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3.2 Caractérisations expérimentales

3.2.3 Essais mécaniques

Les observations et mesures physiques réalisées au préalable permettent de choisir les conditions opératoires les plus appropriées pour la caractérisation mécanique du matériau. Il n’en demeure pas moins que la réalisation d’essais mécaniques à hautes températures (de 800°C à 1600°C) reste d’une grande complexité. L’essentiel de la problématique réside dans l’impossibilité, à ce jour, d’accéder à une mesure directe des déformations pendant l’essai. Depuis une dizaine d’années, les techniques de corrélation d'images numériques sont devenues courantes dans la mécanique expérimentale et pourraient apporter une solution à ce problème. Les mesures de déformation effectuées sur les matériaux réfractaires à température ambiante ont prouvé que ces méthodes permettaient de mesurer les faibles niveaux de déformation qui caractérisent les céramiques pendant les essais quasi-statiques (Robert 07). Mais ces mesures doivent maintenant être réalisées à températures élevées pour confirmer l’applicabilité de ces méthodes dans le domaine des hautes températures.

L'installation expérimentale est généralement confinée dans un four pour atteindre les températures souhaitées et maîtriser l’atmosphère de l’essai. Cette contrainte ne simplifie pas le travail de l’expérimentateur, d’autant plus que les céramiques des industries hautes températures sont hétérogènes et que leur comportement thermomécanique à hautes températures est non linéaire. Si l’on souhaite une exploitation sereine des résultats, il est recommandé que les dispositifs de mesure soient conçus pour observer le comportement moyen (Schmitt 00b).

Pour l'essai de traction par exemple, il faut éviter la localisation de contrainte et la propagation des fissures induites par l'hétérogénéité. Une attention particulière doit être portée à l’alignement de l'axe de l’échantillon et de l'axe de la machine pour réduire au minimum les effets de flexion parasite, y compris pendant la phase de chauffage (Nazaret 06). Malgré la difficulté, au moins trois montages de traction à chaud existent à ce jour en France. Le montage de l’école des Mines de Paris, développé au cours de la thèse de Ludovic Massard (Massard 05), exploite un système de chargement inversé et une géométrie d’éprouvette très originale qui requiert un usinage complexe, c'est sans doute là son point faible. A Limoges, au GEMH, le montage développé requiert le collage de cylindres métalliques en bout d’éprouvette, puis l’usinage (tournage) et la rectification de la zone utile de la céramique (Bahloul 09). Plus facilement réalisable, la fabrication de l’éprouvette n’en reste pas moins une étape délicate. Le montage de la société ICAR, à Lunéville, exploite une forme traditionnelle d’éprouvette cylindrique dite en « os de chien » qui est à mi-chemin entre les deux solutions précédentes en terme de complexité de fabrication. Les résultats d’essai de traction à chaud sur céramiques restent donc relativement rares.

L’essai de compression uni-axiale est plus simple mais l'effet de la flexion doit également être réduit au minimum. Cependant, moyennant un élancement supérieur à 2, un surfaçage adéquat des plans d’appui et la réalisation de pré-cycles d’écrasement des contacts, il est possible d’obtenir de bons résultats (Hernandez 00). Cet essai est donc le plus développé dans la communauté industrielle. Toutefois, il ne permet pas d’accéder au comportement en traction qui peut être très différent de celui en compression. Cette différence forte est particulièrement bien documentée et expliquée dans le mémoire d’habilitation à diriger des recherches de N. Schmitt (Schmitt 07).

Plus simple à réaliser qu’un essai de traction ou de compression, l'essai de flexion est souvent utilisé dans le domaine des céramiques, des exemples de montage sont présentés sur la Figure 57. La flèche de l’éprouvette est généralement mesurée par l’intermédiaire d’une tige d’alumine intercalée entre l’échantillon (dans le four) et un capteur de déplacement positionné à l’extérieur du four. Classiquement, le recours aux formules de base de la résistance des matériaux donnent accès au Module Of Elasticity (MOE), assimilé au module d’Young, et au Modulus Of Rupture (MOR), caractéristique assimilée à la contrainte ultime de traction. Il est essentiel de noter que ce dépouillement des essais de flexion à chaud n’a de sens que pour des comportements élastiques linéaires symétriques en traction et compression.

A basses températures le comportement mécanique de nombre de céramiques est élastique endommageable (dissymétrique). A hautes températures, leur comportement devient généralement élasto-visco-plastique endommageable (dissymétrique). Dans ces conditions, les MOE et MOR présents dans la littérature doivent être utilisés avec beaucoup de précautions. De plus, il a été établi par (Schmitt 00b) que l'effet du cisaillement doit être pris en considération lors du dépouillement des essais de flexion 3 points lorsque les appuis sont trop proches. L'essai de flexion quatre points permet de limiter l’influence du cisaillement transverse sur la flèche car il produit une flexion pure entre les appuis centraux. Néanmoins, les résultats obtenus pour le MOE dépendent fortement de l'installation expérimentale, car la mesure de la flèche intègre des artefacts liés au dispositif lui-même : déformation du montage et écrasement sous les contacts.

Pour pallier les problèmes de mesure de flèche inhérents aux essais de flexion à chaud, il a été proposé d’exploiter la pente au début de la courbe de décharge pour identifier le module d’Young (De Bilbao 10). En effet, seul le retour élastique s’opère lors de la décharge, ainsi les déformations inélastiques des contacts, ou de l’éprouvette elle-même, sont naturellement absentes du déplacement mesuré à la décharge. De plus, l’effet sur la pente à la décharge de l’indentation au niveau des contacts éprouvettes / montage est d’autant plus faible que l’effort est élevé. En effet, la forme de la dérivée du déplacement mesuré à la décharge en fonction de l’effort est :

( )

n n c ep m dF K K n K F dF dU 1 1 0 1 2 1 1 1 < ⎟ ⎠ ⎞ ⎜ ⎝ ⎛ + + = ⎟ ⎠ ⎞ ⎜ ⎝ ⎛ (84)

Figure 57 : Exemples de dispositifs de flexion à chaud

Km est la raideur du montage, Kep la raideur de l’éprouvette, Kc la raideur du contact éprouvette / montage et F l’effort mesuré sur la traverse. L’expression proposée considère une flexion 4 points, d’où le facteur ½ sur l’effort au droit du contact. Il est alors rapide d’en déduire le lien entre la pente à la décharge et le module d'élasticité par la théorie classique des

poutres dans le cas d’un montage infiniment raide et d’un effort élevé. Cette méthode a été

utilisée avec succès sur différents types de réfractaires à base de SiC dans le cadre du programme ANR « DRUIDe » (présenté au paragraphe 4.1.1).

Comme évoqué plus haut, la communauté française est très active dans le secteur des essais mécaniques aux hautes températures. De nombreux dispositifs ont été développés par le GEMH de Limoges (flexion, traction, mesure ultra-son), le CRoMEP d’Albi (flexion, compression, fluage isotherme et anisotherme) et le Centre des Matériaux des Mines de Paris (fluage, flexion, traction). A l’échelle européenne, l’équipe du professeur Harmuth de l’université de Leoben (Autriche), a également développé un certain nombre d’essais aux hautes températures pour caractériser le comportement de réfractaires sous sollicitation mécanique uni-axiale et bi-axiale (Tschegg 09). Dans ce contexte, l’équipe « Thermomécanique des matériaux réfractaires et couplages multi-physiques » de l’institut PRISME a choisi de concentrer ses efforts sur la modélisation et, par conséquent, de faire réaliser les essais « classiques » nécessaires au sein de sociétés partenaires (Air Liquide, Saint Gobain, RHI,…), de laboratoires partenaires (CRoMEP des Mines d’Albi) ou encore dans le centre technique prestataire ICAR à Lunéville. Ce choix n’exclut bien évidemment pas la conception d’essais et de protocoles, simplement ils sont effectués en externe, tels que les essais C-Ring réalisés chez Air Liquide dans le cadre de la thèse d’Olivier Valentin (Richet 09), ou encore les essais de cisaillement de mortier réalisés chez ICAR dans le cadre de la thèse de Matthieu Landreau (Landreau 09) par exemple.

Depuis un peu plus de deux ans cependant, des essais en lien direct avec la thématique « Thermomécanique des matériaux réfractaires et couplages multi-physiques » ont été conçus et réalisés au sein de l’institut PRISME. On citera les essais de caractérisation d’un pisé carboné dans le cadre de la thèse de Jérôme Brulin (§2.3.4, (Brulin 10)), le cas des essais de traction sur mortier dans le cadre de la thèse de Matthieu Landreau (§2.3.2 (Landreau 09)) ou

Banc de flexion 4 points à chaud, d’après (De Bilbao 10)

Banc de flexion 3 points, d’après (Blond 03)

encore la caractérisation du comportement des joints sans mortier par corrélation d’images dans le cadre du programme « Thermomechanical behaviour, modelling and testing of refractory » de FIRE en partenariat avec Corus. On notera qu’aucun de ces essais n’entre dans le champ de ceux déjà effectués et maîtrisés au sein d’un des laboratoires déjà cités, l’objectif étant clairement de ne pas dupliquer l’existant mais de répondre à des questions en suspens.

3.2.4 Bilan

Quelle que soit la difficulté de mise en œuvre des moyens brièvement présentés, l’ensemble permet d’accéder à une caractérisation du matériau vis-à-vis de chacune des physiques en présence (thermique, mécanique, chimique). La finesse de la caractérisation n’est finalement limitée que par l’investissement en temps et en moyens que l’on peut raisonnablement y consacrer. La quasi-totalité des essais pouvant être réalisée en température et atmosphère contrôlées, il est possible de quantifier l’évolution des coefficients matériaux (chaleur spécifique, module d’Young, …) en fonction du taux de corrosion ou de l’atmosphère. Le couplage « faible » peut donc être quantifié.

La quantification de termes de couplages forts telle que la déformation de réaction devient problématique dès lors que l’on ne peut plus avoir recours à des essais de type dilatométrique, à cause de l’hétérogénéité du matériau ou de la réaction par exemple. Il est de même délicat d’accéder à une quantification rigoureuse d’une éventuelle viscoplasticité de changement de phase en ne réalisant des essais que sur éprouvette avant et après transformation. C’est là un des chantiers majeurs de l’étude des couplages dans les céramiques hautes températures : le développement de bancs d’essais dédiés couplant mécanique et chimie. En cela, les avancées de ces dix dernières années dans le domaine de l’analyse et de la corrélation d’images apportent un changement radical à la problématique de la mesure. En effet, la possibilité de remonter au champ des déformations et aux champs de propriétés mécaniques par corrélation d’image rend envisageable une étude fine des déformations de réaction, y compris dans le cas complexe d’un matériau hétérogène. Cependant, de par la gamme de température envisagée, un certain nombre de difficultés demeure, tels que le filtrage des mouvements de convection de l’air ou encore la maîtrise d’un contraste suffisant. La mise au point et l’exploitation rigoureuse d’essais couplés est sans conteste un des axes de recherche encore en friche à ce jour.

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