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Essai de restitution d’un scénario lié à une implantation coloniale L’ensemble des observations réalisées au niveau de la zone 1 permet

non seulement d’apporter de nouvelles données relatives à la phase d’ins-

tallation du tout début du Ve s. av. n. ère, mais permet également de formu-

ler de nouvelles hypothèses quant aux antécédents éventuels du comptoir établi à Lattara.

En effet, tant les découvertes anciennes réalisées par H. Prades et le groupe Archéologique Painlevé (GAP) que celles effectuées au cours des recherches initiées en 1984, ont révélé des matériels clairement antérieurs à cette date butoir des environs de 500 av. n. ère qui marque les débuts de l’occupation, telle que reconnue à la fois dans la zone 27 et dans la zone 1. Présents de manière résiduelle dans des contextes plus tardifs, ces matériels se retrouvent dans la plupart des espaces fouillés, quoique principalement dans la moitié nord du site (Py 2009, p. 49), et y compris dans les niveaux

anciens de la zone 1. Attribuables au plein VIe s. av. n. ère, il s’agit princi-

palement de produits étrusques (amphores et bucchero nero) (Py 2009, Py et al. 2014) qui témoignent a minima d’une fréquentation des lieux durant cette période, à un moment où l’habitat voisin de La Cougourlude (Lattes) connaît un essor important et que les petits sites lagunaires du pourtour de l’étang de Mauguio sont abandonnés (Daveau et al. 2013 ; Daveau, Py 2015). Simple débarcadère ou siège d’un premier établissement pérenne ? La question a depuis longtemps été posée mais demeure en suspens faute d’éléments nou- veaux en raison de l’inaccessibilité des niveaux profonds de Lattara.

Une découverte réalisée en 1999 a néanmoins permis de relancer le dé- bat. À l’occasion de la fouille d’un puits d’époque romaine, un mur épais associé à des niveaux d’occupation archaïques de chronologie lâche a été

mis au jour à 5 m de profondeur (puits PT234) (fig. 140 ; fig. 143 et 144)

(Piques, Buxo 2005, p. 33-37). L’hypothèse d’un rempart appartenant à un premier établissement, antérieur au comptoir des environs de 500 av. n. ère, a depuis été émise (Py 2009, p. 50). Si l’identification et la chronologie même de cette structure demeurent imprécis, cette découverte se doit néan- moins d’être reconsidérée au vu des découvertes de la zone 1.

Tous les sondages géomorphologiques réalisées jusqu’à présent « ont

révélé des faciès lagunaires suivis de sables très fins limoneux attribuables

à la mise en place d’un lobe deltaïque Ils traduisent une logique dans le

colmatage du secteur avant l’occupation protohistorique. C’est un paysage lagunaire, peu à peu envahi par des apports fluviatiles en contexte estua- rien (donc sous-marins) et aboutissant au colmatage et à l’atterrissement du secteur, peu avant le vie s. av. J.-C. C’est donc sur un cône deltaïque

que la ville a été construite » (Jorda et al. 2008, p. 15). Compte tenu de la

topographie même du lieu où s’implante vers 500 av. n. ère un comptoir méditerranéen, il est clair que les zones 1 et 27 se situent en périphérie de cette presqu’île, baignée au sud par la lagune et à l’ouest comme à l’est par deux bras du Lez. Autrement dit, nous n’avons actuellement qu’une image des marges de l’établissement archaïque.

Or, l’évolution géomorphologique du secteur a été rapide durant l’âge du Fer, de forts atterrissements s’étant produits en à peine quelques siècles,

voire décennies, notamment vers l’ouest (Jorda et al. 2008) (fig. 141).

Compte tenu de l’emplacement de la « muraille » repérée plus au centre de l’habitat protohistorique et antique, si établissement préexistant il y a, celui- ci se présenterait nécessairement comme étant de taille plus réduite que celui que nous connaissons. Le choix de n’occuper qu’une partie de l’espace peut se justifier de lui-même pour différentes raisons, mais on peut dans le même temps s’interroger sur une adéquation première entre cet habitat supposé et la topographie initiale du lieu. En d’autres termes, à l’image du rempart archaïque actuellement reconnu qui se voit implanté à la limite entre la terre

z Fig. 140 : Vue zénithale du mur massif mis

ferme et la lagune, occupant tout l’espace disponible à ce moment précis,

cette éventuelle fortification du VIe s. av. n. ère aurait elle aussi pu être bâtie

en limite d’un espace viable alors de taille plus réduite.

Ce mur sensiblement Nord-Sud dessinerait alors une limite orientale à ce noyau primitif, de sorte que l’on peut formuler l’hypothèse de l’existence

0 100m

1

3

4

2

1 : construction deltaïque antérieure au VIe s. av. J.-C. ; 2 : construction

deltaïque entre la deuxième moitié du Ve s. et le IIIe s. av. J.-C. ; 3 et 4 : construction deltaïque entre le IIIe s. et le Ier s. av. J.-C.

e x t ension lagunai r e p r isme deltaïque

l oc alis a tion des puits r et r ouvés dans La tta r a b r as a c tif du L e z b r as p r obable et p eu a c tif du L e z N 0 100m N 0 100m N 0 100m N

z Fig. 141 : Restitution de l’évolution géo-

morphologique de l’embouchure du Lez (d’après Jorda et al. 2008).

StratigraphieetStructureS 115

d’un bras oriental du Lez ou d’un simple diverticule de ce dernier passant alors au plus proche de cette même limite. De fait, l’espace compris entre cette muraille et le cours restitué du bras oriental aurait pu se présenter au

VIe s. comme un espace encore instable, entre terre et eau (fig. 142), ayant

très bien pu se colmater en seulement quelques décennies. En prenant en compte l’ensemble du lobe deltaïque, la progradation rapide du Lez a dû engendrer sur un laps de temps assez court une série d’atterrissements, éten-

dant d’autant l’espace disponible. Suivant cette logique, au début du Ve s., la

topographie du lieu aurait pu autoriser ce qui correspondrait, non pas à une primo-fondation, mais plutôt à une extension de l’habitat à laquelle corres-

pondraient les séquences observées dans les zones 1 et 27 (fig. 143 et 144).

Plusieurs arguments fournis par la zone 1 vont d’ailleurs dans le sens de cette hypothèse. En premier lieu, les niveaux anciens situés dans la partie occidentale de la zone de fouille ont toujours été soumis à des remontées plus importantes de la nappe phréatique, phénomène qui peut s’expliquer par le

fait que les sédiments sablo-limoneux constitutifs du substrat continuent de

drainer les écoulements souterrains du Lez, expliquant d’ailleurs l’implanta- tion des puits antiques au sein de l’habitat (Jorda et al. 2008, p. 15).

Certaines anomalies de la stratigraphie relevées pour les phases anté- rieures au milieu du Ve s. av. n. ère pourraient également résulter d’un terrain

conservant, sinon en surface du moins en sous-sol, un caractère instable dû à des phénomènes de soutirage. Durant la phase 1R (v. -475/-450) un tas- sement de la stratigraphie a ainsi été observé dans le tiers occidental de la zone de fouille. Plus encore, durant cette phase un bâtiment absidial présent à cet endroit et initialement bâti en torchis, a rapidement été reconstruit en bauge, mais seule sa moitié occidentale a bénéficié de la mise en place d’un puissant solin en pierres, choix qui ne peut guère s’expliquer autrement que par un problème de stabilité du terrain (fig. 145 et fig. 146).7

Enfin, on peut à nouveau s’interroger sur la fonction des « palissades » mises au jour en limite occidentale de la zone 1 à la charnière des phases 1T et 1S. Si l’hypothèse de sortes d’enclos destinés à contenir des matériaux rapportés a été avancée, on peut également se demander si nous n’avons

pas là plus simplement encore la trace d’aménagements de berges (fig. 147

et fig. 148). La nature différente des remblais présents de part et d’autre a

7 Il a de même été souligné antérieurement que l’affaissement partiel des palplanches sur- venu en 2012 s’est précisément produit à hauteur de cette rupture observée sur le terrain…

z Fig. 142 : Un exemple d’espace entre

terre et eau évoquant la situation qu’a pu connaître l’embouchure du Lez au

VIe s. av. n. ère.

Bras occidental du Lez

Lagune

17 m ?

0 50 m

N

Noyau urbain primitif (VIe s. av. n. ère) ?

Muraille archaïque (VIe s.) ?

Bras oriental du Lez

ou diverticule (VIe s.) ? Bras orientaldu Lez(Ve s.)

Zone progressivement atterrie à la fin du VIe s. av. n. ère ? Zone atterrie au début du

VIe s. av. n. ère ?

Cadastration phase 1T

Puits PT234

Puits antique

StratigraphieetStructureS 117 Rue ? Zone 1 0 50 m Zone 27

B

ras

o

r

i

en tal d

u

L ez N Puits PT234 Puits antique

été soulignée (avec des apports argileux à l’ouest de cette limite), indiquant peut-être qu’au moment du démarrage du chantier de la phase 1S, cette por- tion de terrain pouvait encore être soumise à des remontées de la nappe ou à des écoulements saisonniers, justifiant ainsi des travaux de terrassement synonymes de viabilisation de l’espace.

Pour en revenir à la trame urbaine mise en place, ou plus exactement aux deux trames qui se superposent durant un laps de temps assez court, les données disponibles ne permettent ni d’infirmer, ni de confirmer cette dernière hypothèse. En revanche, une interrogation doit être posée quant à l’évolution du plan régulateur entre les phases 1T et 1S. En effet, si durant cette période nous avons affaire à une trame parfaitement alignée sur les points cardinaux, les tracés de la phase antérieure révèlent quant à eux une différence d’orientation de l’ordre de 3°. Ce décalage est-il raisonné ou re- lève-t-il d’une autre logique, plus anecdotique ? On ne saurait évidemment apporter de réponse définitive à cette question, mais on peut en revanche s’interroger sur ce qui aurait pu motiver un tel décalage, a fortiori en pre- nant en compte la nature différente de l’habitat des phase 1T et 1S.

Si effectivement un noyau d’habitat plus ancien se situait plus à l’ouest

z Fig. 145 : Vue depuis l’ouest du radier de

blocs et moellons constituant le soubasse- ment de la partie occidentale de l’UNF139

(phase 1R-2ème état))

z Fig. 146 : Vue depuis le sud de l’UNF139

avc la base de l’élévation en terre conservée (phase 1R-2ème état))

StratigraphieetStructureS 119

et que le mur mis au jour au fond du puits PT234 correspond à la courtine orientale de cet établissement, alors on peut imaginer que le tracé régulateur de l’extension de l’habitat initiée durant la phase 1T a, en partie du moins, été dépendante de l’orientation du bâti préexistant. On ne peut malheureuse- ment préciser l’orientation exacte du mur en question, « sensiblement Nord- Sud », mais il est tout à fait possible que les enclos puis la voirie de la phase 1T aient été définis en fonction de l’orientation de cette fortification présu- mée. L’impossibilité de définir la taille des lots de terrain ainsi délimités a été soulignée, compte tenu de l’exiguïté des limites de fouille ; en revanche, la distance entre le tracé restitué de cette muraille et l’axe N-S matérialisé par la tranchée TR69491 (soit environ 34 m) permet de proposer à titre d’hypothèse des intervalles de 17 m environ, correspondant à la largeur des lots alors définis, le tracé le plus oriental correspondant dans ce cas aux berges du bras oriental du Lez ou de l’avancée de la lagune, là ou est édifié à un moment imprécis (phase 1T ou, plus sûrement, phase 1S) le rempart dit

« archaïque » (fig. 143).

Durant la phase suivante (1S), indépendamment de la question du rem- part, l’image dont on dispose est celle d’un vaste programme urbanistique

z Fig. 148 : Exemple de berges aménagées à

l’aide de poteuax, piquets et clayonnage.

z Fig. 147 : Tranchées et trous de piquest en

limite occidentale de la zone 1 (phase 1R premier état)

qui, dans la zone 27 fait suite à une phase caractérisée par l’absence de structures et, dans la zone 1, à une installation dont le caractère « provi- soire » ressort des choix architecturaux ayant été opérés. Telles qu’elles se dessinent, les trames mises en place (N/S-E/O dans la zone 1 ; NE/SO-NO/ SE dans la zone 27) traduisent à l’évidence l’adaptation des bâtisseurs à une contrainte topographique. Or, concernant la zone 1, le décalage obser- vé au regard des tracés de la phase précédente pourrait alors précisément s’expliquer par ce qui serait, non plus une « simple » extension de l’habitat primitif, mais bien une reconstruction généralisée, dans ce cas potentielle- ment synonyme de l’arasement de l’habitat préexistant et du rempart qui lui aurait été associé (fig. 144). Compte tenu des restitutions proposées, la Rue 100, qui borde l’îlot 1 durant tout l’âge du Fer, pourrait même trou- ver son origine dans un système de voirie mis en place durant le premier quart du Ve s. av. n. ère, à l’emplacement d’une ancienne zone partiellement

humide, progressivement atterrie puis remblayée au moment des travaux liés à l’urbanisation de la phase 1S.