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Chapitre 1 : Introduction générale

1.2 La metformine et le cancer

1.2.4 Essais cliniques et limites de la metformine

Les résultats encourageants de la metformine sur le traitement du cancer, obtenus autant au niveau des nombreuses études épidémiologiques qu’au niveau des effets antinéoplasiques sur des modèles murins, ont rapidement mené à des études cliniques chez les humains. Contrairement aux études précédentes qui montraient l’effet préventif de la metformine après des traitements sur plusieurs années, ces nouvelles recherches se sont consacrées aux effets de

la metformine en tant qu’agent chimiothérapeutique. La première étude clinique en phase II (randomized double blind clinical trial) fut ainsi publiée en 2015 par Kordes et al. sur des patients atteints du cancer du pancréas. Cette étude visait à mesurer le taux de survie des patients lorsque traités avec la metformine à des doses conventionnelles antidiabétiques en combinaison avec la gemcitabine et l’erlotinib, deux agents couramment utilisés en chimiothérapie67. Les

résultats furent pour le moins décevants : aucune différence statistique ne fut mesurée sur le taux général de survie des patients traités à la metformine versus les patients traités avec un placebo. Plusieurs autres études en sont arrivées à des conclusions similaires, comme dans le cas de l’étude clinique en phase II de Pujalte Martin et al. sur le cancer de la prostate métastatique121.

Malgré les études précliniques suggérant une activité de la metformine sur ce type de cancer, sa combinaison avec le docetaxel n’a eu aucun bénéfice pour la survie des patients. La metformine fut aussi inefficace en étude clinique phase II sur le cancer du poumon en combinaison avec la chimio-radiothérapie122. Bien que d’autres études cliniques soient présentement en cours68, les

études publiées présentement montrent dans une grande proportion que la prise de metformine n’offre aucun avantage au niveau de la progression du cancer, l’augmentation du niveau de vie des patients et l’amélioration de leur taux de survie.

Plusieurs facteurs sont mis en cause pour justifier l’inefficacité de la metformine dans ce type d’essai cliniques, alors que son efficacité in vitro et in vivo est indéniable. La metformine possède deux pKa de 2.8 et 11.5, ce qui en fait une espèce protonée à pH physiologique et un composé particulièrement hydrophile avec un logP de -1.43 (le logP représente le coefficient de partition d’un composé entre une fraction d’eau et d’octanol). L’hydrophilie d’un composé est particulièrement importante pour la pharmacocinétique et la biodisponibilité dans le corps. Pour traverser de façon passive les membranes cellulaires, un composé doit non seulement être soluble dans les milieux aqueux extra et intracellulaire mais doit également être capable de pénétrer dans la bicouche lipidique formant la membrane. Les paramètres de Ghose, une variante de la règle de cinq de Lipinski69 utilisée pour prévoir l’efficacité d’un médicament dans

le corps humain, indique que la valeur du logP pour un composé doit être compris entre - 0.4 et 5.6 pour une efficacité maximale70. La doxorubicine, par exemple, possède un logP de 1.27 71.

La metformine est donc trop hydrophile pour traverser de façon passive les membranes, ce qui diminue fortement sa biodisponibilité.

Pour pénétrer le milieu cellulaire, la metformine fait appel à des protéines transmembranaires, des transporteurs de cations organiques (OCT1, OCT2 et OCT3)72. Ces

transporteurs sont non-spécifiques et sont exprimés dans de nombreux organes du corps, notamment le foie (OCT1-3), les intestins (OCT3), les reins (OCT2-3) et les poumons (OCT1- 2-3) 73. De plus, la metformine n’est pas métabolisée par le corps et possède une demi-vie de

1,74 à 7,3 h chez les humains, dépendamment des conditions. Il est donc prévisible qu’elle s’accumule (quoique relativement faiblement) dans l’estomac, le colon, les reins et le foie, des organes responsables de la digestion et sécrétion et exprimant en grandes quantités les OCT74.

Toutefois, une étude de Wilcock et al.75 fut réalisée sur des souris traitées avec des doses

antidiabétiques de metformine (50 mg/kg/jour versus 30 mg/kg/jour chez l’humain). Les résultats montrent que même dans ces organes où l’accumulation est plus prononcée, la concentration de metformine n’excède pas 60 µM, ce qui est très loin des doses antiprolifératives rapportées in vitro allant de 5 à 10 mM. Les concentrations standards de metformine dans le plasma des patients diabétiques traités à la metformine sont aux alentours de 10 µM, avec des maximums mesurés de 40 µM 55. Il fut d’ailleurs démontré que des concentrations aussi basses

de metformine n’étaient pas suffisantes pour activer l’AMPK in vitro76. La metformine semble

donc trop hydrophile pour pouvoir s’accumuler dans le corps à une concentration suffisante pour montrer un effet chimiothérapeutique.

Les résultats obtenus chez les souris montrant une réduction de la taille des tumeurs s’expliquent en partie par l’utilisation de doses beaucoup plus élevées allant jusqu’à 350 mg/kg/jour 77, ce qui représenterait chez l’humain une moyenne de 23 kg de metformine pris

oralement. Les nombreuses études épidémiologiques chez l’humain, quant à elles, concernent presque toujours la prise de metformine à long terme (jusqu’à des dizaines d’années pour les patients diabétiques), ce qui pourrait favoriser l’accumulation de la drogue dans les cellules. Il faut toutefois noter que cette accumulation, en particulier dans les mitochondries, est encore débattue dans la littérature78. Enfin, il a été démontré que l’efficacité de la metformine sur les

CSC est beaucoup plus grande que sur les cellules cancéreuses, avec une activité antiproliférative entre 100 et 300 µM46, ce qui pourrait possiblement expliquer l’effet préventif

Même si les raisons derrière l’inactivité de la metformine dans les études cliniques ne sont pas encore totalement élucidées, il est évident que sa structure hydrophile lui confère un désavantage pour la biodisponibilité. Par conséquent, plusieurs études se sont tournées vers des structures alternatives comportant des biguanides et pouvant potentiellement pallier ce problème.

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