• Aucun résultat trouvé

ESSAI DE SYNTHÈSE CHRONOLOGIQUE DE L’ÉVOLUTION GÉODYNAMYQUE DE LA CHAÎNE HERCYNIENNE FRANÇAISE

Evènements régionaux

6 ESSAI DE SYNTHÈSE CHRONOLOGIQUE DE L’ÉVOLUTION GÉODYNAMYQUE DE LA CHAÎNE HERCYNIENNE FRANÇAISE

L’évolution géodynamique de la chaîne hercynienne est déjà assez bien documentée dans sa globalité (Autran et Cogné, 1980 ; Franke, 1989, Ledru et al., 1989 ; Matte, 1991, 2001 ; Faure et al., 1997), il est toutefois intéressant de constater que les liens entre l’anatexie et l’orogenèse restent encore fragmentaires notamment à cause du manque de données radiochronologiques. Les nouvelles données apportées par cette étude documentent les multiples épisodes de la fusion crustale dans la chaîne hercynienne du Massif Central français et les présentent dans leur contexte géologique régional avec l’objectif final de dégager un schéma d’ensemble de cette fusion au sein de toute la chaîne. Le travail a permis de mettre l’accent sur l’anatexie du Carbonifère moyen (autour de 330 Ma) qui était encore relativement méconnue. Quatre sites d’étude ont été sélectionnés : les Cévennes septentrionales, le Velay, la Montagne Noire et le Limousin. Ces sites présentent l’avantage d’être géographiquement dispersés dans l’ensemble du Massif Central et chacun d’eux comporte des migmatites et plusieurs générations de granitoïdes, conséquence des anomalies thermiques qui accompagnent le processus orogénique.

L’étude préliminaire dans le dôme du Velay, dont le but était de vérifier que la méthode U-Th-Pb sur monazite donnait des résultats comparables à ceux obtenus par la méthode U-Pb a été concluante. Elle a permis en outre de distinguer les migmatites et les granites d’anatexie du Velay de la fusion crustale "pré-Velay" du domaine cévenol. Le dôme du Velay (~300 Ma) correspond à la dernière phase de fusion importante dans la chaîne. Il est admis qu’il se met en place suite à l’effondrement gravitaire (Malavieille et al., 1990, Ledru et al., 2001) généralisé de la chaîne. L’effondrement se matérialise par le changement de régime tectonique compressif en régime extensif bien contraint par des études structurales (Malavieille et al., 1990, Lagarde et al., 1994). Dans le Massif Central, le régime extensif post-orogénique NNE-SSW se caractérise aussi par l’ouverture des bassins houillers intra montagneux d’âge Stéphanien et de nombreuses failles normales et ou décrochantes. L’extension s’accompagne aussi de la mise en place des plutons et des filons granitiques entre 320 et 300 Ma. L’anatexie qui produit la migmatite et le granite à cordiérite du Velay intervient à la fin de l’effondrement (310-290 Ma).

Nous retiendrons ici que la fusion crustale dans la chaîne hercynienne française est le fait de deux sources de chaleur conjuguées contrôlées par la tectonique des plaques. La première source résulte de l’épaississement crustal dû à l’empilement des nappes. Le gradient thermique établi, déclenche la fusion de la base de croûte dans un contexte hydraté. La fusion généralisée dans toute la chaîne s’amplifie avec l’apport des injections sous-jacentes de matériel

asthénosphérique chaud. Cet épisode gouverne la mise en place des migmatites et des granitoïdes (Fig.6-1A) lesquels vont à leur tour transférer la chaleur dans les niveaux supérieurs par conduction thermique. Au cours de la fusion hydratée, la phase fluide peut s’épuiser avec le temps ou bien à la suite d’une augmentation de la température ce qui semble être le cas du Velay autour de 300 Ma (Fig.6-1B) où l’amincissement lithosphérique conduit à la remontée du Moho et de la chaleur mantellique. Dans ces conditions, la fusion partielle se fait par déstabilisation des minéraux hydratés essentiellement les micas. La température étant plus élevée (~850 °C), la production de liquides est plus importante que dans le cas de fusion hydratée.

Les contextes tectoniques de mise en place des migmatites en dôme dans le Massif Central sont également bien documentés. Cependant, l’histoire géodynamique de la zone axiale de la Montagne Noire reste très discutée. Bien qu’aucune nouvelle donnée structurale ne soit disponible, il ressort dans cette étude que les migmatites et les Fig.6-1. Bloc diagramme simplifié et interprété du Massif Central Français (modifié à partir de Downes et al., 1997). Le bloc

diagramme illustre les principaux évènements thermiques opérant entre 380 et 300 Ma. Il apparaît que la fusion crustale dans le Massif Central se passe suivant le schéma (A). On note également des dispositions tectoniques particulières (schéma B) avec une remontée importante du Moho correspond au dynamisme de type Velay.

granites précoces comme par exemple le granite migmatitique du Laouzas de la zone axiale se forment au cours de l’empilement des nappes. Dans ce cas le "doming" de la Montagne Noire résulte de l’expulsion des niveaux fondus de la croûte sous pression (Soula et al., 2001). Les granitoïdes syn à post-migmatites s’inscrivent dans l’évolution globale présentée plus haut. Pour la Montagne Noire, le modèle "Basin and Range" parfois évoqué (Brun Van…) ne semble pas compatible avec les nouvelles données radiométriques obtenues dans cette étude. Des analyses pétrostructurales du granite du Laouzas et de Montalet seraient nécessaires pour expliquer la géométrie des objets.

Outre le contexte d’effondrement gravitaire dans le Velay, on peut mettre en évidence une anatexie d’âge Viséen moyen ~330 Ma qui succède immédiatement à la phase finale de l’épaississement crustal (phase D3 de Faure et al., 2004) datée entre 340 et 330 Ma. Cette anatexie est très développée dans le Sud du Massif Central. La migmatite de la zone axiale de la Montagne Noire, la migmatite des Cévennes et la migmatite du Sud-est Limousin (Argentat – Millevaches) appartiennent à cet épisode. On note également la mise en place de granitoïdes. Les migmatites sont de texture variable : des gneiss migmatitiques à des diatexites passant par des métatexites, une variation qui implique soit des conditions thermiques différentes soit une exposition hétérogène au flux thermique. Cette migmatisation affecte aussi bien des paragneiss que des orthogneiss et se caractérise par une grande distribution géographique. Les résultats radiochronologiques confirment les données obtenues sur les migmatites équivalentes dans le Massif Armoricain : la migmatite de Pont-Sal (Vidal, carte 1/50 000, en cours) datée à 328 ± 5 Ma sur monazite (Cocherie, communication personnelle).

L’étude préliminaire des migmatites précoces du Dévonien s’est faite sur les échantillons prélevés dans le Limousin : antiformes de Tulle, de Meuzac et l’Est Limoges affectant l’UIG ; la migmatite du plateau d’Aigurande appartenant à l’USG. Notre étude montre l’absence de migmatites carbonifères même au cœur des plis (antiformes de Tulle et de Meuzac). Cette migmatisation peut être interprétée comme résultant de l’exhumation des éclogites de l’USG, une exhumation qui affecte également l’UIG. La décompression des matériaux enfouis entraîne leur fusion partielle (Fig.6-2). Les migmatites des deux unités sont antérieures à sub-contemporaines du métamorphisme D1 qui est caractérisé par la linéation NE-SW (Duthou et al., 1994 ; Roig et Faure, 2000).

Il se dégage ici deux contextes géodynamiques de mise en place des migmatites dans la chaîne varisque, deux contextes qui impliquent des roches métamorphiques para et ortho dérivées. Pour l’épisode d’anatexie autour de 330 Ma et celui autour de 300 Ma, se pose la question de la source de chaleur nécessaire pour produire des liquides silicatés à une si grande échelle. Les diverses sources de chaleur sont groupées en source interne, et en source externe donc :

(i) La source interne associe un épaississement crustal qui enfouit les roches vers les domaines de pression-température propices à la fusion partielle. L’augmentation de la température est dans ce cas contrôlée par le gradient géothermique et ou par une concentration des éléments radiogénique dans la "colonne crustale".

(ii) La source externe correspond à des transfert de chaleur associés à la mise en place des plutons de granitoïdes dans l’encaissant et induisent sa fusion partielle. Le flux de chaleur peut également être d’origine asthénosphérique résultant de la délamination lithosphérique post-collisionnelle (Fig.6-3, Faure et al., 2002). Le manteau de la plaque lithosphérique se sépare de la croûte. Cette dernière est ensuite "sous plaquée" par des injections de magmas basiques issus de la fusion du manteau asthénosphérique, la température est élevée (T > 1200 °C) et la pression décroît rapidement. Le flux asthénosphérique peut être à l’origine de la fusion de la croûte sus-jacente. Fig.6-2. Trajets P-T du (a) Silurien-Dévonien et du (a) Carbonifère des différentes unités lithologiques de la chaîne

varisque (Faure et al., 2004).

Dans cette catégorie des sources externes, s’ajoute la remontée diapirique de l’asthénosphère à l’endroit de l’amincissement lithosphérique provoqué par un régime tectonique extensif.

Dans la chaîne hercynienne, ces différentes sources de chaleur peuvent avoir interagi. Cependant la délamination lithosphérique suivie d’un sous plaquage de matériau basique et la remontée asthénosphérique sous une croûte amincie sont potentiellement à l’origine de la fusion partielle la plus importante. En effet, les évidences de la contribution de la composante mantélique dans la formation des magmas à l’origine des plutons de monzogranites et de granodiorites dans le Massif Central sont déjà documentées (Duthou et al., 1984 ; Turpin et al., 1990 ; Williamson et al., 1992). Pin et Duthou (1990) soulignent l’augmentation de εNdi dans les granitoïdes avec le temps ce qui peut s’expliquer soit par un apport croissant du matériau mantellique soit par une fusion plus importante de la composante mafique de la croûte inférieure. Downes et al., (1997) notent l’interaction forte entre les gneiss (para et orthogneiss) de la croûte inférieure et les roches basiques sous-jacentes source de chaleur et de mélanges. La majorité

Fig.6-3. Coupe interprétative de l’évolution lithosphérique de la chaîne hercynienne française au Viséen terminal (Faure et al., 2002).

des liquides silicatés est produite à la base de la croûte. Ces derniers migrent dans les niveaux supérieurs en y apportant une chaleur supplémentaire. Si l’extraction des liquides n’est pas assurée, il se forme des migmatites caractérisées par l’association des produits réfractaires avec des liquides silicatés. L’interaction des différents lithofaciès de la base de croûte s’exprime par les rapports variables de 87Sr/86Sri. Les valeurs élevées sont la mémoire de la fusion importante du matériel paragnessique tandis que les valeurs basses témoignent de la contribution des métavolcanites du type "Tufs Anthracifères". Le magmatisme des "Tufs Anthracifères" survient en effet autour de 330 Ma. Il est bien connu dans tout le Nord du Massif Central : Sioule, Morvan, Guéret et le Nord du Limousin (Bruguier et al., 2003).

La compilation de ces observations suggère que les apports mantelliques sont probablement la source la plus importante de chaleur qui a contrôlé la fusion crustale dans la chaîne varisque française. La fusion partielle se fait à des températures autour de 700-800 °C lorsqu’elle est assistée par des fluides libres et peut atteindre 850 °C en l’absence de fluides.

CONCLUSION

La compréhension de l’évolution dynamique et thermique d’une chaîne de montagnes requiert une approche pluridisciplinaire. Cette approche a permis de démontrer que la chaîne hercynienne française résulte d’une collision entre deux blocs continentaux (Gondwana au sud et la Laurussia au nord). Dans le Massif Central, la cartographie et les analyses pétro-structurales indiquent que l’évolution tectonique s’est faite en trois épisodes : (i) l’épisode éovarisque, se déroule entre 450 et 400 Ma et conduit à la disparition des domaines océaniques ; (ii) la collision continentale proprement dite, non synchrone dans toute la chaîne intervient autour de 360 Ma jusqu’à 340 Ma. Elle est responsable de la structuration de la chaîne et précède (iii) l’évolution dynamique intracontinentale de 340 à 290 Ma. Ce dernier épisode comporte deux phases dont la première se caractérise par une tectonique tangentielle des nappes de charriage du Nord vers le Sud, l’épaississement crustal se poursuit. La seconde phase correspond à l’évolution ultime de la chaîne dans un contexte d’amincissement post-collisionnel avec mise en place d’importantes anomalies thermiques précurseurs de l’ultime phase de fusion crustale. Des bassins sédimentaires stéphaniens sont comptemporains de ce régime extensif qui contrôle également la mise en place et le jeu normal des accidents d’importance lithosphérique du type faille d’Argentat.

Si l’évolution dynamique globale est bien documentée, il manquait des données géochronologiques sur certaines migmatites et certains granitoïdes, témoins des perturbations thermiques et des réajustements mécaniques pour contraindre l’évolution thermique de la chaîne hercynienne. Quatre zones d’étude ont été retenues (la Montagne Noire, les Cévennes, le dôme du Velay et le Limousin). Les résultats permettent de montrer que la monazite peut enregistrer une mémoire crustale ancienne (héritage) sur une mémoire plus récente dans le cas :

(i) d’un métamorphisme suivi d’une fusion crustale partielle (migmatisation), survenu longtemps après la mise en place des protolithes (gneiss, granites précoces),

(ii) dans le cas d’un magmatisme qui conduit à la mise en place des granitoïdes, les liquides silicatés ayant transporté en l’état les reliques minérales du protolithe fondu.

La thermosensibilité de la monazite sans perturbation du chronomètre U-Th-Pb apparaît alors comme un atout majeur pour inventorier de façon précise les différentes périodes de la fusion crustale. Dans le Massif Central, trois périodes distinctes sont mises en évidence. Elles sont corrélées avec l’évolution géodynamique de la chaîne : la première fusion se déroule entre 385 et 375 Ma et la seconde, la plus vaste, se situe entre 330 et 325 Ma. Cette fusion est contrôlée par l’épaississement crustal auquel s’ajoute les processus de délamination suivie de l’injection de

l’asthénosphère chaud. L’anomalie thermique ainsi mise en place amène les roches dans les conditions d’anatexie hydratée. La dernière fusion intervient entre 310 et 290 Ma. Cette fusion qui est enregistrée essentiellement dans le dôme du Velay résulte de l’amincissement post-orogénique couplé à une remontée asthénosphérique. Les roches atteignent les conditions de fusion anhydre produisant des quantités plus importantes de liquide silicaté.

Finalement, ce travail a montré l’utilité de l’étude radiométrique sur monazite pour situer l’anatexie dans un contexte dynamique. A ce titre, la méthode peut être appliquée sur d’autres systèmes orogéniques du type Himalaya où les indices de fusion crustale sont également bien connus.

En outre, l’association géographique régulière des migmatites et des granitoïdes contemporains ou post-migmatitiques soulève des questions sur la relation génétique des deux lithotypes : les granitoïdes dans ce cas correspondent-ils au stade ultime de la migmatisation comme par exemple la migmatite et le granite du dôme du Velay étudiés dans ce travail ? Les granitoïdes sont-ils le résultat de l’accumulation des liquides échappés des migmatites ? Ou plus simplement les migmatites et les granitoïdes ont-ils une origine différente ? Les réponses à ces questions permettraient sans doute d’éclairer les mécanismes de recyclage des roches engagées dans la structuration de la chaîne varisque française, rattacher ces roches au fonctionnement de toute la chaîne.

Par ailleurs, il a été proposé que l’épaississement crustal au cours de la tectonique des nappes a joué un rôle important dans les phases anatectiques de 385-375 Ma et 330-325 Ma auxquelles succède un régime tectonique extensif qui induit la fusion 310-290 Ma dans le Velay. Il convient de noter que la surrection du dôme conduit à son tour à une restructuration locale avec des basculements comme celui du granite de Rocles. Cet exemple montre que l’anatexie prend le relais sur les processus dynamiques pour la structuration de la chaîne hercynienne. Il apparaît même essentiel de s’interroger sur son implication dans le changement du régime tectonique compressif en régime extensif.