se rétrécit au fil de sa propre vie. Durtal reste donc attaché, comme le signale Gérard Peylet, « à cette littérature qui avait rendu l’inoubliable service de situer des personnages réels dans des milieux exacts. »720 Mais il réalise que l’on peut dissocier le naturalisme de sa philosophie, à savoir le matérialisme, que l’on peut « garder la véracité du document, la précision du détail », tout en se faisant « puisatier d’âmes »721, en ne voulant pas « expliquer le mystère par la maladie des sens ». Dès lors le « naturalisme spiritualiste » se trouve être défini :

Il faudrait, en un mot, suivre la grande voie si profondément creusée par Zola, mais il serait nécessaire aussi de tracer en l’air un chemin parallèle, une autre route, d’atteindre les en deçà et les après, de faire, en un mot, un naturalisme spiritualiste ; ce serait autrement fier, autrement complet, autrement fort722 !

Cet idéal littéraire prôné par Durtal ne fut pleinement réalisé qu’en peinture, par les Primitifs, en particulier par la Crucifixion du musée de Cassel de Mathias Grünewald, qui lui apparaît comme la parfaite allégorie de son « naturalisme spiritualiste » : « Dans cette toile, se révélait le chef d’œuvre de l’art acculé, sommé de rendre l’invisible et le tangible, de manifester l’immondice éplorée du corps, la détresse infinie de l’âme. »723 Ce que découvre tout d’abord Durtal, à travers ce tableau, c’est le spectacle d’un corps décharné, disloqué, dégradé et pourrissant.

Grünewald excelle aussi bien dans la représentation de la souffrance des corps que Huysmans à décrire la Crucifixion. Il arrive à rendre visible, tangible le spectacle immonde de la putréfaction :

« puis, les genoux rapprochés de force heurtaient leurs rotules, et les jambes tordues s’évidaient jusqu’aux pieds qui, ramenés l’un sur l’autre, s’allongeaient, poussaient en pleine putréfaction,

720 Gérard Peylet, ibid., p. 174.

721 Là-bas, ibid., p. 30.

722 Ibid., p. 31.

723 Ibid., p. 36.

verdissaient dans des flots de sang. »724 Mais ce qui fascine principalement Durtal, dans cette crucifixion, est la manière dont le Primitif allemand fait surgir une spiritualité du corps supplicié du Christ. Pour citer la formule de Gérard Peylet : « Avec le Christ de Cassel s’opère la transfiguration du défiguré. »725 De ce corps en putréfaction émane une lueur céleste :

Certes, jamais le naturalisme ne s’était encore évadé dans des sujets pareils ; jamais peintre n’avait brassé de la sorte le charnier divin et si brutalement trempé son pinceau dans les plaques des humeurs et dans les godets sanguinolents des trous. C’était excessif et c’était terrible. Grünewald était le plus forcené des réalistes ; mais à regarder ce rédempteur de vadrouille, ce Dieu de morgue, cela changeait. De cette tête ulcérée filtraient des lueurs ; une expression surhumaine illuminait l’effervescence des chairs, l’éclampsie des traits. Cette charogne éployée était celle d’un dieu, et, sans auréole, sans nimbe, dans le simple accoutrement de cette couronne ébouriffée, semée de grains rouges par des points de sang, Jésus apparaissait, dans sa céleste Superessence726.

La charogne baudelairienne a de beaux restes ; sous la plume de Huysmans, elle se fait mystique. Il n’est pas indifférent que le symbole du « naturalisme spiritualiste » de Huysmans soit une crucifixion, une représentation du Christ. Car pour l'écrivain qui a mené, à l’image de des Esseintes dans sa thébaïde raffinée, une vie d’ascète consacrée à la littérature, l’art se présente comme une religion. À travers cette crucifixion de Grünewald, l’esthétisme se confond avec la spiritualité, en attendant la mystique. Ce tableau se révèle, pour Huysmans, comme une véritable fusion de l’art et de la religion. L’art est synonyme de religion, de sacré, et inversement. Ce qu’a également souligné Jean Borie : « Les deux sublimations de l’art et de la religion ne font qu’une pour Huysmans. L’art est revêtu pour lui du même caractère de sacralité que la religion et, inversement, on a parfois l’impression qu’il ressent Dieu comme une émotion artistique. »727

En attendant la conversion, au monde moderne, celui du progrès, du matérialisme, de la politique et du suffrage universel, en un mot celui de la démocratie, Huysmans oppose le

« naturalisme spiritualiste », c’est-à-dire cet esthétisme spirituel, cette fusion où l’art et la religion ne font plus qu’un, où il est juste question de sacralité, de réinstaurer une forme de sacré dans un monde désacralisé.

724 Ibid., p. 33.

725 Gérard Peylet, ibid., p. 143.

726 Là-bas, ibid., p. 36.

727 Jean Borie, ibid., p. 280.

B – La démocratie : un monde spirituellement désacralisé

La démocratie, à travers la politique et sa forme élective, à savoir le suffrage universel, est violemment brocardée par Huysmans dans le roman. En effet, Là-bas se déroule sur fond des élections législatives partielles de 1889 qui opposèrent à Paris Edouard Jacques à Georges Boulanger et qui virent la victoire de ce dernier le 27 janvier, jour où se situe la scène finale du roman. Il convient, au préalable, de dire que Huysmans n’avait pas une grande affection pour Boulanger. Il juge sa démagogie nuisible et dangereuse dans la mesure où son projet de revanche militaire, à l’égard de la Prusse, mènerait la France vers une nouvelle défaite, après celle terrible de 1870. Cette peur d’une nouvelle guerre tient, durant cette période, une place importante dans la correspondance de cet antimilitariste, en particulier dans celle destinée à Jules Destrée : « Et la gloire de Boulanger ? ce mystère étrange ! J’ai peur que la seconde et terrible raclée que nous assénera la Prusse, ne s’approche – Elle sera, cette fois, décisive. »728 Indépendamment de « son incessante propagande de l’esprit militaire »729, ce qui lui répugne dans le projet de Boulanger, c’est également son autoritarisme, son populisme, ou encore « les réclames américaines »730 de ses campagnes électorales. Car ce que Huysmans brocarde dans Là-bas, dans un premier temps à travers les élections, c’est l’invasion de l’espace public par les affiches électorales : « mais quelle dégoûtation ! reprit-il, en montrant, autour d’eux les murs des maisons couverts d’affiches. / C’était une véritable débauche de placards ; partout sur des papiers de couleur, s’étalaient, en grosses capitales, les noms de Boulanger et de Jacques. »731 L’on retrouve, dans la lettre datée du 26 janvier 1889, veille du triomphe de Boulanger, à Arij Prins, une critique similaire :

Ici, il n’y a plus rien ; si ce n’est la dégoûtation politique du moment. Une ville affolée, couverte d’affiches, pariant pour Boulanger ou pour Jacques, s’éreintant de coups de poings dans les réunions, s’insultant par toute la presse.

Inutile de vous dire combien l’on se fiche de la littérature dans tout çà732.

La différence entre les deux extraits, pourtant si proches, est importante. En effet, si le passage tiré du roman s’attarde sur le dégoût qu’inspire la politique au personnage, en l’occurrence des Hermies, et sur la laideur ostentatoire des affichages qui envahissent les rues de la capitale, le second extrait, celui de la correspondance, reprend ces critiques, mais l’invasion par le politique y

728 Lettre à Jules Destrée du 30 novembre 1887, ibid. p. 123.

729 Jean-Marie Seillan, Huysmans : politique et religion, Classiques Garnier, Études romantiques et dix-neuvièmistes, 2009, p. 38.

730 Là-bas, ibid., p. 225.

731 Là-bas, ibid., p. 325.

732 Lettre du 26 janvier 1889 à Arij Prins, ibid., p. 155.

paraît plus complète, dans la mesure où il n’investit plus seulement « les murs des maisons », la rue, mais également « les réunions », « la presse », la vie entière en somme. En effet, il apparaît à Huysmans qu’ « il n’y plus rien », plus rien d’autre que la politique, il n’y a même plus de place pour la littérature.

La ville et la vie tout entière semblent accaparées, aux yeux de Huysmans, par la politique, par les élections législatives. La population s’investit énormément dans ces élections, plus particulièrement auprès du général Boulanger, dont le populisme l’effraie. L’auteur de Là-bas ne croit pas au politique et au progrès, ne croit pas que « le socialisme et les autres billevesées des ouvriers ignares et haineux, [...] modifieront la nature des êtres et réformeront les peuples. »733 À la suite de Baudelaire, il considère l’homme comme mauvais, luttant dans « une société cynique et

La ville et la vie tout entière semblent accaparées, aux yeux de Huysmans, par la politique, par les élections législatives. La population s’investit énormément dans ces élections, plus particulièrement auprès du général Boulanger, dont le populisme l’effraie. L’auteur de Là-bas ne croit pas au politique et au progrès, ne croit pas que « le socialisme et les autres billevesées des ouvriers ignares et haineux, [...] modifieront la nature des êtres et réformeront les peuples. »733 À la suite de Baudelaire, il considère l’homme comme mauvais, luttant dans « une société cynique et

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